Attribuée sans certitude de paternité à la fois à Voltaire et à Antigonos II, roi de Macédoine trois siècles avant JC, même si la citation est apocryphe, elle vaut son pesant d'or quant à la morale dont elle est porteuse : «Mon Dieu, gardez-moi de mes amis, quant à mes ennemis, je m'en charge.» Au doute des observateurs étrangers, surtout les déjà nostalgiques du «printemps arabe», s'est rapidement ajouté un ressaisissement des dirigeants irakiens qui se sont empressés de revenir à la prudence. Ainsi, dimanche soir, le Premier ministre irakien, Haider al-Abadi, venu à Mossoul encourager les troupes qui ont chassé de la deuxième ville du pays le gros des terroristes de Daech qui l'occupaient depuis 2014, affichait un triomphe plutôt modeste. Tout en félicitant les soldats de l'armée irakienne pour la victoire, il a prévenu qu'il ne proclamerait officiellement la libération de Mossoul qu'avec la réduction des dernières poches de Daech. C'est que, dans un passé récent, la réalité du terrain avait démenti pas mal d'annonces de victoire prématurées. Certes, cette fois c'est sérieux et il ne reste que le coup de grâce à donner aux «soldats du Califat» pour amoindrir considérablement le potentiel de nuisance de Daech. C'est que l'armée irakienne n'a pas à faire à plus fort qu'elle, mais elle fait face à des terroristes déterminés qui, selon le général Sami al-Aridhi, un des commandants des forces d'élite du contre-terrorisme (CTS) «n'acceptent pas de se rendre et crient : «Nous ne nous rendrons pas, nous voulons mourir.» Cela, sans compter la portée symbolique de l'avantage décisif pris sur le théâtre des opérations par l'armée régulière. C'est en effet sur Mossoul que le chef de l'organisation Etat islamique jeta son dévolu en juillet 2014 pour y proclamer l'instauration du Califat, faisant par la même occasion sa première et unique apparition publique. Symbole, donc, des deux côtés. On comprend, par conséquent, pourquoi le régime de Bagdad, appuyé il est vrai par l'aviation de la coalition militaire menée par les Etats-Unis, a jeté une grande partie de ses forces dans la bataille -lancée il y a neuf mois- pour la reconquête de la localité stratégique, qui a l'avantage incommensurable d'abriter de grands champs pétroliers assurant à l'Irak la moitié de sa production et lui assurant la place de quatrième producteur mondial. Daech ne s'est pas privé de piller cette richesse et d'accumuler d'abondantes liquidités financières pour payer ses recrues et se doter des matériels et équipements nécessaires. Quoi qu'il en soit, et malgré les incertitudes qui persistent sur le sort de Raqqa, le bastion syrien de Daech, la défaite militaire des insurgés islamistes semble actée par le revers de Mossoul. A côté de cette «inconnue» du front syrien, il reste aussi à connaître la façon dont vont se redéployer dans la région, les centaines, voire les milliers de terroristes qui sont en train de fuir Mossoul et pour qui le débouché territorial syrien est naturellement le plus indiqué. Et là, il faut bien convenir que la confusion géopolitique née de la récente crise du Golfe qui a isolé le Qatar, désigné comme Etat soutenant et finançant le terrorisme islamiste, n'est pas faite pour arranger les choses. Les Américains et les Turcs, roulant chacun pour leur propre intérêt, font tout pour empêcher une victoire de Bachar al-Assad dans la province de Raqqa et Deir Ezzour, au nord et frontalière de l'Irak. L'aviation de la coalition déployée sous la férule des Etats-Unis, ainsi que l'intervention sporadique des avions israéliens contre l'armée syrienne, brisent chaque fois l'avantage sur le terrain des troupes syriennes. Les faux amis y sont à l'œuvre et ils sont bien plus redoutables que les vrais ennemis clairement identifiés. A. S.