Pour tragiques qu'elles soient, il est des informations, parfois de simples entrefilets dans les journaux, plus instructives que bien des palabres et discours. On le savait plus ou moins mais sans en soupçonner l'ampleur qu'ils ont prise dans le silence de la banalité ambiante : des machines aux mains d'inconscients, ou plutôt de hors-la-loi et fiers de l'être, massacrent impunément «à la tronçonneuse». De simples faits divers regrettables ? Certainement pas. A Annaba d'abord, jeudi dernier, puis à Cap Djinet, dans la wilaya de Boumerdès, pendant le même week-end, deux jet-skis ont arraché à la vie, dans des conditions atroces, deux baigneurs venus profiter des plaisirs simples de la mer. Ils étaient sur deux plages autorisées à la baignade par les autorités et bénéficiant à ce titre d'un dispositif de surveillance et de protection des baigneurs. Les deux innocentes victimes passeront-elles par pertes et profits, comme d'autres avant elles ? Plus grave, à Annaba, le maire avait pris un arrêté pour prévenir ce genre de tragédie. Il ne s'est apparemment trouvé personne pour l'appliquer. Tout comme sur la terre ferme, les voitures et les camelots disputent les trottoirs aux piétons, des engins de la mort disputent les espaces de baignade aux estivants. Au vu et au su de tout le monde. Etat de droit, où es-tu ? A l'heure où les citoyens découvrent, outrés, à travers la presse une déliquescence nauséeuse de mœurs et pratiques politiques qui veulent s'ériger en gouvernance, c'est la notion même de justice, par-delà le respect élémentaire dû à la loi, qui doit interpeller tous les Algériens, quels que soient leur statut et leur fortune. On pourrait toujours rétorquer que l'Etat de droit est une construction dynamique, un objectif à atteindre. Bien vrai. Dans le cas de l'Algérie, l'aspiration des citoyens est plutôt modeste et raisonnable. Ils veulent juste acquérir la certitude que nous y allons, même lentement. Mais beaucoup de faits les font douter et ils ont plutôt l'impression que l'aimantation du recul est plus forte que celle de l'avancée. A la croisée des chemins ? Le constat qui s'impose de lui-même. Les dénis quotidiens du droit et des lois, dont tout un chacun peut constater les accommodements spécifiques et les contournements, sont un coup porté au devoir de justice des institutions qui transparait dans l'ensemble des dispositions constitutionnelles. Et c'est bien dommage, car l'investissement pour des réformes qui donneraient corps à ce principe cardinal est le moins budgétivore des dépenses de l'Etat. Combien coûte une volonté politique affirmée ? Zéro licence d'importation et pas de transfert de devise. Vrai ou faux, on raconte qu'un héros de la guerre de libération aujourd'hui disparu, baroudeur de première et forte tête, très forte tête, au propre et au figuré, aurait fait cette suggestion aux rédacteurs des textes de la révolution : ajouter l'adjectif «juste» à «République algérienne démocratique et populaire». Si les mots ont un sens, cela veut tout dire. A. S.