Nulle part dans la maison de mon père est le dernier ouvrage de la romancière et académicienne algérienne Assia Djebar, paru aux éditions Fayard et réédité par les éditions Sedia. Cette nouvelle œuvre se distingue des précédents ouvrages de Mme Djebar par son écriture intimiste. L'écrivaine s'abandonne à un récit intime, cédant la parole à sa propre mémoire. Après une dizaine d'ouvrages dressant une aquarelle de l'histoire de l'Algérie, d'autres concernant ses positions à l'égard de la condition féminine, en somme des écrits d'une femme engagée, révoltée mais aussi consciente de la gravité des sujets qu'elle traite avec subtilité et pertinence. Son dernier ouvrage n'est autre qu'un récit de mémoire ressuscitée avec émotion sur fond de l'histoire de son propre peuple. Mais l'auteur refuse de qualifier son livre d'autobiographique. Ayant grandi entre deux mondes complètement différents, voire opposés, l'héroïne du livre de Assia Djebar apprendra avec son père, modeste instituteur, l'importance de l'instruction et du savoir. Avec sa mère, femme issue de la bourgeoisie, elle découvrira la magie des fêtes féminines. La jeune adolescente s'initie au beau, à l'art. Elle découvre avec curiosité ces deux mondes qui l'entourent, mais y prend aussi part. Plongeant sa passion dans les livres, cette fillette porte un regard fascinant et fasciné sur son époque, un sentiment qu'elle partage généreusement avec une amie du pensionnat. Jeune et lucide, elle décèle très vite le fonctionnement de sa société entre bals européens respirant la joie de vivre et populaires guettant l'espoir. Lorsque sa famille débarque en Algérie, la femme épanouie et libre qu'est sa maman se mue en une femme moderne à l'allure européenne. Quant à l'adolescente, loin de sa confidente du pensionnat, elle entame une correspondance secrète qui se transformera en une histoire d'amour enivrante bercée de poésie et mouvementée au rythme de la vie citadine. Très vite adaptée à sa nouvelle vie et épaulée par son idylle, la jeune fille passe des heures à traîner dans les ruelles de la capitale après ses cours et cela un an avant un attentat qui secouera tout le pays et qui incitera la jeune fille à se poser des questions. Mais que sera le sort de toute une éducation sentimentale acquise au fil des années et bercée par deux mondes différents et opposés ? La romancière conclura les périples tourmentés de la jeune fille en écrivant : «Pourquoi ne pas te dire, dans un semblant de sérénité, une douce ou indifférente acceptation : ne serait-ce pas enfin le moment de tuer, même à petit feu, ces menues braises jamais éteintes ? Interrogation qui ne serait pas seulement la tienne, mais celle de toutes les femmes de là-bas, sur la rive sud de la Méditerranée… pourquoi, mais pourquoi, je me retrouve, moi et toutes les autres : nulle part dans la maison de mon père ?» W. S. Nulle part dans la maison de mon père, éditions Sedia, 486 pages, prix : 1 000 DA.