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Après une première semaine faste, demain est un autre jour
La vie d'un salarié
Publié dans La Tribune le 17 - 08 - 2009


Reportage de Adil Ramzy
La précarité de l'emploi développe la misère matérielle et morale, d'autant que l'emploi n'est plus synonyme de possibilité d'accès à des conditions de vie décente. Dans le monde, des millions de salariés sont considérés comme «travailleurs pauvres». Et encore s'agit-il, là, des seuls salariés dont le revenu est inférieur au seuil de pauvreté ; il faut y ajouter les membres de leur famille pour avoir un chiffre plus proche de la réalité. D'autres causes conduisent beaucoup de salariés à être en dehors de toute vie sociale.
La misère, c'est aussi vivre au jour le jour sans avoir accès à la protection sociale et au système de prévoyance, sans pouvoir partir en congé ou avoir accès à des loisirs. Ces conditions salariales sont aussi la cause des difficultés de logement souvent inadmissibles, obligeant, parfois, des familles entières à se
réfugier n'importe où, le plus souvent dans la rue. Dans les calendriers ordinaires, le début d'un mois correspond à son premier jour, il atteint son milieu le 15 et s'achève le 30 ou le 31. En février, c'est un ou deux jours en moins, mais l'équilibre habituel n'en est pas trop perturbé. Pour un salarié, il faudrait concevoir une tout autre répartition des jours de chaque mois. Depuis plusieurs années, et pour faciliter le travail des banques et des postes, la Trésorerie nationale effectue les versements des salaires selon un calendrier original qui s'étale sur quelques jours et en fonction duquel les agents de l'Etat perçoivent leurs mensualités à tour de rôle. D'autre part, et comme beaucoup de fonctionnaires ont contracté des prêts auprès de certaines banques, celles-ci mettent du temps à débloquer les salaires des débiteurs si bien qu'ils ne touchent leur argent que le 1er du mois.
La hausse des prix : l'autre question sans réponses
La hausse des prix est, aujourd'hui, une question qui préoccupe le monde entier. De plus en plus, les tensions augmentent dans les pays pauvres du globe, dont ceux d'Afrique, où plusieurs émeutes ont éclaté pour revendiquer une vie décente. Chez nous, en Algérie, une virée dans la rue nous a permis d'avoir différents avis sur les salaires que perçoivent les gens chaque fin de mois. Khalti Aïcha, femme de ménage dans un hôpital, s''exprime : «C'est difficile de joindre les deux bouts.» Il n'y a pas de dépenses à faire, car même quand je suis malade, je ne me soigne pas faute de moyens. […] C'est difficile. On ne peut laisser cette situation comme cela. Il faut nous trouver une solution. Je suis ménagère. Quand je reçois 10 000 DA [près de 100 euros] de mon mari à la fin de mois, après avoir acheté quelques produits de toilette, l'argent est fini.
Si je suis malade ou si ma mère me sollicite pour un cas désespéré, je ne peux rien faire. C'est difficile de joindre les deux bouts. Je suis surprise qu'on m'interdise d'acheter les médicaments sur les trottoirs chez les herboristes. C'est dur. Avec le mois de Ramadhan qui approche à grandes enjambées, je ne m'en remets qu'à Dieu, c'est tout ce que je peux faire. Aux responsables, je dirais qu'il faut créer des entreprises pour les sans-emploi ou les diplômés parce que cela fait vraiment pitié. Cela ira si seulement nous mettons notre foi en Dieu.»
Pour Nassima B, ex-secrétaire d'une APC dans la banlieue algéroise (entretien et nettoyage), «tous les jeunes sont au chômage ou travaillent dans des taxiphones ou vendent des cigarettes»
«Cette situation est difficile au point que personne ne peut s'en sortir. Tu te présentes aujourd'hui au marché avec 1 000 DA, tu n'arrives même pas à faire des emplettes de deux jours. Dans pareille situation, est-ce qu'on peut arriver à joindre les deux bouts ? Avec le mois de Ramadhan, cela va empirer. Il te faut des sacs d'argent pour préparer le plat d'une seule journée seulement. Alors, si tu reçois des invités ou des parents, il faut vraiment se plumer ou recourir à des crédits pour s'en sortir. Dieu nous en préserve ! Ce n'est pas possible. Un kilo de tomate est à 45 DA et 3 piments à 30 DA. Je gagne combien par mois ? Imaginons que tu sois même payé à 30 000 DA. Je paye mon loyer à 15 000 dinars ; ma facture d'eau et d'électricité à 6 000 DA ; le coût élevé
des médicaments et les frais médicaux, à cela s'ajoute la cherté du marché. Aujourd'hui, les gens décèdent à l'hôpital faute de moyens. On n'arrive plus à manger les mets traditionnels (Dial ezmen ya hasrah) préférés de nos régions. Comment pouvons-nous nous sortir de cette situation ? On ne le peut pas. J'accuse le manque de moyens financiers de la population et les tracasseries routières. C'est ce qui pousse les marchands à quadrupler les prix des
marchandises. Je prie pour qu'on puisse se sortir de l'ornière et vivre décemment, on a envie de bien manger, de se soigner à moindre coût et on a aussi besoin de travailler pour participer à l'essor économique de notre pays. Tous les jeunes sont au chômage ou dans les cabines téléphoniques, tables de
cigarettes. C'est difficile.»
Mêmes appréhensions chez Oussama, étudiant à l'USTHB de Bab Ezzouar. Si lui, a la chance d'aspirer à un diplôme supérieur qui lui ouvrira de nouveaux horizons, il reste très pessimiste quant à l'avenir. «Je crains pour les générations futures.», lâche-t-il avant d'exposer son point de vue.
«Il faut dire, d'abord, que c'est difficile, surtout pour nous qui n'avons pas de parents nantis. Etant étudiant, je gère une cabine téléphonique d'un parent pour subvenir à mes besoins mais tout est cher.
La situation ne nous arrange pas. Puisqu'on ne peut rester à ne rien faire et à se croiser les bras, on est obligé de faire avec. Moi, mon commerce est localisé en face d'un bar, je peux dire que cela marche un peu. Cette situation a été favorisée d'une part par les factures salées des PTT à cause de quoi les gens ne peuvent plus appeler de chez eux. Il préfèrent le faire d'une cabine téléphonique ; ils peuvent contrôler leurs appels. C'est à cause de la crise que tout est devenu cher. Nous sommes dans cette situation mais je crains pour l'avenir de nos enfants dans cinq années ou même 10 années. Ce sera pire pour les générations futures.»
De son côté, Sofiane A., titulaire d'une licence en droit, au chômage, n'hésite pas à affirmer que c''est au niveau des taxes que réside le problème. «A mon avis, ce n'est pas un problème algérien, c'est planétaire. Il s'étend au monde entier. Puisque nous importons plus que nous ne cultivons.
Au niveau national, il y a des responsables qui sont souvent à la base de la hausse des prix. Et cela est dû aux tracasseries éparses que sont les charges, le transport, les impôts, les taxes les tchipas. Depuis 2006, j'ai ma licence en poche sans boulot. Je fais de petits commerces pour joindre les deux bouts. Cela ne va pas, mais on fait avec. Puisqu'on n'a pas d'autre issue. Pour l'avenir, cela peut s'améliorer si nous essayons de cultiver en quantité suffisante pour
ne plus tendre la main.
Le gouvernement doit réduire les taxes. Même si cela est fait, sur le marché il y a d'autres réalités. Les prix officiels ne sont toujours ceux que l'on retrouve sur le marché.
Il y a beaucoup à faire pour sortir d'une telle situation.», explique-t-il.
Rabah, plombier et vitrier, décrète quant à lui que c'est le marché informel qui est la cause de tous les malheurs.
«Je vis cette situation délétère comme tout le monde. Mais il y a longtemps qu'en Algérie on se nourrit au-dessus de ce qu'on gagne. C'est parce que c'était exagéré qu'il y a eu parfois émeutes. Sinon, ce problème n'est pas nouveau. J'arrive difficilement à joindre les deux bouts. Evidemment, mes gains n'arrivent pas à absorber mes dépenses dans la mesure où j'ai constaté que j'ai des arriérés de loyer et de terribles difficultés financières. Moins de travaux signifie moins de gains. Alors que je ne suis sollicité souvent qu'une fois toutes les deux semaines. Les gens ont d'autres priorités. Une vitre cassée peut attendre devant un ventre affamé. Avant, quand même, j'arrivais à m'en sortir. Mais aujourd'hui, ce n'est pas la peine. La situation de crise que nous avons connue a empiré les choses. Quand je jette un regard sur l'actualité mondiale, je vois bien que la situation dans le monde est peu reluisante. D'aucuns parlent de la montée du pétrole mais moi en tant qu'Algérien, c'est le marché informel qui est la cause de nos malheurs.
Ma crainte, c'est que cette situation empire, c'est une évidence, d'ailleurs, qu'elle s'empire. Avec le mois de piété qui arrive, les commerces qui poussent comme des champignons, les prix qui augmentent, les augmentations de salaires qui tardent à venir », argue-t-il.
Du côté des patrons, Saïd-Ahmed D., directeur d'une entreprise privée, ne voit pas d'autre solution que la production pour faire baisser les prix. «Tout est cher chez nous. C'est le constat. Mais si l'on se décide à produire au lieu de ne s'intéresser qu'aux postes standard, les choses vont bouger. Quand on produit,
on n'est pas obligé d'aller quémander et, donc, d'endosser des taxes colossales pour ensuite venir les imposer au peuple. Si l'on ne veut pas subir la détérioration des termes de l'échange, il faut que nous produisions.
On n'a pas besoin de faire de la politique ou de l'intox pour cela. Il faut produire soi-même et consommer soi-même. Pour joindre les deux bouts, je gère mes affaires qui, depuis la crise, ne sont pas aussi productives qu'il y a cinq ans. On gagne moins aujourd'hui, souvent, il faut deux salaires par couple pour y parvenir.», explique-t-il.
La «harga», l'autre moyen de fuir le mal-vivre
Les classes moyennes sont en danger dans la mesure où celles-ci s'appauvrissent tandis que la classe supérieure s'enrichit, ce qui donne une image de rétrécissement des classes. Le fait est que les jeunes d'aujourd'hui perdent espoir, s'accrochent à la «harga» et semblent pleins d'avenir dans la précarité. C'est un autre signe révélateur de la mal vie. Ils rêvent tous de l'éden d'outre-mer. Ce rêve le plus souvent, ils n'arrivent pas à le réaliser, ils périssent
en haute mer, brûlés par le soleil auquel ils sont exposés durant des heures dans ces embarcations de fortune, ou de soif car les réserves d'eau s'épuisent à mi-chemin. Quant au père salarié qui reçoit son revenu à la fin du mois, c'est toujours une première semaine de folie. Les premiers jours sont ceux du «faste» de la grande «zerda». On dépense sans retenue, on brasse large et on a le cœur sur la main, c'est pourquoi celle-ci n'arrête pas d'aller à la poche pour en retirer les billets et les liasses les unes après les autres. On se permet quelques sorties, des fantaisies et des cadeaux, des folies quoi et l'on se dit après : ‘Demain est un autre jour.'. D'autres salariés vous répèteront, quant à eux, le fameux refrain d'Abou Nouas «Aujourd'hui, je me saoûle et j'attendrai demain vaquer à mes occupations» ! Les beaux jours sont généralement ceux de la première semaine et au mieux de la dizaine. Après quoi, on commence à racler le fond des poches, faire les comptes d'épicier, à serrer la ceinture, la faire reculer de deux crans en arrière, à crier après ses enfants ou son épouse lorsqu'ils osent demander un frais supplémentaire, à maudire l'Etat et surtout la société de consommation, les chefs entreprise, les patrons qui exploitent les travailleurs.»


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