Si les penseurs, les experts nationaux, et il y en a de haut niveau, s'accordent sur les éléments constitutifs et fondateurs de la culture et de l'identité nationales, leurs voix ne sont pas forcément écoutées et leurs avis ne sont pas pour autant pris en considération. Si le mouvement national, dès l'origine et dans sa diversité patriotique et la terrible guerre de libération qui l'a suivi -l'une des plus meurtrières et des plus emblématiques du XXe siècle- ont été le creuset essentiel et existentiel, leur dévoiement vers des chemins pervers a été, lui aussi, exemplaire dans l'infortune et vers des régressions à l'œuvre chaque jour dans le pays avec la jeunesse comme première victime. Sans repères historiques et culturels enracinés dans sa mémoire et dans ses comportements quotidiens, cette jeunesse créative, audacieuse, avide de se mesurer aux défis de la mondialisation et du siècle en cours, n'a démontré, hélas, son patriotisme, sa solidarité et son ancrage que lorsqu'il s'est agi d'un match de football. Mais si ce sport, populaire par excellence, fait partie des stratégies politiques et de domination dans tous les pays, il est loin d'être suffisant pour définir un être national, un consensus partagé et une volonté inclusive de tous au service d'une seule patrie, du développement, des libertés et d'un progrès justement réparti sur toutes les franges de la population. Dans un versant souterrain, dans une grande cacophonie de valeurs, souvent extérieures au cursus historique, au combat libérateur qui a brassé, selon des degrés divers, des nationalistes, des communistes, un «clergé» musulman, des agnostiques, des lettrés et des paysans illettrés, des femmes et des jeunes prêts à mourir, la société nolens volens a connu et connaît à ciel ouvert des mutations contradictoires, faute d'un cap négocié et admis par tous. Par la force d'éléments culturels, non pas étrangers mais nocifs, archaïques, chargés d'exclusives, d'intolérance, d'une volonté hégémonique porteuse de ténèbres et de régressions visibles dans la gestuelle quotidienne, les fondements progressistes sont sérieusement ébranlés. La nécessité de remettre sur des rails solides, vers une direction pertinente et collective, des mutations culturelles qui peuvent aboutir à une marche forcée vers l'inconnu, sinon vers des pistes minées, porteuses de terribles régressions et d'une anomie généralisée. La société algérienne est incluse dans une économie, une communication intensive, mondialisées, servies par de formidables organisations industrielles, scientifiques, technologiques, politiques, numériques, dans lesquelles les progrès de la veille sont dépassés le lendemain. Entre des masses d'informations, de projets de société, de panels de gouvernance et de démocraties qui pleuvent par satellites, les différents segments de la société sont éclatés. Entre ses murs, l'intellectuel éclairé, le chômeur, la femme, le riche à milliards, le fonctionnaire, le rentier buveur de pétrole, chacun est branché selon son parcours et sa culture. Il y a autant d'Algérie que de composantes sociales. Fédérer autour d'une identité que n'importe quel match de foot (fût-il une finale de Coupe du monde) est un projet politique d'une grande envergure et d'une immense responsabilité devant l'histoire, la nation et l'avenir d'une magnifique jeunesse capable du meilleur comme du pire pour peu que les circonstances s'y prêtent et pour peu que l'intérêt qu'elle mérite et attend soit là. A. B.