Photo : Riad De notre envoyé spécial dans les camps de réfugiés sahraouis à Tindouf Samir Azzoug Arrivée au camp de réfugiés «27 Février» (en référence à la date de la fondation de la République arabe sahraouie démocratique par le Front Polisario en 1976) le dimanche 3 janvier à 12h30. Une dizaine de kilomètres le sépare de l'aéroport de Tindouf. Le camp est une succession de demeures construites avec des briques de parpaing, composées de salles uniques surplombées d'une toiture en zinc ondulé. Les sanitaires, par manque d'eau et de raccordement à un réseau d'évacuation (c'est du luxe vu les circonstances) sont toujours «bâtis» à quelques mètres de la «résidence». Entre les briques de parpaing formant la demeure, la cuisine et les sanitaires, est érigée une grande tente. La délimitation des «propriétés» se fait à l'aide de pierres et de fil de fer. A la sortie du camp, plusieurs petits espaces sont clôturés par des grillages. «ça sert à rassembler les troupeaux de chèvres pour la nuit», explique Abdelaziz, un Sahraoui de 35 ans. Vu l'espace de l'enclos, le «troupeau» ne saurait excéder quatre ou cinq têtes. Les chameaux sont introuvables. Il faut dire que, dans une région aussi austère, le pâturage se fait rare. Heureusement que les caprins ne font pas la fine bouche. Dans le camp, on ne peut pas dire que l'activité économique soit prospère. Ce qui pourrait faire office de centre-ville se résume à «El Mersa» (marché) : quelques commerces de produits artisanaux sommaires, d'alimentation générale, entre autres, grâce aux dons humanitaires et des kiosques multiservices spécialisés dans la vente de cartes de recharge pour la téléphonie mobile. Des familles démembrées «Ici, le téléphone est primordial. Chaque famille a au moins un de ses membres établi à l'étranger. C'est le seul moyen de rester en contact», informe Abdelaziz. L'absence de perspectives économiques et sociales, les établissements scolaires se résumant aux cycles primaire et secondaire et l'occupation des territoires sahraouis par le royaume marocain font que les familles (grandes et petites) se retrouvent démembrées. «A cause de l'occupation marocaine, des familles entières sont séparées. Dans les camps, les jeunes, filles et garçons, poursuivent leurs études en Algérie, en Libye, en Espagne ou à Cuba. Certains, même s'ils reviennent régulièrement, s'établissent dans ces pays pour travailler. Mais beaucoup d'étudiants, une fois leur cursus terminé, reviennent au camp, sans autre alternative que de travailler comme manœuvres ou dans le commerce», déplore ce jeune Sahraoui. Un nouveau souffle pour la cause Durant notre séjour dans les camps, les événements phares des réfugiés sahraouis étaient l'arrivée du nouveau chef de la mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental (Minurso), M. Abdel Aziz Hany et, pour la première fois, celle du président de l'Assemblée populaire nationale algérienne, M. Abdelaziz Ziari, troisième personnalité politique de l'Etat algérien. Un mois de grève de la faim observé par la militante des droits de l'Homme Aminatou Haidar, a donné un nouveau souffle à la cause sahraouie. Empêchée par les autorités marocaines de rejoindre son domicile à El Ayoune occupée, l'action de la lauréate du «Prix du courage civil», décerné par la Fondation John Train (Etats-Unis) s'est vue refouler de l'aéroport d'El Ayoune vers Lanzarote, dans les îles Canaries, où elle déclenchera une véritable mobilisation internationale qui s'est traduite par des pressions politiques sur le royaume chérifien. Cette action a eu pour effet de sensibiliser la planète et de remettre au goût du jour la cause sahraouie. Dimanche 3 janvier. 13 heures. Dès leur arrivée au camp «27 Février», les invités sont pris en charge par des familles d'accueil. Aux petits soins, les réfugiés accueillent dignement leurs hôtes. Rapidement, le thé est préparé puis le déjeuner servi. Après une courte détente, la visite du camp s'impose. Un petit tour à «El Mersa» est vite écourté par une rumeur faisant état de l'arrivée du représentant personnel du secrétaire général des Nations unies. Direction le siège de l'Association des femmes sahraouies. Mohamed VI dément Hany Après avoir discuté à huis clos avec les représentantes féminines, M. Abdel Aziz Hany, fraîchement arrivé dans les camps après une visite à Rabat et à El Ayoune occupée, semble satisfait de ses prises de contact avec les responsables marocains et sahraouis. «Il y a une volonté d'engager des négociations officielles et non officielles pour faire avancer les choses sous l'égide de l'ONU. Je n'ai senti, des deux côtés, ni réticence ni intransigeance», affirme le nouveau chef de la Minurso. Les propos rassurants de Hany sont vite démentis. L'intervention du roi Mohamed VI, sur les chaînes satellitaires marocaines, captées par les réfugiés sahraouis, n'augure rien de bon. 21h. Les alentours du camp de réfugiés sont vides. Les Sahraouis sont devant les écrans TV à écouter le discours de Mohamed VI. «Que va dire le roi ? Il n'y a aucun évènement précis pour que Mohamed VI s'adresse à sa nation. Il y aura peut-être du nouveau», s'interroge Ahmed, la tête emmitouflée dans un chèche. Une fois la communication terminée, le père de famille fulmine. «Le Maroc s'enlise davantage. Malgré les pressions internationales, il tente un nouveau coup de bluff.» Cette fois, le monarque installe une commission consultative de régionalisation pour lancer un nouveau mode de gouvernance territoriale appelée «régionalisation avancée» qui inclut les territoires occupés. «Le conflit sahraoui est fomenté par des étrangers», persiste Mohammed VI. Arrivée de Ziari Lundi 4 janvier, 10h. C'est le branle-bas de combat. L'arrivée de Abdelaziz Ziari est imminente. Direction le camp de réfugiés d'El Ayoune. La mobilisation est générale. Une foule est amassée à l'entrée du camp. Des enfants, des femmes, des vieilles personnes et des plus jeunes portant les drapeaux sahraouis et algériens, scandent des slogans pour l'indépendance du Sahara occidental. «Pas d'alternative à l'autodétermination», crie l'assistance, suivie par les youyous des femmes. Le président de l'APN, M. Ziari, et la délégation qui l'accompagne sont accueillis chaleureusement par leurs homologues sahraouis. Une petite tasse de thé, rapidement siroté, puis ils se dirigent vers une petite école des camps d'El Ayoune. Dans une salle comble, les discours prononcés par MM. Ziari et Bachir Moustapha Essayed, coordinateur des branches politiques du Front Polisario, galvanisent les réfugiés. «La bataille de Mme Haider a porté un coup dur au régime marocain. Cela a eu pour répercussion de faire tomber le masque marocain qui apparaît aujourd'hui sous sa véritable nature de colonisateur. Le Maroc n'est plus digne de coopérer avec l'Union européenne tant qu'il ne respecte pas les droits de l'Homme. La proposition de l'autonomie est une utopie stérile. Plus que cela, le lobby espagnol, qui soutient le royaume, a reçu un véritable camouflet. Il est temps de payer les atrocités commises par les Espagnols sur le peuple sahraoui. Des personnes ont été vendues comme de la marchandise, les Espagnols sont tenus d'indemniser les Sahraouis», fulmine Bachir Moustapha Essayed. «Aujourd'hui, le terrain est propice, sur la scène internationale, pour accepter nos revendications. A commencer par la libération de prisonniers politiques, à leur tête les sept arrêtés dernièrement. Le mur qui sépare les familles dans le Sud doit être détruit et la Minurso doit reprendre ses forces et se renforcer par une police onusienne. Il faut une force pour protéger les droits de l'Homme», poursuit-il sur sa lancée. Les réfugiés approuvent les propos du coordinateur et scandent le nom d'Aminatou Haidar. Une cause sacrée pour les Algériens La prise de parole du président de l'APN est très chaleureusement accueillie. «La cause sahraouie est sacrée pour les Algériens, peuple et dirigeants. Car nous savons ce qu'est la colonisation. A nous aussi on avait proposé l'autonomie, promis des programmes de développement. Quelles que soient sa langue ou sa religion, un colonisateur reste un colonisateur. Nous sommes aux côtés du peuple sahraoui quels que soient ses choix envers et contre tout. C'est une cause juste. Nous le soutenons dans sa démarche légitime de revendication de son droit : l'autodétermination sans condition dans le cadre des résolutions internationales», plaide M Ziari. Une réponse en filigrane à l'intervention de roi. La salle exulte. Fin des discours. Direction le siège provisoire de l'Assemblée populaire sahraouie. Les présidents des deux assemblées ont signé un nouveau protocole de coopération. «Les moyens de l'APN sont au service de l'assemblée sahraouie», déclare le président. Après la cérémonie de signature du protocole, le Premier ministre sahraoui déclare : «L'Union européenne, présidée actuellement par l'Espagne, ainsi que l'ONU doivent exercer des pressions sur le régime marocain afin qu'il reconnaisse la légitimité de l'autodétermination du peuple sahraoui.» Après avoir distribué des cadeaux symboliques aux députés sahraouis, la délégation algérienne se rend au siège de la Présidence à Rabouni, où le président Mohamed Abdelaziz reçoit Ziari. Mohamed Abdelaziz fustige le roi Après le déjeuner de vigueur, le président de la RASD prononce un discours très attendu. Réponse sèche, brute, sans ambages et sans concession aucune au monarque marocain. «C'est un coup de couteau lâche donné dans le dos de la communauté internationale. Une nouvelle fuite en avant qui entrave les efforts des Nations unies qui s'attellent à trouver une solution pacifique au conflit», constate M. Mohamed Abdelaziz. «Devant cet acharnement marocain, il est temps que chacun assume ses responsabilités et impose des sanctions à ce régime jusqu'à ce qu'il respecte la légitimité du droit international», poursuit-il en demandant au monde d'arrêter de signer des accords avec le Maroc «quelles que soient leur nature et qui touchent les territoires occupés». Le président de la RASD demande également à l'Union européenne de geler l'attribution de statut de privilégié au régime marocain tant qu'il ne respecte pas les conventions internationales. «Le Sahara occidental n'a jamais été et ne sera jamais marocain. Son sort reste entièrement entre les mains de ses populations», rappelle-t-il. Le discours est accueilli avec satisfaction par les réfugiés du camp «27 Février». «Notre misère a trop duré. Mohamed VI n'a pas encore compris que les revendications des Sahraouis n'ont pas trait au développement, mais bien à l'indépendance. Les plans qu'il propose ne nous concernent pas. On n'est pas marocain. Ce n'est pourtant pas dur à comprendre ! On est plus que jamais sahraouis», explique Abdelaziz le réfugié. Fin d'après-midi, M. Ziari et sa délégation reprennent la direction d'Alger. Hany poursuivra sa tournée dans les camps de réfugiés, se rendra à Alger, Nouakchott et, probablement, à New York. Et les réfugiés attendent de voir leurs terres libérées.