Une junte militaire a pris le pouvoir au Niger par un coup d'Etat le 18 février dernier. Depuis, elle a mis en place un gouvernement pour gérer une transition que la société civile espère courte. Le Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD, junte) avait proclamé chef de l'Etat son numéro un, le chef d'escadron Salou Djibo, le temps d'une «période de transition» dont la durée n'a pas été précisée. Le pouvoir à Niamey Les hommes forts de Niamey sont au nombre de trois : les colonels Djibrilla Hima Hamidou, Abdoulaye Adamou Harouna et Goukoye Abdul Karim. Ils dirigent la transition et orchestrent la succession. A leurs côtés, trois «cerveaux» d'autant plus connus des Forces armées nigériennes qu'ils n'en sont pas à leur première participation à un putsch. Les colonels Djibrilla Hima Hamidou, Abdoulaye Adamou Harouna et Goukoye Abdul Karim étaient impliqués, en 1999, dans le coup d'État qui a coûté la vie à Ibrahim Baré Maïnassara. Par ailleurs, ces putschistes récidivistes ont gravi les échelons à travers leurs faits d'armes. Tous trois ont pris part aux combats qui, dans le nord du pays, opposaient les forces armées régulières aux combattants de la rébellion touarègue.Issu d'une famille de militaires, Abdoulaye Adamou Harouna a été présenté dans un premier temps comme le nouvel homme fort. Il était avec les «bérets verts» de la compagnie d'appui, l'unité des blindés qui a pris d'assaut le palais présidentiel. Il a été ensuite commandant des Casques bleus nigériens en Côte d'Ivoire. Promu colonel en octobre dernier pour ses faits d'armes contre les rebelles touareg, cet homme taciturne est réputé courageux au combat. Goukoye Abdul Karim est l'auteur de la déclaration qui restera dans les annales comme l'acte scellant le coup d'État. Il cumule les fonctions de directeur du renseignement militaire et de porte-parole de l'armée. En juin 2009, au lendemain de l'appel de l'opposition à l'armée pour «restaurer la démocratie», il avait réaffirmé la «volonté des Forces armées nigériennes de respecter les règles et les institutions de la République». Au sein de ces trois cerveaux, une personnalité se distingue par sa popularité. Djibrilla Hima Hamidou, puisque c'est de lui qu'il s'agit, a présidé l'Association sportive des forces armées nigériennes (Asfan), de l'avis unanime, le club le mieux géré et le mieux loti du pays. Formé à l'Académie militaire royale de Meknès, au Maroc, il a été élu, en 2009, à la tête de la Fédération nigérienne de football (Fenifoot) pour redresser une structure minée par l'absence de résultats et des scandales à répétition. Hima Hamidou était déjà aux côtés du putschiste Ibrahim Baré Maïnassara, au pouvoir de 1996 à 1999, avant de le lâcher pour soutenir son tombeur, Daouda Mallam Wanké, chef du Conseil de réconciliation nationale dont il fut le porte-parole. Après l'élection présidentielle de 1999, il est nommé par Mamadou Tandja chef de la division des blindés, puis commandant de la zone de défense numéro 1 de Niamey, Tillabery-Dosso. Le 18 février dernier, il a joué un rôle décisif dans l'occupation des points stratégiques de la capitale.Mahamadou Danda a été nommé Premier ministre. C'est un civil habitué des régimes militaires. Ainsi a-t-il été ministre des Ressources animales et de l'Hydraulique entre 1987 à 1988, dans le gouvernement du général Ali Saïbou qui succéda à Seïni Kountché après sa mort. En 1999, il occupe le poste de ministre des Sports, de la Culture et de la Communication et est porte-parole du gouvernement de transition du commandant Daouda Mallam Wanké. Ce dernier était arrivé au pouvoir après le putsch contre le général Ibrahim Baré Maïnassara. Après 1999, il prend ses distances avec la politique de son pays pour devenir conseiller à l'ambassade du Canada à Niamey.Danda revendique son indépendance et affirme n'être affilié à aucun parti. Abdourahamane Ousmane, du Réseau des journalistes pour les droits de l'Homme (RJDH), confirme. Danda affirme avoir demandé à la junte «des garanties nécessaires pour être sûr de s'engager dans un processus devant aboutir à la restauration réelle de la démocratie». La Constitution très controversée d'août 2009 a été suspendue et des élections ont été annoncées à l'issue de la transition dans laquelle tous les partenaires politiques seraient impliqués. L'inévitable axe Niamey-Paris Un article publié sur Wordpress a pour titre «Quoi que vous lisiez sur le Niger, n'oubliez jamais l'essentiel». L'essentiel est ce qui motive la modération d'un grand nombre de réactions internationales. La France en tête. Dans le communiqué du ministère français des Affaires étrangères, nous pouvons lire : la France «condamne» la prise du pouvoir par les militaires au Niger «par des voies non constitutionnelles» et appelle au «dialogue pour trouver une sortie de crise».La cause de la modération française est l'uranium. En 2008, Areva a exploité 6 300 tonnes d'uranium dans le monde, dont près de la moitié au Niger. Pour 2009, on évoque une production totale de 8 630 tonnes dans le monde, dont plus de 3 200 au Niger. Areva prévoit d'investir 1,2 milliard d'euros pour exploiter la deuxième mine d'uranium mondiale. Un accord intervenu après des mois, voire des années de négociations ardues, émaillées de l'expulsion du pays du représentant d'Areva en 2007. Le gisement d'Imouraren doit être exploité à partir de 2012 et doit produire 3 000 tonnes en 2015 et 5 000 tonnes à terme. En termes de réserves, l'importance du Niger pour les activités minières d'Areva est encore plus impressionnante. Le groupe exploite deux sociétés minières depuis la fin des années 1960 et emploie au total 2 500 collaborateurs sur place, ce qui fait de lui le premier employeur privé du pays. Face à la France, la Chine Or, suite au coup d'Etat, le secrétaire d'Etat français à la Coopération Alain Joyandet a estimé hier qu'il n'y avait «aucune raison de craindre» une remise en cause du partenariat entre l'Etat du Niger et le groupe nucléaire Areva, au lendemain d'un coup d'Etat dans ce pays. «Les militaires qui ont pris le pouvoir ont affirmé qu'ils respecteraient les traités et conventions signés par le Niger», a déclaré Alain Joyandet au quotidien le Parisien.Il est important de signaler qu'Areva jouissait d'un monopole jusqu'en 2007 par le biais de ses deux filiales locales, Cominak et Somaïr. Le président déchu a cherché à sortir de cette relation d'étroite dépendance en octroyant, ces deux dernières années, des licences d'exploration à une centaine d'autres compagnies étrangères. La China National Petroleum Corp, elle, a conclu un contrat de cinq milliards de dollars en juin.En 2007, Areva a, par ailleurs, été accusé de soutenir la rébellion touareg, active dans les zones où se trouvent les gisements. En apparence, Areva et le régime Tandja s'étaient réconciliés avec l'inauguration du gisement d'Imouraren en mai de la même année. Etait-ce réellement le cas ? Le précédent pouvoir, malgré les assurances d'investissement prises par le groupe nucléaire français, continuait à jouer la carte des firmes chinoises et iraniennes au titre d'attribution de permis d'exploitation de l'uranium, écrit Ismael Aidara. Par ailleurs, selon l'hebdomadaire Challenges, Nicolas Sarkozy avait prévu de dépêcher à Niamey fin février son ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner ou son ministre de l'Industrie Christian Estrosi afin de dissuader le président Mamadou Tandja de se rapprocher des Chinois et des Iraniens. La même information était donnée par Jeune Afrique dans son numéro 2559. Ainsi le président français Nicolas Sarkozy était-il inquiet du virage opéré par le président Tandja, quelques mois après la signature des accords avec le puissant groupe français Areva. Sarkozy «a reçu récemment un rapport faisant état de la volonté du président nigérien, Mamadou Tandja, que l'on sait diplomatiquement isolé, de nouer des liens privilégiés avec l'Iran, la Chine et la Libye. Un voyage de Tandja à Téhéran est à l'étude. Son éventuelle concrétisation, au vu des intérêts d'Areva dans l'uranium du Niger, préoccupe beaucoup Paris». Les tensions avec la France s'étaient aiguisées aussi en raison des accusations adressées au groupe français et selon lesquelles Areva finançait la rébellion du MNJ. Le journal la Hache nouvelle avait même publié des documents bancaires -vrais ou faux - tendant à prouver qu'Areva a viré sur le compte d'un commandant de peloton des forces nigériennes dans le Nord (qui allait rejoindre le MNJ quelques semaines plus tard), une somme de 80 000 euros, écrit Mohamadou Houmfa. C'est d'ailleurs en raison de cette affaire que le gouvernement nigérien a expulsé deux responsables de la compagnie française : Gérard Denamur, responsable chargé de la sécurité à Imouraren, et Dominique Pin, directeur général d'Areva Niger. Les «bons» coups d'Etat ? Les militaires auteurs d'un coup d'Etat ont pris l'habitude de se présenter comme les sauveurs d'une situation de crise et, par la suite, d'affirmer qu'ils n'étaient pas intéressés par le pouvoir et qu'ils se contenteraient de gérer la transition, avant de remettre le pouvoir aux civils issus d'élections libres. Qu'en est-il du coup d'Etat du Niger ? Premièrement, ce coup d'État met fin à plusieurs mois de tensions politiques. La volonté du président Tandja de se maintenir au pouvoir en 2009 l'a poussé à modifier la Constitution de 1999, qui limitait le nombre de mandats présidentiels à deux. Ce faisant, il a déclenché les foudres de l'opposition et de la très puissante société civile nigérienne. Le référendum du 4 août 2009 est boycotté par l'opposition et déclaré illégal par la Cour constitutionnelle. De grandes manifestations ont lieu à travers le pays. Des militaires se montrent de plus en plus opposés mais restent discrets et les condamnations internationales ont été faibles. Par la suite, les élections législatives d'octobre 2009 sont boycottées par l'opposition, précédant le 22 décembre, la fin légale du second mandat du président Tandja. Le fait qu'il se maintienne au pouvoir entraîne la suspension du Niger de la CEDEAO, le gel de l'aide européenne, et des pressions régionales importantes, notamment celles émanant du Nigeria. Certaines réactions tendent à laisser penser que ce coup d'Etat est effectivement un événement «positif» pour le Niger. Un quotidien burkinabé estime que le coup d'Etat contre le président nigérien Mamadou Tandja a, selon lui, valeur d'avertissement pour les despotes africains : les putschistes réussiront toujours là où les urnes ont échoué, quand les dirigeants remanient les Constitutions pour rester au pouvoir. Aussi le journal critique-t-il la décision prise par l'Union africaine (UA), le 19 février dernier, de suspendre le Niger de ses instances. «Enferrée dans ses principes, l'UA n'avait pas le choix, puisqu'elle a déclaré hors la loi les putschs depuis son sommet d'Alger de 1999…». Pourtant, poursuit-il, «les putschistes ont rendu ‘‘service'' à cette institution qui ne savait comment gérer le cas nigérien».L'omniprésence des coups d'Etat sur le continent et le fait que ces derniers apparaissent comme un moyen d'alternance n'est pas un hasard. Ces coups de force «soulignent le faible degré d'institutionnalisation, aussi bien étatique que démocratique. Comme par défaut, l'armée se profile comme la seule force en mesure de prendre le relai. C'est aussi ce qui explique en partie le soutien populaire à ce genre d'intervention, avec le risque d'un marché de dupes». L'attrait du pouvoir Le Niger n'en est pas à sa première expérience d'«alternance par le coup d'Etat». Le cas nigérien n'est pas isolé, mais est symptomatique d'un «mode d'alternance politique» dans une bonne partie de l'Afrique (Côte d'Ivoire, Mauritanie, Mali, Burundi, Centre-Afrique, etc). Au Niger, un mode de gouvernance a été remis en question, analyse le politologue Makita Kasonga, pour qui «la mesure peut s'avérer salutaire s'il s'agit bien de rétablir le processus démocratique». Il voit dans ce coup d'Etat «un épisode marquant un creux de la vague» mais pas du tout la fin de l'aventure démocratique dans ce grand pays sahélien. Mais les promesses des militaires putschistes ne correspondent pas toujours à la réalité. «Les militaires sont souvent tentés par l'exercice durable du pouvoir. Il n'est donc pas évident que des élections aient lieu dans les prochains jours, ni exclu que le chef de la junte soit candidat à la Présidence et s'empare carrément du pouvoir», poursuit Makita Kasonga. Un exemple récent conforte ces doutes. En Guinée, le capitaine Moussa Dadis Camara clamait ne pas être intéressé par le pouvoir. Au Niger, Ibrahim Baré Maïnassara, avait été accueilli en héros, après son putsch de janvier 1996, trois ans après la toute première élection démocratique jamais organisée dans le pays. Il avait mis fin aux incessantes querelles des politiciens, contraints à une difficile cohabitation. Au lieu de rendre le pouvoir, Ibrahim Baré Maïnassara s'était fait élire en juillet 1996, lors d'un scrutin contesté. Il avait ensuite endossé l'habit civil, mais cet ancien chef d'état-major s'est avéré piètre politique. L'ex-héros a été tué lors d'un nouveau putsch en 1999, perpétré par Daouda Mallam Wanké, le chef de la garde présidentielle. Neuf mois plus tard, sous la pression internationale, ce dernier rendait le pouvoir aux civils. Des contre-exemples existent aussi. Le Malien Amadou Toumani Touré (ATT), qui a renversé le général Moussa Traoré en 1991 et remis un an plus tard le pouvoir à un civil après une élection à laquelle il ne s'est pas porté candidat. Face au reflux démocratique, aux coups d'Etat, au retour en force de pouvoirs autoritaires, Makita Kasonga ne parle pas d'échec du processus de démocratisation en Afrique. Il y voit des «épisodes» de ce «long fleuve pas du tout tranquille». En fait c'est une situation où il existe «une demande d'ouverture et de transparence démocratique de la part de la société civile, qui n'a pas encore tous les moyens d'expression pour marquer sa demande». C'est pourquoi, estime-t-il, à tout moment et n'importe où, peut survenir un coup d'Etat, comme une réponse à une dérive autoritaire ou à un besoin de rétablissement d'un semblant d'ordre. La démocratie est une chose trop sérieuse pour la laisser aux… L. A. H.