Batna, la cité historique ancrée au cœur des Aurès veut se débarrasser de ses carcans de vieille ville pour affirmer plus fort que jamais sa modernité. Les 1 188 271 âmes algériennes, majoritairement des Chaouis, qui y vivent aspirent tous au développement censé être porteur d'une vie meilleure. Oui, car comme tous les Algériens, les Batnéens rêvent d'une vie meilleure. Et comme la mer est loin pour fuir, ils se partagent, dans une sage résignation, la superficie de 12 028 km2 où ils vivent au jour le jour les mêmes affres sociales que leurs concitoyens des autres régions, à quelques différences près. Problèmes de logement, vie chère, chômage et peu d'espace de divertissement, autant d'indicateurs qui peuvent expliquer l'augmentation de la délinquance juvénile qu'a connue la région ces dernières années. Mais en cette chaleur estivale de la fin du mois de juillet, rien n'en transparaît et le calme règne dans les artères de la ville. Les habitants vaquent à leurs occupations quotidiennes avec discrétion et sans trop se poser de questions. Le climat sec et humide ne semble d'ailleurs pas les déranger plus que ça. Et pour cause, ils ne souffrent pas des encombrements, de l'agitation polluante et si épuisante de la capitale et des grandes villes même s'ils n'ont pas les privilèges des espaces de détente, d'activité et de loisir dontbénéficient les habitants de ces mêmes grandes villes… Mais l'heure est au changement et l'espoir est plus que jamais permis. Considérée comme la 6ème plus grande agglomération du pays, la wilaya de Batna, après des décennies de délaissement, semble enfin sur le point de s'ouvrir à son monde et surtout aux tentations salvatrices du progrès. Une tournée sur le terrain s'impose. Désireux de découvrir les projets de développement en perspective pour cette ville qui n'est pas en manque d'atouts géographiques et patrimoniaux, nous avons entrepris une tournée de quelques directions de plusieurs secteurs déterminants : tourisme, jeunesse et sports, culture, emploi et santé… Autant de secteurs dont les responsables nous ont livré leurs bilans, mais aussi leurs projets pour établir un état des lieux quelque peu global sur ce qui se fait pour le développement de cette ville. Tourisme : de grandes ambitions mais peu de moyens Pour relancer le tourisme dans la ville, tous les espoirs se tournent vers les investissements privés, surtout dans le créneau de l'hôtellerie. Mais pas seulement. «Il y a aussi le travail de proximité, la requalification des ressources humaines et la création de zones d'expansion touristique pour développer l'écotourisme et le tourisme culturel, mais également pour l'augmentation des capacités d'accueil», explique le directeur du tourisme de Batna, Rabah Abdelouahab. 25% seulement des 730 lits que compte la ville sont estimés «potables», selon les chiffres de la direction du tourisme qui a fait beaucoup de malheureux en 2007 avec 95 interventions pour des sanctions visant la mise à niveau des structures touristiques. Et à cet effet, 8 hôtels sur les 14 en exercice dans la wilaya ont reçu des arrêtés de fermeture. En attendant que ces établissements se mettent à niveau, 5 nouveaux hôtels privés dont la livraison est prévue à la fin de l'année 2008 sont en construction. Ces nouvelles acquisitions augmenteront les capacités d'accueil de 240 chambres et de 480 lits. 3 000 touristes ont transité par les hôtels batnéens l'an dernier mais la wilaya en veut beaucoup plus. Elle a hérité des grandes ambitions nationales pour la relance du tourisme algérien, mais elle est confrontée, malgré elle, au peu de moyens dont elle dispose sur le terrain. Le plus dur pour la direction du tourisme de Batna est de réussir à porter les grandes ambitions affichées par le premier responsable du secteur avec des moyens quelque peu dérisoires. Ce qui constitue le premier paradoxe auquel nous sommes confrontés lors de notre tournée… Et ça n'a malheureusement pas été le dernier ! Le second croisé sur notre chemin concerne un certain Festival international de grande envergure organisé dans l'univers culturel quasi désertique de Batna. Le désert culturel hors du Festival de Timgad Le Festival international de Timgad est bel et bien une bouffée d'oxygène. Un espace d'évasion qui arrache les Batnéens à la platitude d'un quotidien souvent pénible. Une aubaine pour cette ville en mal d'animation culturelle. Et en dehors de ces dix journées de festival par an, les jeunes de la wilaya de Batna n'ont pas d'espaces de divertissement et de culture. Le grand projet culturel de la wilaya est la construction de la réplique du théâtre antique de Timgad, non loin du site archéologique. Un théâtre de 5 000 places dont le coût global est de 170 millions de dinars. La maison de la culture de la wilaya a également bénéficié des attentions de la direction de la culture qui l'a réaménagée et équipée… D'autres opérations inscrites sont en cours de réalisation, dont des études sur la préservation de sites archéologiques et de plans de protection qui totalisent un budget d'environ 170 millions de dinars. De ces opérations, le responsable de la direction de la culture, Ahmed Benbouzid, a su parler avec enthousiasme mais il s'est malheureusement tout de suite renfermé sur lui-même quand nous avons posé des questions plus concrètes. Notamment concernant les dégradations que subit chaque année le site archéologique de Timgad en accueillant un festival de grande envergure, et les raisons pour lesquelles son musée reste fermé depuis plus de 10 ans. A cela, le directeur de la culture n'a pas pu répondre clairement, donnant comme argument le fait qu'Ahmed Benbouzid n'est en poste que depuis un mois et demi. Mais une question lancinante se pose d'elle-même : n'a-t-il pas été nommé à ce poste en faisant valoir une connaissance approfondie du terrain ? Des infrastructures pour tenter de retenir la jeunesse Pour le secteur de la jeunesse et des sports, un secteur névralgique, le paquet a été mis sur la réalisation d'infrastructures sportives et d'établissement de jeunesse pour tenter de canaliser ces milliers de jeunes Batnéens en mal de bonheur. Des jeunes dont la majorité des esprits sont tarabusté par la difficulté d'avoir des perspectives d'avenir, en plus de ne pas avoir d'espaces culturels, en phase avec leurs préoccupations, pour les accueillir. Salim, un jeune adolescent assis sur le rebord d'un trottoir dans la commune de Timgad, en témoigne : «Je suis en vacances et pour passer le temps je peux aller à la piscine de Batna mais il me faut beaucoup d'argent de poche. Pour ce qui est du nouveau parc d'attractions de la ville, il est réservé aux familles.» Djamel, un autre adolescent peu prolixe mais que nous avons réussi à faire parler, explique que son projet d'avenir à lui est de s'engager dans l'armée et il n'est pas le seul à le projeter. L'armée représente pour beaucoup de jeunes Batnéens une voie salvatrice. Karima, une jeune étudiante de 22 ans, rencontrée dans un cyber du centre-ville de Batna, a bien ficelé ses projets d'avenir : partir poursuivre ses études en France car il n'est pas toujours facile de vivre sa jeunesse à Batna, «une ville conservatrice qui ne manque pas d'épier les jeunes filles de mon âge», confie-t-elle. La direction de la jeunesse et des sports ne répond pas à toutes ces préoccupations mais elle a engagé un programme colossal pour remettre à niveau la wilaya en matière d'infrastructures. 57 sont en cours de réalisation pour donner un peu d'espoir quant à la prise en charge des jeunes mais les infrastructures à elles seules ne suffisent pas… Pour que des avancées soient perceptibles sur le terrain, il faudrait bien plus. Proposer, par exemple, à chacun de ces jeunes pleins d'énergie, d'ambitions et paradoxalement de désespoir un travail pour croire en l'avenir… La direction de l'emploi dans de beaux draps Le chômage, à l'origine de bien des fractures sociales, la précarité, la pauvreté, l'exclusion, les sentiments d'échec, le désespoir et l'émigration clandestine n'en finissent pas de tourmenter des vies… Ils sont des milliers à en souffrir. Mais seulement 26 245 depuis le début de l'année, à croire en l'efficacité de l'Agence nationale de l'emploi de Batna en y déposant des demandes. Djamel Ayat, responsable de la direction de l'emploi, explique que c'est une avancée car il n'y pas si longtemps de cela, les gens y croyaient tellement peu qu'ils n'étaient pas des masses à déposer des demandes. Cela dit, sur ces 26 245 demandes, 2 226 ont été placées durant le premier semestre de 2008. L'emploi est un secteur à la fois crucial et pénible, et le responsable de la direction de l'emploi semblait en être bien conscient, ce qui permet de croire en l'éventualité d'une prise en charge sérieuse même si ce n'est pas à son niveau que cette problématique peut se régler. Direction à présent vers un autre secteur où les problèmes foisonnent aussi : la santé. Qui dit que la santé est un secteur vital ? Les indicateurs s'améliorent pour les soins de santé à Batna, selon le directeur du secteur, Salah Messikh, mais on est loin de s'en réjouir car les indicateurs moyens ne sont pas encore atteints. La mortalité maternelle qui est à un taux de 40 pour 100 000 naissances, alors qu'il y a quelques années elle était de 100 pour 100 000 naissances. Mais on continue dans certaines régions de la wilaya, telles que Tekout, à être confrontés à des cas de décès survenant en cours de transfert de malades vers Arris. Salah Messikh a mis en avant les atouts de la direction qu'il gère qui ne sont autres que la volonté et la cohésion. Il n'a par ailleurs pas manqué d'indiquer les déficits en matière de spécialités, notamment en gynécologie obstétrique, en réanimation anesthésie et en chirurgie générale. L'absence de centres pédiatriques et d'un hôpital général qui puissent répondre aux besoins de la population a également été soulignée. Mais un programme conséquent est à l'ordre du jour : création d'un centre anticancéreux, d'un hôpital psychiatrique, de 9 polycliniques, de 7 centres de santé et de 2 pavillons des urgences… Mais si le secteur de la santé avait vraiment été un secteur vital, on n'aurait pas attendu si longtemps pour lancer ces projets impératifs. Une nouvelle ville, un nouveau pôle universitaire mais… Batna se trouve au centre de projets de développement locaux de grande importance : une nouvelle ville et un nouveau pôle universitaire, ce qui promet un développement quasi certain pour la wilaya à long terme. Qu'en est-il des préoccupations actuelles, des besoins pressants de la population ? Ils attendent. Les autorités locales ne peuvent vraisemblablement y répondre que si elles se voient soutenues par une dynamique nationale qui dépasse les frontières batnéennes pour la prise en charge des vrais problèmes du citoyen. La livraison des infrastructures en chantier dans moins de 5 mois est un acquis en soi mais il faudrait y ajouter une gestion efficiente avec des compétences avérées et beaucoup de patience pour les Batnéens. Oui, ils devront attendre pour que ces projets de développement se ressentent au quotidien sur leur niveau de vie… F. B.