Qui ne connaît l'aspirine ? A l'exception des personnes qui y sont allergiques, qui n'en a pas pris un jour ou l'autre ? C'est sans doute le médicament le plus utilisé. Mais qui aurait cru que, prise à petite dose, tous les jours, l'acide acétylsalicylique (aspirine) réduirait considérablement la mortalité due à un certain nombre de cancers courants, comme le cancer du colon ou celui de la prostate ? C'est ce qu'a annoncé une étude de l'équipe britannique du Pr. Peter Rothwell, de l'université d'Oxford, publiée hier dans la revue médicale britannique The Lancet et répercutée par différents quotidiens et sites d'informations.Selon cette étude, l'aspirine a un effet préventif quasi universel à l'égard des cancers, lorsqu'elle est prise à petite dose pendant des années. Jusqu'ici, cette propriété avait surtout été étudiée et solidement établie pour les tumeurs colorectales. Il y a quelques semaines, l'équipe britannique du Pr. Rothwell avait, en effet, établi que la consommation de 75 milligrammes d'aspirine par jour pendant des années réduit de 24% le risque de cancer colorectal, et d'un tiers sa mortalité chez les personnes déjà atteintes. Cette même équipe est revenue avec de nouvelles données selon lesquelles l'aspirine agit sur bien d'autres tumeurs malignes, réduisant au moins de 20% leur mortalité.Pour étudier les relations entre prise d'aspirine et cancers, Peter Rothwell et ses collègues se sont re-penchés sur les grandes études comparant l'aspirine à un placebo ou à un autre produit - antiagrégant ou anticoagulant - en prévention des maladies cardio-vasculaires. L'aspirine est, en effet, l'un des traitements de fond classiques pour fluidifier le sang chez les individus à haut risque d'accidents cardiaques. Au total, sept essais ont ainsi été ré-analysés, incluant 25 570 patients. Parmi eux, 674 sont décédés de cancers. Globalement, chez les malades sous aspirine, la mortalité par tumeur maligne s'est avérée réduite de 21% pendant la durée des études. Les bénéfices étaient encore plus marqués au-delà de cinq ans, avec une diminution de 34%, tous cancers confondus, et même de 54% s'agissant des tumeurs gastro-intestinales. Selon l'étude, la prise de l'aspirine quotidiennement pendant cinq à dix ans, comme dans ces essais, permet de réduire la mortalité, toutes causes confondues (y compris celles dues à une hémorragie fatale), d'environ 10% durant cette période. Sur une vingtaine d'années, la réduction du risque de décès par cancer est d'environ 10% pour le cancer de la prostate, de 30% pour celui du poumon, de 40% pour le cancer colorectal et de 60% pour celui de l'œsophage. Pour ce dernier, comme pour le cancer du poumon, le bénéfice est limité à une catégorie de tumeurs (adénocarcinomes), précisera le professeur cité par le Monde.Le Pr. Rothwell ajoutera que, si les gens étaient traités avec de faibles doses d'aspirine durant vingt à trente années, ceux qui entameraient ce traitement vers la fin de la quarantaine ou à la cinquantaine pourraient, en fin de compte, en tirer le plus de bénéfice. Des recherches complémentaires sont nécessaires, selon l'équipe de recherche, en particulier pour évaluer l'impact de l'aspirine sur les cancers féminins. Un suivi médical au-delà de vingt années est indispensable pour vérifier s'il n'y a pas un rebond tardif de la mortalité par cancer, ajoutent-ils. Toutefois, ces résultats ne veulent pas dire que tous les adultes doivent se mettre immédiatement à prendre de l'aspirine, mais démontrent d'importants bénéfices apportés par l'aspirine à faible dose en termes de réduction de la mortalité due à plusieurs cancers communs, ce qui est nouveau, estiment les chercheurs. Mais on peut le recommander en ce qui concerne les cancers colorectaux. Dans l'étude précédente publiée en octobre dernier, le Pr. Rothwell suggérait de le faire pour les individus à haut risque de ces tumeurs, du fait d'un terrain familial. Mais une «chimio prévention» plus large dans la population semblait prématurée, notamment du fait des effets secondaires digestifs de la molécule. C'est toujours le cas. «D'autres travaux sont nécessaires», admettent aujourd'hui les chercheurs britanniques, qui soulignent notamment le manque de données concernant les cancers féminins, en particulier du sein. En attendant, ils considèrent que, chez les individus qui relèvent d'un traitement antiagrégant, leurs résultats ont de quoi faire pencher la balance en faveur de l'aspirine.S'exprimant sur la qualité de l'étude publiée hier par le Pr. Rothwell et son équipe, le Dr Catherine Hill, épidémiologiste à l'Institut Gustave-Roussy (Villejuif), cité par le Figaro, dira que «c'est un travail très bien fait, solide sur le plan méthodologique, et qui ouvre la voie à une approche de prévention efficace et faisable des cancers. Jusqu'à présent, dans ce domaine, la prévention a fait surtout appel à la lutte contre des facteurs de risque, comme le tabac, l'alcool… Mais en ce qui concerne les médicaments, il n'y a pas grand-chose. Plusieurs pistes ont été envisagées, comme celle du Tamoxifène pour prévenir le cancer du sein ou encore des anticox [anti-inflammatoires, NDLR], mais elles sont tombées à l'eau car il y avait plus de risques que de bénéfices». R. C.