«Ceci ne peut pas être et ne veut pas être un essai historique, ni une autobiographie, ni des mémoires. C'est tout simplement un témoignage. Bien des évènements essentiels se sont produits dans notre pays durant la période que cet ouvrage traverse de 1945 à 1962. Certes, un bon nombre d'entre eux ont eu un impact important sur ma vie, telle la Guerre de libération. Mais je les évoque tels que je les ai ressentis sans les détailler et sans les approfondir, avec ma vision de l'époque a postériori ». Ces mots, en postface du livre de Lucette Larribière Hadj Ali, éclairent à eux seuls sa lecture. A l'aube du cinquantième anniversaire de l'Indépendance, cette femme nous offre avec une simplicité des plus rares un témoignage essentiel sur une période charnière de notre Histoire, mais pas seulement : Itinéraire d'une militante algérienne, parce qu'il est écrit avec simplicité justement, peut être lu comme un manuel de courage politique, et fait contrepoids, par l'exemple de modestie qu'il propose, aux déclarations et témoignages, hélas, souvent aigris et prétentieux d'autres acteurs de l'époque. Avoir milité, risqué sa propre vie, avoir été séparée des siens, perdu des amis, morts sous la torture ou les «ratonnades» des ultras, n'est jamais un prétexte pour se mettre en avant ou se glorifier. Seul a compté la cause pour laquelle l'auteure s'est engagée et le souvenir des compagnons de lutte auxquels elle rend hommage. Bien sûr, la prise de conscience de l'inéluctabilité de la lutte armée ne s'est pas faite en un jour. Il aura fallu pour Lucette Larribière Hadj Ali franchir plusieurs étapes. A commencer par le journal du Parti communiste «Liberté» en 1943, passant par l'étape cruciale de l'Union des femmes d'Algérie de 1945 à 1952, au célèbre «Alger Républicain» jusqu'à sa suspension en 1955 et l'entrée en clandestinité de l'auteure jusqu'à l'Indépendance en 1962. Le contexte colonial, la séparation des populations «européenne» et «indigène» a certes retardé la prise de conscience, Lucette Larribière Hadj Ali évoque sans concession un «aveuglement» face à la situation réelle des Algériens. «C'est en travaillant à «Liberté», en touchant du doigt chaque jour le sort désastreux de la population algérienne, en constatant les privilèges exorbitants dont jouissait la population européenne, en discutant réellement avec mes camarades du journal que cette prise de conscience devint décisive». Cette dernière prendra la forme d'une lutte pour l'amélioration de la condition féminine au sein de l'UFA. La militante y trouvera des modèles, elles s'appellent Gaby Gimenez-Bénichou, militante antifasciste sous Vichy, Alice Sportisse ou encore Lise Oculi. Après les massacres de 1945 et la condamnation de ces derniers par le Parti communiste algérien que la lutte au sein de l'UFA devient réellement significative. Dans un contexte marqué par la montée du nationalisme algérien, le nouveau Statut de l'Algérie en 1947, les élections truquées sous le Gouvernorat de Naegelen, Lucette Larribière Hadj Ali se rapproche réellement des femmes algériennes. La grève en 1949 des dockers à Oran signe définitivement ce rapprochement : la militante est dans la rue, aux côté des femmes des dockers. «Il est vrai que nous étions fières de ce que nous faisions alors pour entraîner les femmes - essentiellement les Algérienne - dans de multiples actions. Mais pour les entraîner vers quel but ?». On l'aura compris, la lutte pour les droits des femmes et des travailleurs n'a pas suffi, et l'autocensure quant à la lutte armée marque les limites de cette organisation. C'est en rejoignant «Alger Républicain» en 1952 aux côté d'Henri Alleg que la dénonciation du système colonial devient plus virulente avec son corollaire, la censure. La suspension du journal en 1955 marque l'entrée de Lucette, aux côtés de Bachir Hadj Ali dans la clandestinité. Huit années de planque, de stratagèmes, dans une capitale aux mains des paras.La militante évoque cette période douloureuse de séparation d'avec ses enfants, de nouvelles d'arrestations, de torture des autres militants. Une période cependant riche en activités militantes, tracts, correspondances codées furent aussi le lot de ses années. A ce moment du livre, la question du rôle du Parti communiste algérien dans la lutte armée, que beaucoup ont contestée, est posée. Et Lucette Larribière Hadj Ali est sans concession : Des militants communistes tels que Guerrouf, Lamrani et Georges Raffini «étaient montés au maquis bien avant les accords FLN-PCA en 1956», avec la création des CLD (Combattants de la libération) sous la direction de Bachir Hadj Ali Sadek Hadjress et Jacques Salort. C'est aussi l'occasion d'évoquer le souvenir d'autres combattants et militants européens tels que Fernand Yveton et Henri Maillot. Itinéraire d'une militante algérienne est l'histoire d'une prise de conscience et d'un combat pour l'indépendance mené avec le plus grand dévouement. Comme bon nombres d'Algériens et d'Algériennes, Lucette Larribière Hadj Ali a combattu avec ses propres armes. Son livre nous offre une nouvelle pièce pour la construction sereine de notre mémoire collective. La mauvaise volonté n'y pourra plus rien, le livre est là pour l'empêcher.(Lucette Larribière Hadj Ali : Itinéraire d'une militante algérienne, éditions du Tell, 550 DA) F. B.