La France est le seul des six pays notés AAA avertis par Standard & Poor's dont l'état des finances publiques sera un critère explicitement déterminant pour la perte ou le maintien de sa précieuse note.L'avenir du AAA français se décidera sur quatre fronts, dit l'agence de notation : la réponse européenne à la crise - jusqu'ici laborieuse - des promesses de baisse du déficit probablement trop belles, des banques sous pression et une BCE qui n'aidera peut-être pas la France autant qu'elle pourrait en avoir besoin.Les cinq autres pays AAA de la zone euro ont eux aussi été placés sous surveillance avec implication négative par S&P. Mais le critère strictement budgétaire n'est pas retenu dans leur cas. Surtout, la note de la France pourrait être dégradée de deux crans alors que celles des cinq autres AAA pourraient ne l'être que d'un seul. L'Allemagne et le Luxembourg seront jugés sur les critères de politiques européenne et monétaire, dit S&P, et l'Autriche, les Pays-Bas et la Finlande sur ces deux critères plus celui de l'impact de la crise sur leur système bancaire.S&P n'est pas seule à montrer la France du doigt. Sa concurrente Moody's s'est donné jusqu'à mi-janvier pour évaluer la stabilité de la note française, sans menacer les autres pays de la zone euro qui bénéficient de la note maximale.S&P, qui a mis au total 15 pays de la zone euro sous surveillance avec implication négative, a précisé vouloir boucler son examen le plus rapidement possible après le sommet européen de vendredi. «Pas besoin de plus de rigueur» La mise sous surveillance de la note de la France est un coup dur pour les autorités françaises qui avaient fait de la défense du AAA une priorité absolue. Et ce, même si la dégradation de la note n'est pas certaine et si la France pourrait ne pas être le seul pays à perdre la note maximale. Cette mise sous surveillance signe aussi l'échec d'une gestion des finances publiques longtemps trop laxiste, critiquée depuis des années en France et à l'étranger, et dénoncée par le président français lui-même, à la toute fin de son mandat. Après des décennies de dépenses à crédit, «le cycle qui s'annonce sera un cycle de désendettement», a ainsi déclaré Nicolas Sarkozy jeudi, invitant les Français à «l'effort» dans un discours aux accents de campagne électorale.Le chef de l'Etat s'est cependant de nouveau refusé à privilégier exclusivement la rigueur. «Il y a un autre choix possible, celui de répondre à la crise par le travail, par l'effort et par la maîtrise de nos dépenses», a-t-il dit. Après avoir annoncé en urgence deux plans d'augmentation des impôts et de baisse des dépenses en deux mois, les autorités françaises refusent d'annoncer un nouveau tour de vis budgétaire à cinq mois de l'élection présidentielle. «Nous n'avons pas besoin de troisième plan de rigueur, nous n'avons pas besoin de prendre de mesures supplémentaires», a répété lundi soir le ministre des Finances, François Baroin, sur France 3 après l'annonce de S&P.Les coûts d'emprunt de la France sur les marchés financiers restent faibles et inférieurs aux prévisions, a-t-il ajouté, et une réserve de précaution budgétaire permettra de faire face si la croissance est inférieure au 1% prévu l'an prochain. Au contraire, dit S&P - qui table sur une croissance de 0,5% en 2012 et un déficit à 4,8% du PIB -, sans nouvelles mesures d'austérité, le ralentissement économique risque d'empêcher la France de réduire son déficit public à 4,5% fin 2012, comme elle s'est engagée à le faire. «De plus, il existe selon nous des risques baissiers non négligeables sur la prévision de croissance du gouvernement de 2% sur 2013-2016, ce qui nécessiterait des mesures supplémentaires de réduction du déficit pour atteindre ses objectifs à moyen terme», ajoute l'agence de notation. L'optimisme des prévisions de croissance de la France, qualifiées de «volontaristes» par les dirigeants français, parfois avec ironie, est une quasi constante. Les déficits, eux, sont systématiques. Dans le rouge depuis 1975 La France, dont le dernier excédent public remonte à 1974, s'est engagée à rééquilibrer ses comptes en 2016. Le déficit, promet-elle, sera ramené de 5,7% du PIB fin 2011, à 4,5% fin 2012, 3% fin 2013, 2% fin 2014 et 1% fin 2015.Nicolas Sarkozy et le principal candidat de l'opposition à l'élection présidentielle, le socialiste François Hollande, se sont engagés à respecter scrupuleusement le retour à 3% de déficit fin 2013. François Hollande prévoit un retour à l'équilibre en 2017. S&P ne passe d'ailleurs pas sous silence le redressement budgétaire en cours. «Le gouvernement français a montré sa détermination à prendre des mesures budgétaires additionnelles - si cela était nécessaire - pour tenir sa stratégie budgétaire à moyen terme», écrit l'agence. La France semble pourtant ne rétablir ses comptes que sous la contrainte.Quand Nicolas Sarkozy devient président de la République, le pays a déjà mauvaise réputation : depuis la création de l'euro, la France a systématiquement violé ses engagements de baisse du déficit et même, parfois, le Pacte de stabilité et de croissance et ses limites de déficit à 3% du PIB et de dette à 60%. Loin d'inverser cette tendance, Nicolas Sarkozy, sitôt élu, se rend à Bruxelles pour informer ses partenaires européens qu'une fois de plus, la France repoussera ses engagements et mènera plutôt une politique «de croissance».En France, les promesses électorales sont rapidement mises en ouvre : le «paquet fiscal» de l'été 2007 baisse nombre d'impôts et crée de nouvelles exemptions. Le déficit public, qui baissait chaque année depuis 2003, repart à la hausse. Gonflé par la crise qui s'intensifie, les nouvelles réductions d'impôts et les nouvelles dépenses, il culminera à 7,5% du PIB en 2009, un record d'au moins 50 ans et baissera à peine en 2010, à 7,1%. Plus le déficit se creuse et plus la dette publique s'alourdit, plus les mises en garde se multiplient.La Cour des comptes, l'institution indépendante qui audite les comptes publics, les plus grandes institutions internationales et nombre d'économistes alertent les autorités sur la trajectoire dangereuse des comptes publics de la France. Le premier président de la Cour des comptes, Philippe Séguin, préviendra le gouvernement en termes clairs : si rien n'est fait, la France court à terme le risque d'un «emballement» de sa dette, un «effet boule de neige» par lequel la charge de la dette siphonne une part toujours plus importante des recettes, jusqu'à l'asphyxie financière. Son successeur, Didier Migaud, dira que le triple A français peut être menacé. Le Premier ministre François Fillon, qui était proche de Philippe Seguin, semble entendre son message, déclarant dès 2007 diriger un pays «en faillite». Mais les mesures coûteuses se succèdent.La publicité à la télévision publique est partiellement supprimée et, alors que l'alerte sur les finances publiques résonne déjà, le taux de TVA est baissé dans la restauration. Critiquée même à droite, cette mesure éclipse à elle seule toutes les économies générées par la suppression de 150 000 postes de fonctionnaires en cinq ans, censée démontrer la détermination du gouvernement à redresser les comptes. Quant aux suppressions de postes, les revalorisations salariales qui les accompagnent font fondre les économies espérées. Des mises en garde balayées A ceux qui tirent le signal d'alarme mois après mois, les gouvernements qui se succèdent depuis 2007 répondent toujours sur le même ton : ces experts sont excessivement pessimistes et refusent d'apprécier les efforts «historiques» mis en oeuvre.La dette publique bondissant - elle sera passée de 63,9% du PIB fin 2007 à 86,2% fin juin 2011 - la stratégie de relance de l'après-présidentielle se révèle être à contretemps.Christine Lagarde, alors ministre de l'Economie, explique que le «paquet fiscal» permettra à la France de sortir plus vite et en meilleure position de la crise. Mais la logique budgétaire finit par l'emporter et le «paquet» est petit à petit déficelé. Le gouvernement choisit pour redresser les comptes une méthode douce, refusant les coupes drastiques mises en ouvre en Grande-Bretagne ou dans les pays dits de la périphérie de la zone euro, contraints les uns après les autre à l'austérité. L'objectif, explique-t-il, est de ménager les Français car la consommation est le ressort traditionnel de la croissance française.Tant que la crise semble limitée aux petits pays de la périphérie de la zone euro, cette stratégie n'est pas violemment contestée par les économistes.La réforme des retraites, menée à bien malgré une série de très fortes manifestations, démontre en même temps la capacité du pouvoir à imposer des décisions difficiles au pays. Mais même cette réforme devra être rapidement remise en chantier pour de nouveau rétablir les perspectives d'équilibre des comptes. Et à mesure que la crise s'étend en Europe, le sentiment que la France ne contrôle plus tout à fait son destin s'accroît.«Dexia était sur la bonne trajectoire. Elle a juste manqué de temps», expliquaient plusieurs hauts responsables français au lendemain de l'effondrement de la banque franco-belge.La France peut-être aussi, au moins pour sauver son AAA. Reuters