L'affrontement le plus spectaculaire a eu lieu le 31 octobre dernier, quand, au milieu de vifs applaudissements, la Palestine a été admise à l'Unesco, l'agence de l'ONU pour l'éducation, la science et la culture, comme membre à part entière.Par 107 voix (dont la Chine, l'Inde, la Russie, le Brésil et l'Afrique du Sud) contre 14 (dont les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l'Allemagne et Israël), et 52 abstentions, la Palestine est devenue alors le 195e Etat membre de l'Unesco.L'événement était entouré d'un bruyant psychodrame médiatisé : l'Unesco était aussitôt privée de 25% de ses fonds (22% venant des Etats-Unis, 3% d'Israël). Et le gouvernement Netanyahu, qui se passe bien de prétextes, relançait la construction de colonies dans les Territoires occupés. Frappant à chaud, Washington a annoncé qu'il ne verserait pas à l'Unesco les 60 millions de dollars prévus pour novembre (75% de sa contribution annuelle). Washington est obligé de sévir par une loi du Congrès, rappelaient les médias, consciencieusement.Le Canada «réexamine» sa contribution ($10 millions par an) à l'Unesco, a dit le ministre des Affaires étrangères John Baird. «Cela (entache) l'universalité» de l'Unesco, mais «notre travail est trop important pour être compromis», a commenté sa Directrice générale, Irina Bokova. L'enjeu véritable : la vigueur du diktat états-unien L'adhésion de la Palestine à l'Unesco est entrée en vigueur le 23 novembre. Le 13 décembre, en présence du président Mahmoud Abbas, le drapeau de la Palestine était hissé pour la première fois au QG de l'Unesco à Paris.Comme pour faire bonne mesure, et pour mieux marquer son éloignement de l'OTAN et de l'Empire, deux jours plus tard, l'Islande reconnaissait l'Etat indépendant et souverain de Palestine, dans ses frontières d'avant la guerre de juin 1967.Car, au-delà du destin du peuple palestinien, passé de 1,4 million à 11 millions en 64 années de dispersion forcée, l'enjeu véritable de cet impitoyable bras de fer, c'est la capacité des Etats-Unis d'imposer leur volonté à leurs alliés, clients et vassaux de l'Empire, et cela dans l'intérêt bien compris des intéressés.La Palestine elle-même, qui jouit du statut d'observateur comme «Entité non-étatique» à l'ONU depuis 1974 et qui a proclamé sa «Déclaration d'indépendance» en 1988, y a obtempéré – jusqu'à septembre 2011 quand Mahmoud Abbas a annoncé à l'Assemblée générale que l'Etat de Palestine avait formellement demandé d'adhérer comme membre à part entière des Nations-Unies.Cette décision reflète la faillite totale des stratégies de «plans de paix» et de «négociations» que les Etats-Unis et l'Europe ont utilisées régulièrement depuis le Sommet de Madrid en 1991 pour dissuader feu Yasser Arafat et ses successeurs de poursuivre la reconnaissance diplomatique internationale de la Palestine. En 2002, les USA et l'UE ont même embrigadé la Russie et l'ONU dans un «Quartette» pour parrainer une «Feuille de route» ou «Road Map» vers une paix négociée entre les Palestiniens et Israël. Plans torpillés, crédit épuisé, fantasme écourté Mais cela n'a pas empêché Israël de poursuivre l'expropriation des terres et des ressources palestiniennes, de démolir leurs maisons, de les enfermer et de les assiéger sans relâche, de bâtir toujours de nouvelles colonies – et d'assiéger Yasser Arafat dans ses bureaux de Ramallah, jusqu'à sa mort en novembre 2004. L'Etat juif a torpillé tous les plans de paix l'un après l'autre.Il convient de rappeler que l'«Unique superpuissance», ayant triomphé en 1989 de la Guerre froide, surfait déjà sur son Project for a New American Century que W. Bush et ses néo-cons ne rendront public que 10 ans plus tard : l'Afrique des Grands lacs était refaite via le Rwanda et l'Ouganda interposés, la Yougoslavie était démembrée au grand dam de Boris Eltsine, l'OTAN était lancée dans la chasse aux Talibans en Afghanistan, et Bush, Blair et consorts occupaient l'Irak – marginalisant l'ONU, privant les Palestiniens d'un fort soutien, et rassurant à la fois Israël et les pétro-émirats du Golfe.Le Kosovo a proclamé entre-temps, de façon unilatérale, son indépendance de la Serbie en février 2008. Il n'a pas été admis à l'ONU, mais 85 des 193 Etats membres l'ont reconnu, dont 24 des 28 pays de l'OTAN, 22 des 27 pays de l'UE et 27 des 57 pays de la Conférence islamique (OCI).Or, le New American Century fantasmé n'aura pas duré 10 ans ! Les mensonges de Bush et Blair sur les «armes de destruction massive» de Saddam Hussein ont accouché d'un enlisement coûteux en Afghanistan, en Irak, voire au Pakistan. Crise économique à l'Ouest, reprise en mains ailleurs En parallèle, l'économie occidentale battait de l'aile, l'Amérique latine se reprenait en mains, la Chine et l'Inde se réveillaient, le G7 ne pouvait plus gérer le système mondial sans recours au G20, et les peuples arabes se sont soulevés contre des dictatures vassales de l'Empire. C'est ce rééquilibrage du monde que vient tester, et renforcer, la demande d'adhésion de la Palestine à l'ONU – qui est elle-même dans le collimateur puisque son architecture forgée par les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale ne reflète plus le nouveau rapport de forces émergeant à l'échelle planétaire.Les Etats-Unis, l'UE, le Canada et le reste de l'Anglosphère font des pieds et des mains pour empêcher le moment de vérité qui menace de les décrédibiliser et de les isoler encore davantage : un vote au Conseil de sécurité de l'ONU où Washington, et peut-être Londres et Paris aussi, seront obligés d'opposer leur véto à la candidature de la Palestine – qu'appuieront la Russie et la Chine.Les Palestiniens savent fort bien qu'il suffit d'un seul véto au Conseil de sécurité pour leur bloquer l'entrée à l'ONU. Mais forts de l'unité retrouvée entre le Fatah et le Hamas, et du réveil de la rue arabe qui veut soustraire l'Egypte et la Jordanie à l'emprise de l'axe USA-Israël-Arabie saoudite, ils semblent décidés à forcer le spectacle d'un véto états-unien à la vue du monde entier. Le droit de poursuivre Israël devant la CPI Ils prévoient de se tourner ensuite vers l'Assemblée générale où le véto n'existe pas, et où ils ont déjà l'appui formel de 127 des 193 pays membres. Ces pays comptent en tout plus de cinq milliards d'habitants, représentant 75% de la population mondiale – mais les 14 qui ont voté contre la Palestine à l'Unesco disent toujours représenter «la communauté internationale»!Agissant toujours selon des lois votées par le Congrès, les Etats-Unis ont bloqué 200 millions de dollars destinés aux Palestiniens, ce qui paralyse notamment des projets d'alimentation et de santé. De son côté, en plus de relancer la colonisation, Israël a bloqué des transferts fiscaux dûs à l'Autorité palestinienne. Les retrouvailles Fatah-Hamas ont encore ajouté à la furie de l'axe USA-Israël. Grâce au vote positif de l'Assemblée générale, la Palestine sera admise à l'ONU à titre d' «Etat observateur», qui est aussi celui du Vatican. Elle sera alors admise automatiquement au sein de toutes les agences de l'ONU, et sera habilitée à attaquer Israël devant la Cour pénale internationale pour les crimes du régime d'occupation – on pense aussitôt au Rapport Goldstone sur le lynchage et la destruction de Gaza fin 2008-début 2009.D'ici là, au risque de se marginaliser encore plus, l'ONU restera soumise aux pressions de pays comme l'Inde, le Brésil, le Japon, l'Allemagne, l'Afrique du Sud, le Pakistan, le Mexique, le Nigéria, l'Egypte et l'Argentine pour être admis au Conseil de sécurité. Au nom de la démocratisation de l'ONU, le droit de véto restera fort contesté et il devra être modifié, accordé à tous les membres du Conseil de sécurité, ou carrément abandonné!Les Etats-Unis et leurs alliés refuseront de céder. Ils risquent de suspendre leur participation à une ONU qu'ils ne pourront plus contrôler. Rappelons-nous les années Reagan quand les USA avaient accumulé des arriérés de près de $1 milliard à l'ONU pour contraindre l'organisation à servir leurs priorités et leurs intérêts. Ils doivent encore 1,3 milliard de dollar à l'ONU ! Les Palestiniens, le sionisme et la démocratie Et d'ici là, les Palestiniens continueront de lutter pour tous les droits que leur reconnaissent les multiples résolutions de l'ONU, à commencer par la 181 sur la partition sans consultation de 1947, sur Jérusalem aussi, et la 194 sur le droit de retour des réfugiés de 1948, et incluant les 242 et 338 sur le retour aux frontières de début juin 1967 en échange de la paix.Le débat sur les risques qu'une adhésion de la Palestine à l'ONU ferait peser sur les droits inaliénables du peuple palestinien tient beaucoup à des désaccords tactiques entre camps adverses. Mais il est tout à fait pertinent en ce qui concerne les 1,2 million de Palestiniens vivant en Israël. La demande d'adhésion est postulée sur les frontières de début juin 1967, et semble les abandonner à leur sort.La question paraît simple, ses implications le sont moins et la réponse viendra avec le temps et après bien des méandres. En invoquant les frontières de début juin 1967, les Palestiniens disent à Israël que c'est l'unique chance d'arriver à la formule de deux Etats, donc d'un Israël pour les Juifs. Mais le contentieux sur le droit de retour des réfugiés (6 millions) concernera les Palestiniens d'Israël, qui ne sont pas des citoyens à part entière, qui se disent les premières victimes de l'Apartheid israélien, et qui mènent leur combat désormais au nom de la Déclaration universelle des droits des peuples autochtones.Car le vrai problème, c'est l'insistance absolue du sionisme de maintenir Israël comme un Etat pour les Juifs, une exigence qui est incompatible avec toute prétention à la démocratie, comme le rappelait Haneen Zoabi, députée palestinienne de la Knesset, lors d'un récent passage à Montréal. J. K. *Journaliste et écrivain d'origine mauricienne établi à Montréal. Il a été journaliste au quotidien montréalais La Presse pendant 40 ans.