La phase actuelle de l'effondrement du système bancaire et financier occidental est celle de la sur-réalité. Ce qui se dit n'est pas ce qui se fait. Ce qui est décidé n'est pas ce qui est dit. Et ce qui se fait effectivement n'est jamais ce qui a été décidé. L'effondrement financier en cours est justement l'impossibilité de raccrocher une quelconque parole à une quelconque réalité observable.Allemands et Français ne sont explicitement pas d'accord sur l'opportunité de monétiser les dettes publiques par la BCE. En parole, les Français se sont rangés au refus allemand. Mais concrètement, les Etats et les banques de la zone euro continuent à régler leurs échéances de dette grâce à la monétisation officiellement interdite.La BCE transforme à grande échelle des titres de dette douteuse en monnaie. Bien que les dettes publiques et privées soient manifestement excessives au regard de la solvabilité réelle des emprunteurs systémiques, la liquidité abonde dans la zone euro. La BCE joue bien son rôle de payeur en dernier ressort. Le système européen de paiement interbancaire reste fluide dans la sur-réalité. Mais le problème de la réalité n'est pas résolu : les dettes publiques et bancaires croissent sans limite rationnelle. La cause initiale du surendettement est toujours active : la spéculation financière libre sur les prix masque les capacités réelles de production des emprunteurs. Les contreparties réelles futures des dépôts et créances en euro s'effondrent inexorablement.Notons que l'effondrement de la production économique future sous la parole financière qui la déforme est encore plus grave et plus massif en dollar et en livre sterling. Mais la désintégration de la réalité économique par la politique monétaire de la Fed et de la Bank of England est masquée dans une sur-réalité politique plus homogène que dans la zone euro. Les gouvernements américain et britannique sont en accord avec leur banque centrale spécialisée dans la défense des intérêts nationaux.La liquidité monétaire en dollar et en euro drogue l'intelligence de l'économie. Les sens sont leurrés afin que la réalité concrète du surendettement financier ne soit pas accessible à la conscience. Or, l'effet de la drogue monétaire est en train de s'estomper. Le sevrage douloureux qui ramènera la finance dans la réalité est inéluctable. Il sera violent, ou bien ordonné et pacifique.Pour le moment, la politique achète du temps en accroissant le risque de collapsus dans l'opacification totale de l'offre et de la demande réelles de biens et services. La liquidité allouée aux Etats finance uniquement les dépenses urgentes. La volatilité et l'incohérence des prix sur les marchés financiers n'offre plus de repère pour diriger la dépense publique vers les services qui augmentent le bien-être collectif et la capacité à produire davantage. Les parités de change du dollar et de l'euro contre les monnaies des pays émergents signalent des échanges correctement équilibrés alors que toute la réalité dit le contraire. Les crédits financiers vendus en euro et dollars sont réputés de prix équivalent aux importations. Mais l'activité de production et d'investissement des pays développés n'a pas la rentabilité qui permettra un remboursement des dettes internationales accumulées. P. S. D. J. *Consultant en économie de la décision et en organisation financière depuis novembre 2008. Il est l'auteur de l'ouvrage Capital, crédit et monnaie dans la mondialisation, économie de vérité (L'Harmattan, 2011). In atlantico.fr