Karl Marx revient. Il a même quelque chose à nous dire aujourd'hui. Surtout, il redevient audible. Il rebondit jusque dans les sondages. D'ailleurs, un baromètre de popularité de l'auguste BBC le sacrait en 2006 philosophe le plus célèbre de tous les temps. Si vous tapez «Marx» dans le moteur de recherche Google, vous trouverez plus de 40 millions de réponses ! C'est ainsi que la crise financière mondialisée lui redonne vie. En Algérie, le plus illustre de ses disciples, une femme, en l'occurrence la trotskyste Louisa Hanoune, le revisite à sa façon, forcément «hanounienne». Entre un appel rageusement patriotique au rapatriement des fonds algériens convertis en bons du Trésor américain et, sans surprise, une énième charge héroïque contre Chakib Khelil, le «libéral en chef» du gouvernement, notre Rosa Luxembourg à nous prône désormais le «retour au socialisme». En ces temps de crise généralisée, porteuse de récession, c'est même «la seule alternative». Retour alors vers le futur. Et cela n'a rien à voir avec le romantisme révolutionnaire de Louisa. Pas plus qu'avec sa traditionnelle rhétorique ouvriériste. Louisa a raison car Karl Marx a raison. Surtout a posteriori. Aujourd'hui se fait donc sentir un grand besoin de Marx. Manifestement, la crise financière lui redonne des couleurs, un peu plus de rouge coquelicot. Elle rappelle surtout qu'il a fourni la description, la plus précise de son temps, du mécanisme fondateur du capitalisme moderne : l'obtention de la plus-value, du profit devenu à notre ère surprofit spéculatif. Ses prédictions ont, ces derniers temps, pris un sacré coup de jeune. La concentration des richesses entre les mains de quelques happy few et de junkies de la spéculation boursière leur confère surcroît de pertinence, supplément de crédibilité et un peu plus d'âme. Son analyse des rapports économiques, sa théorie de la plus-value font partie des outils intellectuels auxquels nul ne songerait présentement à renoncer. «Ce sera toujours une faute de ne pas lire, relire et discuter Marx», a dit à ce propos, en 1993, Jacques Derrida. Le fils d'El Biar était alors toujours hanté par les Spectres de Marx. Ainsi, le monde capitaliste mondialisé, secoué par une crise partant du centre américain vers les périphéries du monde, ressemble étrangement, à certains égards, à l'univers que Karl Marx a décrit dans le Manifeste du parti communiste en 1848. Marx est ainsi le premier globaliste à avoir tracé les contours du capitalisme du futur. Il a même cité l'Inde et la Chine, deux superpuissances émergentes formant à elles seules la moitié de l'humanité, comme acteurs potentiels du capitalisme globalisé, qui serait le prélude à l'instauration du socialisme mondialisé. Dans le détail, l'inventeur de la théorie de l'aliénation et du conflit de classes comme moteur de l'histoire, a prédit à la fois les délocalisations, la prolétarisation d'une partie importante de la classe ouvrière, la mainmise d'une minorité de spéculateurs financiers sur les revenus et la surexploitation de la nature par le productivisme capitaliste. Louisa Hanoune n'a donc pas tort, loin de là, lorsqu'elle réaffirme que le socialisme est l'avenir de l'humanité. Que ce socialisme-là peut avoir un goût de marxisme mais sans les marxistes d'hier. Un marxisme débarrassé des vapeurs éthyliques des marxistes de tous poils, de toutes ses émanations léninistes, staliniennes, brejnéviennes, maoïstes… Simplement, le marxisme de Marx. Ce socialisme universel serait un compromis entre l'économie de marché sociale et la démocratie, qui socialiserait les gains et les risques. On peut imaginer que, dans l'esprit de Louisa, c'est un projet de fraternité, une entreprise de partage à l'échelon national et à l'échelle internationale. Ce socialisme, ce marxisme avec Marx et sans Lénine, Staline, Brejnev et Mao, c'est ce «libéraltruisme», néologisme révolutionnaire inventé par le génie foisonnant du prolifique et prolixe Jacques Attali. N. K.