Coluche, qui faisait de la politique en faisant rire sur les politiques, disait que «ça fait beaucoup marrer les gens de voir qu'on peut se moquer de la politique, alors que, dans l'ensemble, c'est surtout la politique qui se moque de nous». En Algérie, ce n'est pas la politique qui fait s'esclaffer, quoiqu'il y ait de quoi la tourner en dérision. Ce sont plutôt les politiques qui font tourner leurs compatriotes en bourriques, même si eux-mêmes sont souvent l'incarnation, au masculin et au féminin, de la bouffonnerie politique à un dinar algérien ! L'état de la politique, la façon dont le régime la pratique, la manière dont les partis l'exercent, leurs programmes indigents, l'absence même d'idées ou de propositions, les noms incongrus et les sigles saugrenus de ces formations, les profils de leurs cadres et la course à l'échalote électorale, font penser à Carnaval fi dachra, savoureuse et prémonitoire comédie de Mohamed Oukaci (1994). L'Algérie, au sens politique, cela s'entend, est une dachra, et la pratique de la politique, surtout par les temps qui courent, un carnaval. Pas au sens de défilé d'acteurs masqués ou maquillés qui chantent et dansent, mais un souk à farces et un bazar à pitreries. Bien sûr, les plus indulgents des observateurs diront que le pays, longtemps privé de politique alors même que ses électeurs sont des sujets déprivés, (ré) apprend la politique. Certes. Mais, en 2012, plus que naguère, la politique, c'est tout un film, c'est même un navet. Normal, diriez-vous. Les plus grincheux parmi vous, c'est-à-dire ceux qui ont un peu de mémoire politique, se rappellent qu'un certain metteur en scène, un socialiste autogestionnaire et premier président de la RADP, avait «réalisé» la première Constitution de l'Algérie indépendante dans une salle de cinéma d'Alger ! Depuis, silence, on tourne et ça tourne même en rond. En 1989, la RADP appelait ses partis des ACP, des associations à caractère politique. En 2012, le caractère de la politique n'a pas trop changé. C'est même pire et le nombre de partis a explosé. Il y a trente ans, on disait qu'il y avait autant de partis que de chapitres coraniques, manière de souligner alors l'inflation partidaire. Aujourd'hui, il y aurait une vingtaine de plus et le ministère de l'Intérieur a promis d'en agréer d'autres après les élections législatives du 10 mai prochain. C'est ainsi que la liste des partis ressemble à un catalogue de superette où les produits ont des sigles abscons, absurdes et obscurs. Les choix sont certes inspirés par le vocable parti, front, mouvement, union, rassemblement. Mais cela donne, en vrac, le FBG, le PEP, le PED, le MEN, le MNND, le MNE, le FAN (à ne pas confondre avec un fana de la politique politicienne), le FCA, le FNIC, le FNJS, le FM, le PK, le PADS et le RA, qui n'évoque pas, naturellement, le dieu soleil égyptien ou le rongeur malfaisant. Il y a même un Parti des jeunes (PJ), un Parti de la loi naturelle, dont on ne sait guère s'il évoque l'écologie ou la biologie. Il y a aussi un Parti de l'équité et de la proclamation ! Sans que l'on sache ce qu'il proclame et réclame lui-même ! Dans ce Carnaval fi dachra, les acteurs politiques ressemblent souvent à Makhlouf El Bombardi et à Mustapha Ghir Hak, mais sans la truculence de ces deux personnages sympathiques du film. Dans le carnaval électoral de la dachra de la politique algérienne en 2012, même Allah est appelé à la rescousse par les partis et le gouvernement pour conjurer le mauvais génie de l'abstentionnisme. Les imams sont donc priés de recruter en masse des électeurs tandis que le chef de l'Etat, lui-même, mouille la chemise présidentielle pour mobiliser les pêcheurs à la ligne qui seraient très nombreux à prendre le risque de devenir des pécheurs abstentionnistes ! Le Président, qui a déjà rendu ses oracles électoraux, a même vu dans les législatives du 10 mai 2012 un Premier novembre 1954. Il a également comparé la future participation des électeurs à celle qui a marqué le référendum de juillet 1962 sur l'Indépendance. Pour mémoire, le «Oui» des Algériens a culminé alors à 99,72% alors que le taux de participation a tutoyé les cimes de l'ivresse électorale avec 91,48 % ! Il est vrai qu'en juillet 1962, le scénario du film politique Carnaval fi dachra n'était pas encore écrit. A cette date bénie, les cinéphiles croyaient que la politique était un art relevant d'un vrai cinéma d'auteur, d'art et d'histoire. Dans les partis et les particules politiques, nouveaux ou anciens, l'homo-politicus algérien a pour coran idéologique une liste électorale où son nom serait en position d'éligibilité. Il a pour tapis de prière politique un parti qu'il rejoint, sans y adhérer vraiment, parfois, après avoir répondu à une annonce de recrutement dans la presse. Dans la fiction de Mohamed Oukaci, un militant du parti de Makhlouf El Bombardi, élu maire de son village, lui dit «matanssach essoukna». Ce à quoi, l'élu, qui se rêve président de la RADP, lui rétorque : «Asstanna ki natrachah». En bon français et en langage politique algérien bien compris, cela veut dire attend quand je serai candidat pour te trouver ton logement désiré. En 2012, cet échange de bons procédés donne l'équation politique algérienne : parti+mandat+électeur-demandeur = logement et bien d'autres prébendes. L'Algérie, une dachra. La politique, un carnaval. Les politiciens, des Makhlouf El Bombardi qui font de la politique comme des maquignons et des vachers au souk à bestiaux de Djelfa. La chkara et le beggarisme, c'est ça, c'est tout cela. N. K.