Photo : S. Zoheir Les collectivités locales sont dépassées par la gestion des déchets ménagers. Et à la place de décharges contrôlées, on se débarrasse des rejets partout où c'est possible, même dans les endroits censés être protégés par la loi en raison de leur valeur écologique et de la sensibilité des espèces qui y vivent. Alors que la pollution dans les villes, en général, est tolérée par les concernés, on découvre, consterné, que même les hameaux les plus éloignés et les villages pourtant, économiquement, enclavés et nus sont invariablement touchés par la tempête des déchets ménagers que les autorités locales fuient pour se déresponsabiliser devant un phénomène trop grave pour être perçu comme, seulement, un enjeu électoral déconnecté des véritables préoccupations de santé publique et environnementales. Et quand on vient agresser le littoral et les forêts de Yakourène et de Mizrana (Kabylie maritime), la situation devrait interpeller tous les segments des habitants dont les militants associatifs constatent, amers, que le moindre poumon d'oxygène de la région de Kabylie est transformé en dépotoir sauvage de milliers de tonnes de déchets ménagers et même hospitaliers que les foyers et les institutions hospitalières rejettent quotidiennement. Autant dire que c'est le chaos environnemental dans les localités de la wilaya de Tizi Ouzou et autres hameaux de Kabylie. Les déchets ménagers continuent d'empoisonner la vie de milliers de riverains, les décharges sauvages de porter gravement atteinte à l'environnement alors que les solutions préconisées par les pouvoirs publics restent insuffisantes et que les échéances de réalisation du programme de centres d'enfouissement technique (CET) ne sont pas du tout respectées comme d'ailleurs toutes les autres actions de développement économique de la région de Kabylie. C'est le constat fait, il y a un peu plus de deux ans. Actuellement, le danger est encore plus grand sur l'environnement et la population et les pouvoirs publics se cachent, à chaque reproche, derrière les contraintes et les oppositions pour faire avaler l'indigeste contamination de la nature. Souvent, quand on entend discuter environnement, c'est justement parce que tel dépotoir sauvage a fait sortir de leurs gonds des riverains exaspérés, que tel quartier ou village n'a pas connu de ramassage d'ordures depuis plusieurs jours, que tels habitants se sont opposés à l'implantation d'une décharge publique... il est rare d'assister à des assemblées publiques, convoquées à cet effet, qui débattent sérieusement de la problématique avec la participation de tous les acteurs concernés, de voir dégager un diagnostic, de dire pourquoi Tizi Ouzou fait partie des régions les plus sales d'Algérie, de sortir avec des propositions etc. rappelait-on à la même période. En effet, les pouvoirs publics n'ont pas réagi devant l'explosion du volume des rejets ménagers qui a été apparente au début des années 1990 avec les changements dans le mode de vie des familles et la courbe en progression de la démographie.
Des projets de CET encore à la case départ Ce n'est que presque 20 ans après que les autorités ont commencé à s'intéresser au sujet, constatant les dégâts innombrables de leur politique de non-gestion des affaires de la cité. En 2007, on décide de mettre en place au moins 18 centres d'enfouissement techniques (CET) et de décharges publiques, contrôlées pour terminer le programme au plus tard en 2010. A la fin de… 2012, on est presque à la case départ ! 18 communes sur les 67 que compte la wilaya de Tizi Ouzou, à savoir Fréha, Mizrana, Souk El Tenine, Iferhounène, Tizi N'tlata, Ouadhias, Boudjima, Bouzeguène, Zekri, Aït Yanni, Aït Douala, Aït Aïssi, Aït Zmenzer, Aït Mahmoud, Idjeur, Boghni, Larba Naït Irathen et Tadmaït devaient en bénéficier. Avec option : «Après la réception de ces projets, il y aura des opportunités de créer des plateformes de tri et de recyclage (déchetteries)», promettait, fièrement, un responsable du programme. «Un système de collecte sélective au niveau de chaque site jumelé avec les collectes locales a été prévu et des bacs à ordures faisaient partie du projet à l'attention de tous les commerçants et industriels afin de séparer les déchets, acheminer les déchets d'emballage et les déchets industriels, banals (DIB)», ajoutait-on de même. Cinq années plus tard, on se rend compte que la réalisation des centres d'enfouissent technique (CET) et des décharges contrôlées dans le volume décidé initialement est pratiquement bloquée, mettan, ainsi, un trait au schéma directeur de l'environnement dans la wilaya de Tizi Ouzou. Le bilan est catastrophique sur ce plan, nécessitant un plan de sauvetage de l'environnement qui passe, avant tout, par le jugement des responsables de ce crime contre la nature en Kabylie. 3 CET seulement (Drâ El Mizan, Ouacifs et Tizi Ouzou) ont été réalisés sur les 18 prévus au départ dans le cadre du quinquennat 2005-2009 ! Autre phénomène dangereux : dans certaines localités de la wilaya de Tizi Ouzou, les rejets médicaux des différentes unités de soins finissent dans la nature quand ils ne sont pas jetés avec les ordures ménagères dans les décharges incontrôlées. Seringues usitées, emballages durs provenant des centres de soins, flacons pourris et un tas de médicaments touchés par la péremption sont mélangés aux déchets des ménages qu'on trouve sur les bordures de routes ou sous les ponts des axes routiers, importants avant d'être charriés pour une partie par les eaux des rivières vers le barrage de Taksebt qui alimente en eau «potable» des milliers de foyers d'Algérie. Aucun procédé d'élimination de ces déchets hospitaliers, réputés très dangereux pour la santé publique et l'environnement, n'est prévu dans la plupart des centres de soins et autres établissements de santé publique et privé. Actuellement, on compterait environ 2 000 décharges sauvages et décharges incontrôlées dans la wilaya de Tizi Ouzou, selon des chiffres qui sont appelés à se multiplier. Pour une population d'environ 1,4 million d'habitants, une superficie de 2 958 km2 (près de 2 500 habitants au km2), la situation est plus qu'inquiétante.
Polémique autour de l'implantation d'une décharge contrôlée La wilaya de Tizi Ouzou qui rejette plus de 300 000 tonnes de déchets divers par an a vraiment besoin d'être sauvée des mains de responsables qui ne savent même pas gérer leurs propres rejets ! Les contraintes soulevées par les riverains sont compréhensibles du point de vue de la déchéance sociale et économique qui prévaut en Kabylie. Les opposants aux implantations de CET évoquent souvent des problèmes de développement qu'ils associent, naturellement, aux autres préoccupations d'ordre et de service publis. «Certes, on a besoin de cette décharge, mais notre localité a urgemment besoin de possibilités de création d'emplois, de structures de santé qui répondent à nos besoins et d'industries. Nous ne méritons pas que les mauvaises odeurs et les saletés à proximité de nos maisons», faisait remarquer un membre de comité de village d'une commune de Tizi Ouzou à une délégation de wilaya, suite à une opposition d'implantation d'une décharge contrôlée. Pour ne citer que l'exemple de la décharge communale d'Azazga, à 37 kilomètres à l'est de Tizi Ouzou, il y a lieu de se pencher sur la question avant de voir les conséquences graves s'énumérer une à une et dans des délais très courts. Délocalisée à maintes reprises, la décharge avait fait l'objet d'actions de protestation et d'opposition des habitants. Après les riverains du site de Zzan (sortie est de la ville), c'était au tour de ceux de Taddart de sortir de leurs gonds après son transfert vers Tamda N'Tqentart, sur la route de Yakourène. «La solution est loin d'être trouvée pendant que les ordures ne cessent de s'entasser dans différents sites anarchiques où les seules victimes restent l'environnement et les citoyens. Nous voyons cette décharge provisoire se rapprocher de nos maisons [...] Quels sont les critères scientifiques ou techniques qui vous ont permis de choisir ce site sachant qu'il est situé dans une forêt [Yakourène, Ndlr] et à moins de 200 mètres à vol d'oiseau de l'hôpital d'Azazga, à côté d'une forêt et à proximité d'un cours d'eau ? Avez-vous une idée précise sur l'impact des fumées qui seront dégagées sur l'état de santé des malades hospitalisés ?», ainsi s'adressait le comité de village de Taddart au maire d'Azazga. Solution d'urgence trouvée par les autorités locales : le site d'El Aïnsseur, au cœur de la prestigieuse forêt de Yakourène, non loin de l'ensorceleuse Fontaine fraîche dans l'attente de la réalisation d'un CET à Boubhir. Près de trois longues années après, des habitants réagissent et ferment le site, une nouvelle fois, le 6 septembre dernier, alors que le CET de Boubhir ne voit toujours pas le jour. «Non à l'empoisonnement de notre environnement !», écrivent, sur une banderole, des habitants de Taddart et Tazaghart à l'entrée de leurs villages situés à mi-chemin entre les villes dAzazga et de Yakourène. Et au lieu de trouver là une opportunité pour laver le mal déjà fait à l'environnement et s'excuser des torts causés à tous les êtres vivants, un élu local à l'APC d'Azazga n'a pas trouvé mieux que d'accuser des «personnes qui ont fermé ladite décharge pour la énième fois sans préavis ni avertissement préalable, compromettan le ramassage des déchets ménagers à travers la ville et les villages d'Azazga, chef-lieu de daïra de plus de 35 000 habitants», pouvons-nous lire dans la déclaration signée par le P/APC et placardée sur les murs de la ville d'Azazga. Le même élu rappelle sans conscience des dégâts sur l'environnement et la santé publique que le choix du site de la décharge a été fait en coordination avec les comités de villages, avalisé par les auteurs de cette fermeture, tout en insistant sur «la viabilisation du site qui a coûté 18 000 000 DA au contribuable, auxquels viennent s'ajouter les autres frais de fonctionnement et de gestion, conformément aux critères requis pour ce genre d'emplacement (enfouissement, remblais, mise à niveau, etc.)» comme s'il s'agissait uniquement de question pécuniaire ! Pendant un mois et quatre jours, les quartiers de la ville d'Azazga sont transformés en mini centres d'incinération des déchets ménagers par les habitants qui suffoquent sous l'odeur des poubelles abandonnées. Agissant dans l'urgence, les autorités locales n'ont pas trouvé mieux que le recours à la police anti-émeute pour nettoyer la ville d'Azazga. Quatre opposants à ladite décharge ont été arrêtés avant d'être relâchés sous la pression de la rue. Après l'émeute, on décide de prolonger de huit mois la décharge décriée avant de promettre, encore une fois,à la population de mettre en place une décharge réglementaire avant la fin de l'échéance «inextensible». Mais, à présent, rien n'est réglé de façon durable ; les dangers et les nuisances continuent de peser sur la population et l'environnement.