Samedi dernier, les rebelles de la Séléka entraient dans Bangui pratiquement sans coup férir et, dans leur progression vers le palais présidentiel, ils n'eurent même pas besoin de recourir aux armes pour capturer le président Bozizé. Sachant la partie perdue pour lui, celui-ci avait mis les voiles en direction du Cameroun voisin, non sans avoir pris soin, dès samedi, d'évacuer sa famille vers un autre pays frontalier, la République démocratique du Congo. Accusant François Bozizé d'avoir trahi un accord de partage du pouvoir, conclu en janvier 2013 à Libreville, les rebelles ont fait montre d'une grande intransigeance en ne tardant pas à mettre leur menace à exécution. Seule concession à l'accord conclu dans la capitale gabonaise, les rebelles ont annoncé, hier matin, le maintien dans ses fonctions du gouvernement formé de représentants de l'opposition civile et de rebelles, et au sein duquel le chef de la Séléka, Michel Djotodia, avait été nommé vice-Premier ministre. Course contre la montre révélatrice de ses intentions, il s'est autoproclamé président de la République sitôt arrivé à Bangui. Se voulant rassurant, mais s'adressant plus à la communauté internationale qu'aux Centrafricains, le porte-parole des rebelles a déclaré, de son côté, que «le Premier ministre actuel reste en place et le gouvernement va être légèrement remanié». Pour Eric Massi, joint par téléphone par RFI, «Bangui est calme et sous notre contrôle, mais nous avons des choses à faire sur le terrain en termes de sécurité. Il faut mettre fin aux pillages». Alors que la France, présente militairement en Centrafrique, a demandé une réunion urgente du Conseil de sécurité de l'ONU, l'Union africaine mettait aussitôt en œuvre une des dispositions fondamentales de sa Charte en suspendant la République centrafricaine de l'Union. «Le Conseil décide de suspendre immédiatement la participation de la RCA [République centrafricaine] à toutes les activités de l'Union africaine ainsi que d'imposer des sanctions, à savoir des restrictions de voyage et le gel des avoirs des dirigeants de la Séléka, dont son chef Michel Djotodia s'est proclamé président», a annoncé le Commissaire à la paix et la sécurité de l'UA, Ramtane Lamamra.
Fait accompli En dépit du fait que les intentions de la rébellion ne laissaient pas de place au doute et qu'elles étaient bien de prendre le pouvoir par la force des armes à Bangui, les principaux pays qui pouvaient empêcher le fait accompli ne l'ont pas fait. La France comme les Etats-Unis se sont contentés, après coup, de «manifester leur inquiétude». Ainsi, les Etats-Unis se sont dits dimanche «profondément inquiets par la détérioration de la sécurité» en Centrafrique et ont appelé les rebelles de la coalition à respecter les accords de Libreville sur une sortie de crise. «Nous appelons de manière urgente la direction de la Séléka, qui a pris le contrôle de Bangui, à rétablir la loi et l'ordre dans la ville et à remettre en route les services de distribution d'eau et d'électricité», a affirmé la porte-parole du département d'Etat. Washington se dit également «très inquiet» de la dégradation de la situation humanitaire et par «les informations crédibles et nombreuses faisant état d'atteintes aux droits de l'Homme, à la fois par les forces de sécurité et par les combattants Séléka». Et il y a en effet de quoi être inquiet face à l'anarchie régnant dans la capitale dès l'entrée de la rébellion. Bangui offrait aussitôt le spectacle affligeant de scènes de pillage généralisé, œuvre indistincte de rebelles armés, de forces de sécurité en débandade mais aussi d'habitants profitant de l'absence des forces de sécurité. Inquiétude d'autant plus grande que le coup d'Etat -c'en est un- qui a renversé le président Bozizé signe l'échec d'un long et laborieux processus de transition politique lancé en 2008, à l'issue duquel les différents mouvements de rébellion armée du Nord devaient être réintégrés et transformés en partis politiques. Une des étapes importantes de ce processus furent les élections présidentielles et législatives, du 23 janvier 2011, qui s'étaient déroulées sans incidents mais avec de nombreux dysfonctionnements et problèmes d'ordre matériel. Si la réélection du président Bozizé, pour un troisième mandat, au premier tour avec 64% des voix, n'a pas été remise en cause, ce ne fut pas le cas pour les résultats des élections législatives qui ont écarté l'opposition de l'Assemblée nationale au profit du parti présidentiel et de ses alliés. Ces résultats ont été dénoncés et de nouvelles tensions avec le pouvoir sont apparues, avec pour conséquence sur le terrain une réactivation de la rébellion armée. A vrai dire, depuis son indépendance en 1960 et après une quinzaine d'années de règne ubuesque de Bokassa, qui s'était proclamé empereur en 1977, la République centrafricaine a été en proie à une instabilité chronique marquée par de multiples rébellions, mutineries militaires et coups d'Etat. Les conséquences de cette instabilité ont été désastreuses pour l'économie de ce pays, qui figure parmi les plus pauvres de la planète alors que son sol aussi bien que son sous-sol ne sont pas dépourvus de richesses telles que bois, diamant, uranium, fer… Le président Bozizé a bien pris la mesure du danger qui menaçait son pays, mais son réveil a été tardif. Il a bien commencé à mettre en œuvre les dispositions du compromis négocié en janvier dernier avec la rébellion et a formé un gouvernement d'union nationale. Mais les rebelles lui reprochent un manque de célérité et le maintien des troupes sud-africaines et ougandaises qu'il avait sollicitées. A. S.