A la clinique «Feriel» d'assistance médicale à la procréation, située dans la commune de Bab Ezzouar, à Alger, des hommes et des femmes affluent des quatre coins de l'Algérie dans l'espoir de pouvoir enfin concevoir un bébé. Les couples en mal de fécondité s'engagent dans l'aventure, comptant sur Dieu et le travail de toute une équipe pour apporter un soulagement à leur détresse. Une détresse profonde qui étreint le cœur et l'âme, devenant de plus en plus accablante face au regard inquisiteur et chargé de haine d'une société qui ne pardonne pas. Le poids de la stérilité «Quelle honte ! Tout le monde savait que je devais accoucher cette semaine-là. Tous attendaient la venue de bébé… mais je l'ai perdu le jour même de l'accouchement. C'était une grande honte pour moi… Il était mort dans mon ventre…» raconte, désarmée, une femme d'une trentaine d'années, admise à la clinique «Feriel» lors d'une deuxième tentative de procréation médicalement assistée. La femme ne pense pas à sa douleur de mère éplorée ni à ses espoirs, anéantis par l'échec de la première tentative, encore moins à l'argent perdu, autant qu'elle pense au «mépris» et aux «accusations» de sa belle-famille et de ses voisins qui la savaient «stérile». Eh oui ! Ce «qu'en dira-t-on ?» est toujours présent pour rappeler à la femme sa vulnérabilité devant une situation dont elle n'est pas maîtresse. Encouragée par une mère décidée à faire sortir sa fille de l'abîme de tristesse et un mari qui n'hésite pas à aller voir des amis pour de nouveaux emprunts, la jeune femme revient à la clinique et subit une deuxième ponction d'ovocytes. Sa voisine de salle, plus jeune de trois ans, subit la même opération mais n'y pense même pas. Bien au contraire, elle semble tellement heureuse d'avoir franchi le pas. La jeune femme, tout sourire, se fait belle comme pour se rendre à une grande fête et porte des lentilles de contact bleues. «Il va avoir les yeux bleus !» dit-elle confiante. Une autre femme de 39 ans entre dans la salle, tout en larmes. Tenant maladroitement son téléphone portable, elle essaie de joindre son époux qui attend dans un autre service. «Je suis enceinte ! Je suis enfin enceinte!» crie-t-elle en pleurant. «Je suis enceinte ! Après 14 ans de mariage !» répète-t-elle plusieurs fois, comme pour se convaincre du miracle qui a, enfin, pu se produire. Depuis qu'elle s'est mariée, ils n'ont jamais cessé, elle et son mari, de consulter des médecins spécialistes pour régler ce problème de stérilité. Le couple s'apprêtait même à se rendre en Tunisie à la recherche de cet enfant qui tarde à venir. «Mon médecin m'a dissuadé d'y aller, m'expliquant que mon utérus ne supportera pas le poids d'une grossesse… J'ai dû donc me résigner à cette fatalité». La femme a entendu parler de la clinique «Feriel» par hasard. «Ils m'ont dit que beaucoup d'enfants sont nés de couples stériles dans cette clinique et que ces enfants se portent bien», poursuit-elle. Avoir un bébé à tout prix En effet, comme nous avons pu le constater, les services de la clinique ne désemplissent pas. Salles d'attente, consultations, ponctions, transferts… ça travaille ! «Six ponctions le jeudi ! C'est quand même beaucoup», rapporte une jeune employée. «J'adore ce que je fais… Je manipule la vie… Je contribue au bonheur des familles», affirme une biologiste qui s'affaire au tri des ovocytes qu'elle va préparer pour la micro-injection. Tri des ovocytes, injection de spermatozoïdes, formation et transfert d'un embryon dans l'utérus. Un travail qui nécessite beaucoup de patience et de concentration devant le microscope et autres matériels utilisés dans la pratique de cette technique, mais qui fait aussi appel à une véritable synergie de groupe pour l'obtention d'un bon résultat. Le Dr Cherif Nedir, premier responsable de cette clinique, qu'il a créée lui-même en 2000, est le conducteur de la locomotive. Il suit et contrôle toutes les opérations, de la préparation du couple à tenter l'expérience jusqu'à la confirmation de la grossesse. Selon le Dr Nedir, une moyenne de trois ponctions par jour est effectuée à la clinique «Feriel», avec un taux de grossesse qui varie de «32 à 36%». «Nous sommes dans la norme internationale», soutient-il. Autrement dit, ce que craignent de nombreux couples, sans toutefois s'y opposer, c'est que ces tentatives de procréation médicalement assistée n'aboutissent pas forcément. C'est au cas par cas. «Il arrive qu'une tentative réussisse une première fois, une deuxième, puis une troisième… et même jusqu'à une cinquième fois. Parfois, ça ne réussit pas du tout. Cela dépend du problème auquel nous faisons face», explique le médecin biologiste. Ce dernier insiste toutefois sur un point fondamental : l'âge du couple, particulièrement celui de la femme. «Plus la femme est jeune, plus elle a de fortes chances d'avoir une grossesse correcte», rappelle-t-il. Cela ne doit pas choquer les couples, quoique ce genre de réactions soit tout à fait compréhensible et légitime, d'autant qu'il s'agit là d'un traitement qui revient cher : 80 000 DA la micro-injection et jusqu'à 100 000 DA le traitement médical. Soit un total de 180 000 DA pour une seule tentative. «Et si je donne ces 18 ou 20 millions de centimes et que la tentative de procréation échoue ?» s'interrogent des couples. C'est là justement une grande partie du problème. Il n'est pas facile d'amasser cette somme d'argent en ces temps de grande cherté de la vie. Les couples empruntent chez des proches, chez des amis… Les femmes vendent leurs bijoux… Un couple a dépensé jusqu'à 70 millions de centimes pour trois tentatives (voyages et frais de déplacement inclus)… un autre a vendu sa maison… Des histoires bien tristes mais réelles. Tout cela dans l'espoir d'avoir un bébé ! Les pouvoirs publics interpellés Le Dr Nedir assure que les couples qui font une deuxième ou troisième tentative ouvrent droit à des réductions mais seulement en ce qui concerne la technique de micro-injection. «Il nous arrive de procéder à des micro-injections à seulement 50 000 DA». La congélation des embryons, une pratique qui tend à se généraliser dans cette clinique, est pour beaucoup dans la réduction des frais. «Nous congelons les embryons qui restent de la première tentative de procréation et quand la femme se présente pour une deuxième, nous les décongelons et effectuons directement le transfert. La femme n'aura pas à subir une deuxième ponction et le paiement sera nettement réduit. Pour des raisons tout à fait objectives, nous avons mis du temps pour mettre en pratique cette nouvelle technique mais nous la maîtrisons suffisamment aujourd'hui», explique-t-il. Il y a près d'un mois, la première naissance à partir d'un embryon congelé a eu lieu dans cette clinique. C'était un beau bébé –une fille- de 4,4kg. La deuxième naissance devrait avoir lieu en janvier prochain. Pour ce qui est du traitement médical, c'est-à-dire les médicaments, cela ne dépend pas de la clinique. Les médicaments sont commercialisés par les pharmacies, qui, elles, s'approvisionnent auprès des laboratoires. Le Dr Nedir attire l'attention sur un fait qu'il juge inacceptable : «Le traitement varie du simple au double. D'un laboratoire à un autre. Un laboratoire vend un traitement complet à 40 000 DA et un autre à 80 000 DA… Cela n'est pas normal. Il n'y a pas de raison pour que les prix soient différents. Il s'agit de la même molécule.» N'est-il pas temps que les pouvoirs publics agissent dans le sens d'une véritable régulation du marché des médicaments ? N'est-il pas temps de penser aussi à faire reconnaître la stérilité comme étant une pathologie ? Beaucoup de couples en souffrent. Les femmes en particulier qui se voient montrées du doigt même si le problème ne se situe pas à leur niveau. En effet, selon le chiffre donné par le Dr Nedir, 67% des cas de stérilité en Algérie sont d'origine masculine. Le problème réside dans le sperme. La raison pour laquelle le médecin biologiste lance un appel aux époux, chez les couples qui ont des difficultés de fécondation, de faire un spermogramme avant toute forme d'exploration chez leurs femmes. Ça fait gagner du temps et réduit les dépenses. K. M.