Face à la faim qui gagne de plus en plus de terrain et ravage des pays entiers, la communauté internationale a tenté de riposter, même de manière trop mitigée. Car, ne sachant pas trop comment faire, l'Organisation mondiale pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), a tout de même organisé un sommet de mardi à jeudi derniers, à Rome, la ville qui abrite ses bureaux. Une cinquantaine de chefs d'Etat et de gouvernement ainsi que des centaines de ministres et hauts dignitaires de plus de 180 pays ont réussi le minimum : s'engager à rassembler 6,5 milliards de dollars, de promesses du moins, sur les 40 qu'exige la relance de la production alimentaire mondiale annuellement, selon les vœux du secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon. Et toujours sur le plan des engagements, les participants au sommet de Rome souhaitent réduire de moitié, d'ici à 2015, le nombre des personnes sous-alimentées, estimées à plus de 800 millions réparties à travers différents points du globe, mais localisées essentiellement en Afrique subsaharienne et Asie du Sud. Dans le document final qui a sanctionné les travaux, rendu public jeudi dans la soirée, les pays s'engagent à réduire de moitié le nombre de «personnes sous-alimentées pour 2015 au plus tard», et réaffirment «les conclusions» des sommets sur l'alimentation de 1996 et 2002 d'«atteindre la sécurité alimentaire». Les pays affirment également dans ce texte que la nourriture «ne devrait pas être utilisée comme moyen de pression économique et politique». Les pays «encouragent la communauté internationale à poursuivre ses efforts en matière de libéralisation des échanges agricoles en réduisant les obstacles au commerce, et les politiques qui sont à l'origine des distorsions des marchés». Le directeur général de la FAO, Jacques Diouf, a exprimé sa joie à l'issue du sommet en indiquant : «On ne s'est pas contenté de paroles mais on a décidé de mobiliser des ressources pour mettre en œuvre des actions à court, moyen et long terme.» De son côté, le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a, dans un point de presse organisé mercredi dernier, estimé : «On ne peut pas se permettre d'échouer. C'est une lutte qu'on ne peut pas se permettre de perdre, la faim crée l'instabilité, et nous devons réagir maintenant et tous ensemble», a-t-il souligné avant de préciser que «le plan d'action doit être mis en place de façon urgente, des millions de personnes attendent [...] On aura besoin de 15 à 20 milliards de dollars par an». Il faut que «le système commercial international fonctionne de façon efficace pour que davantage de denrées soient mises sur le marché et à des prix raisonnables», a-t-il encore expliqué. Les biocarburants et le gaspillage Mais plus qu'une crise alimentaire, le sommet de Rome a permis de mettre à nu de véritables dysfonctionnements dans l'ordre mondial. Et la polémique n'a pas été déclenchée assurément sur les disparités entre le Nord et le Sud, comme c'était le cas il y a des années, mais sur un nouveau phénomène généré par la fabrication de biocarburants. Cette nouvelle industrie, apparue aux Etats-Unis et dans certains pays émergents, tels le Brésil et à un moindre degré l'Inde, est accusée d'être derrière la pénurie de certains produits alimentaires, notamment le maïs et certaines autres céréales utilisées dans la fabrication de l'éthanol, un carburant fabriqué à base d'aliments pour faire face à la hausse des prix des hydrocarbures. Mais cette polémique, ajoutée à celle relative aux aliments du bétail, de plus en plus fabriqués à partir d'aliments humains, apparaît aux yeux de certains pays comme une diversion. Car, malgré l'usage parfois disproportionné de l'agriculture autre que pour nourrir des êtres humains, certains experts indiquent que la fabrication de biocarburants ne peut en aucun cas avoir un avenir du fait des coûts élevés qu'elle exige et d'énormes ressources, notamment hydriques, nécessaires à son fonctionnement. Pendant ce temps, des millions de personnes vivent, depuis des années en réalité, dans des conditions totalement inhumaines. La famine menace des pays entiers, à l'image du Niger, de l'Ethiopie et de la Somalie, en Afrique, et du Bangladesh en Asie du Sud, pour ne citer que ceux-là. Cette crise alimentaire est accentuée ces derniers mois par l'inflation qui a généré des flambées sans précédent des produits alimentaires de première nécessité comme le blé et le riz, ce qui a provoqué des émeutes sanglantes dans plusieurs pays. Car, en plus de certains pays pauvres, comme Haïti et la Somalie, les troubles ont aussi gagné l'Egypte et la Tunisie qui ont, toutes les deux, connu des morts à cause de la faim. Les causes de la faim ne sont cependant pas liées qu'à la furie des marchés internationaux. Une récente étude a révélé que plus de 50% de l'alimentation consommée par les Américains finit dans… les poubelles. Et cette nourriture jetée suffirait à nourrir des dizaines de millions de personnes dans le monde. Selon toujours la même étude, rendue publique par des chaînes de télévision occidentales au début de la semaine dernière, la publicité a un grand rôle dans le changement des habitudes alimentaire des citoyens américains. Plus que l'opulence, les Américains mettent de plus en plus de produits manufacturés dans leurs assiettes, dont le volume augmente au même titre que la contenance des bouteilles de limonade, par exemple. Et cela ne peut conduire qu'au gaspillage, nonobstant les répercussions que cela produit sur la santé des citoyens du nouveau monde. Mais là n'est pas vraiment le problème si ce n'est la famine qui ronge d'autres millions d'êtres humains dans des pays qui ne sont pas vraiment loin de la Californie, à l'image de Haïti. Cela étant, le sommet de Rome n'a pas réglé les problèmes de la sous-alimentation, ni ceux de la famine non plus. Les engagements pris ont vite été rattrapés par une nouvelle polémique déclenchée depuis samedi dernier autour de la responsabilité de la crise alimentaire mondiale et de la crise économique tout court. Les pays membres du G8, donc les plus industrialisés dans le monde, en plus des pays de l'Asie du Sud-Est, ont réclamé plus de production de pétrole pour influer sur les prix des autres produits, au moment où la Russie, par la voix de son Président, Dmitri Medvedev, a accusé les Etats-Unis d'être derrière la crise économique mondiale. C'est la lutte des ténors. Et les pauvres ? Ils continuent de mourir de faim. A. B.