Malongo, un «Hassi-Messaoud» très fermé Il a fallu que se produise la fusillade ayant ciblé, pas loin de la frontière avec le Congo, le bus transportant la délégation du Togo pour que le Cabinda soit médiatisé. Plus même : c'est à l'occasion de cet événement tragique que l'opinion publique internationale a découvert que la province de Cabinda ne fait pas partie de l'Angola métropolitaine et qu'elle est une enclave entourée par le Congo et la République démocratique du Congo. Qu'est-ce qui a donc amené l'Angola à tenir à un territoire qui ne lui est pas rattaché géographiquement, mais qui l'est politiquement ? Qu'est-ce qui explique que ce soit devenu une zone à risques aux yeux de beaucoup d'observateurs ? L'Algérie ayant des chances de s'y déplacer et d'y jouer en quarts de finale, nous nous y sommes rendus pour dresser un état des lieux. Favelas, taudis et misère accueillent le visiteur En parcourant le chemin qui sépare l'aéroport de Cabinda de la ville, rien d'indique qu'il y a vraiment une différence avec les autres provinces angolaises : même misère, mêmes favelas, mêmes taudis, mêmes bidonvilles, même désœuvrement. La route est étroite et passablement cahoteuse. Pour l'étranger arrivant à Cabinda, la première impression est loin d'être enchanteresse. Il faut aller au centre-ville pour trouver quelques rares bâtisses de plus de deux étages. C'est situé sur un petit col, là où le colonisateur portugais tenait son quartier général. Sinon, il est extrêmement rare de trouver des bâtiments dignes de ce nom. Quant aux immeubles, inutile même d'en parler. Les jeunes Cabindais qui ne sont jamais sortis de la province n'en ont sans doute jamais vu de leur vie. Cabinda vaut de l'or… et du pétrole La réalité de la province est bien là : les habitants y sont pauvres, très pauvres. C'est là où réside le problème car, aussi paradoxal que celui puisse paraître, la province de Cabinda est l'un des territoires les plus riches au monde ! Elle tire sa richesse de l'existence de champs pétrolifères à Malongo, dans le milieu de la province, à une centaine de kilomètres de la frontière congolaise. Ces champs produisent pas moins de 2,2 millions de barils de pétrole par jour, ce qui fait de l'Angola le deuxième producteur de pétrole en Afrique derrière le Nigeria. En plus clair, ce sont les barils produits à Malongo qui nourrissent l'économie de tout l'Angola. L'enclave de Cabinda est donc le véritable poumon de l'économie angolaise (on y produit aussi du gaz, de l'or, du diamant et du phosphate) et c'est ce qui explique que ce n'est pas un territoire banal pour le gouvernement angolais. Les habitants revendiquent leur part des richesses Comment donc un territoire si riche peut-il être un sanctuaire de pauvres ? C'est la question qui révolte les Cabindais, lesquels ressentent mal de ne pas bénéficier d'une partie des richesses de la province, à défaut d'en bénéficier tous seuls. Le produit de la vente du pétrole n'est pas distribué avec équité, selon eux, et ce n'est pas normal, de leur point de vue, que le gouvernement central accapare des richesses puisées dans le territoire de leurs ancêtres. Si le ressentiment est général, la révolte est circonscrite à une frange de révolutionnaires qui se sont organisés en un Front de libération de Cabinda (FLAC), organisation paramilitaire créée dans le but de «combattre l'injustice» en usant de tous les moyens, y compris des armes, selon les déclarations publiques de ses représentants. L'autonomie pour certains, l'indépendance pour d'autres Si la majorité des Cabindais rejettent le recours aux armes, parce que pacifistes de nature et aussi lassés par de longues années de guerres civiles en Angola et dans la République démocratique du Congo, un pays limitrophe, il n'en demeure pas moins qu'ils sont sensibles aux objectifs politiques du FLAC. Alors que le taux de chômage dans la province est l'un des plus forts de toute l'Angola, ils réclament plus d'équité dans la répartition des richesses. En fait, il existe deux catégories de contestataires : ceux qui réclament carrément l'indépendance de la province, ce qui en ferait, dans le cas où elle deviendrait un pays, l'un des plus riches au monde, et ceux qui veulent seulement une large autonomie (des négociations secrètes ont lieu depuis plusieurs mois entre le gouvernement et les rebelles pour conclure un pacte d'autonomie), surtout que la proximité du Congo et de la République démocratique du Congo (ex-Zaïre), deux pays francophones, fait que le français est assez usité dans le Cabinda et la population veut en faire une langue nationale au côté du portugais. «Moi, je suis Cabindais, pas Angolais» Pascal fait partie de ceux qui sont favorables à l'indépendance. Parlant français et exerçant chez un privé, il ne se sent pas complètement angolais. «Moi, je suis Cabindais», assure-t-il, comme pour marquer sa différence. «L'Angola se trouve à 60 kilomètres au-delà des frontières de la République du Congo. Je me sens plus proche des Congolais que des Angolais. C'est juste une question de spécificité culturelle», avance-t-il comme argument, comme s'interdire toute velléité de soutien au combat armé du FLAC. D'ailleurs, il dit tout ignorer des rebelles, sinon qu'ils activent dans les maquis de la frontière et qu'ils ont un bureau à Paris, la capitale de la France. Ils sont nombreux à être, comme Pascal, favorables à l'indépendance ou à l'autonomie, mais sans effusion de sang car les habitants ont assez souffert des guerres et de la pauvreté pour qu'on leur rajoute les affres d'un effort de «révolution». Les nationalistes fêtent ostentatoirement la victoire contre le Malawi Paulo, autre francophone à Cabinda, est opposé à toute idée d'indépendance. «La fusillade contre le bus des Togolais est le fait d'agitateurs minoritaires qui ont voulu se faire de la publicité en profitant d'une grande fête sportive», martèle-t-il. Cet enseignant de français, qui se dit angolais jusqu'à la moelle, rassure tous les étrangers qui débarquent à Cabinda : «Vous pouvez vous promener partout, sans risque aucun. Les autorités veillent à la sécurité de tous.» Il n'hésite pas d'ailleurs à assurer à tout le monde que les auteurs de la fusillade sont sur le point d'être tous mis hors d'état de nuire. «Déjà, deux d'entre eux ont été capturés. Les médias angolais en ont parlé», répète-t-il avec confiance et assurance. Ce discours apaisant est répété à satiété par tous les officiels croisés à Cabinda. Ces mêmes officiels ont organisé, au soir de la victoire de l'Angola face au Malawi, des défilés de voitures dans les rues de la ville de Cabinda et dans les bourgs avoisinants, comme autant de signes ostentatoires du nationalisme de la population locale. Malongo, un «Hassi-Messaoud» très fermé En attendant, la réalité dans le Cabinda est bien triste : des taudis un peu partout et même un manque d'eau dans certaines bourgades. «Il a fallu qu'il y ait la CAN pour qu'on élargisse et qu'on goudronne la route menant au nouveau stade. Autrement, l'ancienne route serait restée en l'état», regrette Pascal. C'est cette même route qui continue jusqu'à Malongo, la ville-pétrole, le «Hassi-Messaoud» local. C'est dans cette grande base de vie fermée, où on n'accède qu'avec des laisser-passer, que se fait l'économie angolaise. La présence de rebelles du FLAC à une soixantaine de kilomètres de là fait que ce site est hyper-protégé, peut-être encore plus protégé que le palais présidentiel à Luanda. Les nombreux coopérants étrangers qui y travaillent (des Français, des Américains, des Sud-Africains, des Portugais…) n'en sortent jamais, sauf pour aller à l'aéroport (sous escorte, de surcroît. Ils mangent dans des réfectoires aménagés à l'intérieur et, pour leurs achats, ils se font faire leurs courses par des fonctionnaires. D'ailleurs, il est extrêmement rare de voir un blanc dans la ville (nous n'en avons croisé aucun durant notre séjour à Cabinda). Ainsi, Malongo est «une enclave dans une enclave». C'est fait pour des raisons de sécurité, mais cela est ressenti par des Cabindais comme une vexation supplémentaire. Plutôt gagner sa vie que gagner un match Le Togo aurait peut-être accepté de rester et participer à la CAN si les matches du groupe B, domicilié à Cabinda, avaient été transférés vers une ville de l'Angola métropolitaine, mais le gouvernement angolais a maintenu Cabinda comme site de la compétition, estimant qu'un retrait de cette ville serait considéré comme une victoire politique pour le FLAC. Cabinda est donc un choix politique avant d'être un choix sportif. Même sans le Togo, le programme ira à son terme et la souveraineté sur la province du Cabinda sera démontrée devant l'opinion publique internationale. La population locale, elle, s'en moque car ayant d'autres soucis en tête. Gagner sa vie est un combat au quotidien ici et il passe bien avant les festivités de la CAN, comme en témoigne la désaffection du public lors des deux matches qui ont eu lieu au stade Chiaza jusqu'à ce jour (Côte-d'Ivoire – Burkina-Faso lundi passé et Côte-d'Ivoire - Ghana hier). D'ailleurs, c'est le seul «match» qu'ils ne sont pas sûrs de toujours gagner, même s'ils évoluent sur du pétrole… F. A-S.