Le procès de Khalifa Bank au tribunal criminel de Blida a entamé, hier, sa deuxième semaine; accusés, témoins et experts continuant de défiler à la barre pour aider à démêler l'écheveau d'une affaire dont le préjudice annoncé jusqu'à présent dépasse 3 milliards (mds) de dinars. La 13e audience du procès Khalifa a repris, hier, avec l'interrogatoire de Toudjanne Mohamed, chef du département central à la direction de la comptabilité de l'agence de Chéraga de Khalifa Bank. La présidente, Mme Fatiha Brahimi, l'a donc interrogé sur les écrits et lui a demandé s'il avait les biens reçus sur tous les comptes et les sommes qui existaient dans les caisses des autres agences. A cela l'accusé a répondu que "tout au long des années 1998/99/2000 je saisissais la comptabilité de leur département tous les jours durant cette période mais je ne prenais en considération que les soldes dûment justifiés". Il ajoutera qu'après cette période M. Akli Youcef lui envoyait des soldes sans les accompagner des pièces justificatives et que là, il avait refusé de les saisir. L'accusé a poursuivi ses aveux en indiquant que les procédures vis-à-vis de la Banque d'Algérie n'étaient jamais respectées. Il évoquera dans ce contexte le bilan mensuel selon le modèle qui devait être à chaque fois transmis à la Banque centrale qui n'était pas remplis comme il se doit et qui avait des retards allant jusqu'à 3 mois.* Il ajoute également, qu'"au moment de la saisie des comptes il n'a pas remarqué les écarts des chiffres et les trous qui existaient jusqu'au jours où il s'est trouvé face aux 11 EES (écritures entre sièges)" avant d'ajouter qu'à chaque fois qu'"il voyait quelque chose d'anormal je prévenait mon directeur Hadid Omar" précise-t-il. M. Toudjani avoue avoir bénéficié d'un prêt de 50 millions de centimes, et un autre de l'ordre de 90 millions de centimes mais qu'il a remboursé selon un échéancier pendant qu'il travaillait à Khalifa et même après que le liquidateur ait été désigné. Il continue à dire : "J'ai pas bénéficié d'avantages, j'était traité comme les autres". Il faudra dire que pendant un an et demi, les comptes et les écritures comptables n'étaient pas précis. Pour ce qui des relations qu'il entretenait avec le PDG Abdelmoumène Khalifa, l'accusé dira qu'il l'a "vu une fois lors de la signature d'un courrier pour le remettre à la Banque d'Algérie et une autre fois lors d'une réunion à Paradou en présence du commissaire aux comptes", avant d'ajouter que "quelques agences ne nous envoyaient pas l'intégralité des documents qu'on demandait". M. Toudjanne a dévoilé à la cour, suite à une question de maître Bourayou sur les augmentations énormes des charges, qu' "il a remarqué ça lors de l'enregistrement de ces frais dans le compte global, et il cite comme exemple les intérêts des versements des clients qui étaient énormes et qui arrivaient jusqu'à 1 milliard de centimes, et le sponsoring de quelques clubs citant l'USMA et CRB qui absorbaient d'énormes sommes d'argent. Ces dépenses ne rentraient jamais dans les comptes mais c'est Abdelmoumen qui s'occupait de ça". Il dit à ce sujet que "les comptes ne reflètent pas toujours la réalité, et je n'avais ni les moyens, ni le pouvoir de changer cette situation". Maître Bourayou interrogera de nouveau le témoin pour savoir si Abdelmoumen avait un compte personnel et à combien était fixé son salaire mensuel. Le comptable dira qu'il ignorait tout à ce sujet. C'était ensuite au tour M. Aghoua Madjd, retraité du Crédit populaire d'Algérie (CPA), d'être appelé comme témoin. Celui-ci a été appelé le 12 mars 2003 par l'administrateur provisoire de Khalifa Bank, M. Djellab, comme un inspecteur dans la commission qu'il a installé aux cotés de M. Zizi Abderazak, Laarouch, Amaouch et le DG de la banque (de l'époque, Lazhar Alloui, décédé, aujourd'hui. Le témoin déclarera qu'"il était chargé de faire un compte minutieux de ce qu'il y avait dans la caisse principale et que c'est M. Alloui qui lui a signé l'ordre de mission". M. Aghoua indiquera que "dès le premier jour, on a constaté que les fonds n'étaient pas sur place ou du moins la moitié et l'autre partie était en caisse dans le coffre de l'agence d'Hussein Dey, et que c'est le caissier principal qui était responsable de ce coffre". Il ajoute également qu' "il y avait une grande différence entre les montants existant physiquement et les écrits", que "Nakache m'a remis les écritures des 11 montants des EES reflétant 2 milliard de DA, et il y avait 3 signatures sur le PV qu'on a établi à cet effet dont la signature de Nakache, Chebli et celle de Akli. Pour nous ces 3 personnes étaient concernés par l'affaire et elles étaient au courant de l'existence de ces EES". Dans l'après-midi, la juge Brahimi rappela M. Mohamed Djellab à la barre et ces témoins. Celui-ci affirmera qu'il avait été sollicité en 2000 par Yousfi Benyoucef, inspecteur au sein d'El Khalifa Bank et Amar Guellimi pour effectuer une inspection, car il avait constaté des anomalies dans la gestion de la banque. Mais qu'il avait été empêché d'effectuer ce contrôle par Lazhar Alloui. Il ajoute que le premier jour de l'inspection, qui n'a d'ailleurs duré que 24 heures, ils avaient décidé d'établir des données comptables et de faire un compte de l'espèce qu'il y avait dans les caisses. Sur ce, Akli Youcef présentait un des bons et des bouts de papiers écrits à la main. C'est qu'ils se sont rendus compte des anomalies dans la gestion de la banque. Pour rappel, M. Djellab, qui a été nommé administrateur provisoire de la banque nommée, en mars 2003, par la Banque d'Algérie, a indiqué lors de l'audience du dimanche après-midi que plus de 75 milliards de dinars étaient nécessaires pour redresser Khalifa Bank, dont l'examen des comptes a révélé des "crédits cachés" sous des "artifices comptables". "Il fallait injecter 75 mds de DA pour reconstituer les fonds d'El Khalifa Bank, rien que pour couvrir ses comptes et, pour la sauver, il fallait davantage", a témoigné Mohamed Djellab, l'actuel P-DG du Crédit populaire algérien (CPA), devant le tribunal criminel de Blida, où se déroule, depuis lundi, le procès d'El Khalifa Bank. Dans la caisse principale de la banque, "il y avait un trou de plus de 3 mds de DA, dont 2,92 mds de DA en monnaie nationale et le reste en devises", a-t-il ajouté. Les comptes de Khalifa Bank "contenaient des engagements cachés, des crédits cachés sous des comptes d'ordre où il n'y avait pas les noms des bénéficiaires. C'était une façon de maquiller un peu les choses", a souligné Djellab. Il a indiqué que "par des artifices comptables", les registres de la banque "faisaient état d'engagements à hauteur de 10 mds de DA, alors qu'ils étaient en réalité de 80 mds de DA, dont 60 mds de DA à des sociétés apparentées (à El Khalifa Bank), notamment Khalifa Aiways". En principe, dans n'importe quelle banque, a souligné Djellab, "il n'y a pas de mouvement de fonds sans écritures comptables, c'est interdit par la loi. Mais ils ont voulu niveler les sommes manquantes dans la caisse principale par des artifices comptables". Il a en outre assuré qu'El Khalifa Bank "ne respectait pas les règles prudentielles dans l'octroi des crédits. Elle a accordé des prêts à des clients non identifiés avec des taux de risque très élevés", a-t-il dit. Djellab, dont la mission comme administrateur provisoire de Khalifa Bank a duré trois mois, a aussi indiqué avoir trouvé "4 mds de dinars dans la caisse principale de la banque. Ce n'est pas normal de conserver tellement de liquidité, j'ai donc transféré cette somme à la Banque d'Algérie", a-t-il dit. Après avoir terminé avec Djellab, la présidente a appelé à la barre, comme témoin, Yousfi Benyoucef, inspecteur au sein de Khalifa Bank, qui a affirmé avoir constaté des "anomalies" et des "déficits en dinars et en devises" dans toutes les agences qu'il avait inspectées depuis 1999, soit un an après la fondation de la banque. Il a cité l'agence Hilton où il a découvert un déficit de 400 millions de dinars, et celle de Bouzaréah qu'il a inspectée en 2002, "où la situation, a-t-il dit, était catastrophique", ajoutant que des "crédits à blanc", c'est-à-dire sans garanties, étaient octroyés. "J'ai demandé d'inspecter la caisse principale, j'ai eu l'accord du DG de la banque (de l'époque, Lazhar Alloui, décédé), mais dès que j'ai envoyé l'équipe d'inspection, elle a été empêchée de faire son travail. Le DG les a appelés personnellement par téléphone et leur a demandé de rebrousser chemin", a-t-il raconté. Il a déclaré que l'un des actionnaires de Khalifa Bank et oncle maternel de Rafik Khelifa, Kebbache Ghazi, accusé, ne s'étant pas présenté, l'a appelé par téléphone, après cette inspection "avortée", et l'a "menacé", lui disant, selon ses dires : "Tu cherches trop à comprendre. Fais attention à toi, les accidents ça arrive". Yousfi Benyoucef a ajouté qu'il avait été "démis de ses fonctions à Khalifa Bank et muté à Khalifa Airways".