La "fusion" des trois écoles algériennes de musique classique, entreprise par l'Orchestre national andalou dirigé par Rachid Guarbas, a suscité à Constantine des débats contradictoires assez intéressants, en marge du 3e festival du Malouf ouvert mercredi dans la capitale de l'Est. Selon les observateurs avertis, cette polémique "inévitable" n'est que la manifestation d'une controverse classique entre "puristes" et "novateurs" qui agite l'art andalou depuis son "âge d'or", avant la chute de Grenade en1492. C'est ainsi que l'initiative visant à brasser les trois écoles algériennes de musique andalouse en un seul orchestre, à travers la création ces dernières années, de l'Ensemble national andalou, ne semble pas faire l'unanimité dans les milieux initiés à Constantine. Une communication donnée en marge du festival s'est en effet achevée par une vive controverse autour de cet orchestre qui a pourtant eu l'honneur de l'ouverture de cette manifestation et dont l'idée de création avait germé dans la ville du Vieux rocher à l'issue d'un séminaire organisé en 2002 par l'association "Maqam" de cette même ville. L'animateur de la conférence en question, Mohamed Eulmi, est allé jusqu'à qualifier cet orchestre de "création à la Frankenstein", qui s'inscrit, selon lui, en porte-à-faux avec tout ce qui fait l'essence même de cette musique. Rappelant qu'il a eu à affronter sur cette question le maestro Rachid Guarbas, au cours d'un débat radiophonique, le conférencier a soutenu, plutôt courroucé, que les musiciens qui ont "cautionné cette démarche" risquent de "sacrifier des intérêts stratégiques de la musique algérienne au profit d'intérêts étroits et immédiats". M. Eulmi, musicien et chercheur dans le domaine, et dont la communication s'intitulait "la place des mots dans la musique andalouse", s'est employé tout au long de son intervention, à retracer le long cheminement historique de cette musique. Celle-ci, a-t-il souligné, a été "en constante interaction avec son environnement socioculturel", accumulant au cours de plus de cinq siècles d'existence, des apports et des modifications, véritables "sédiments en la matière", lesquels, en se cristallisant ont donné les formes et les styles actuels de ce patrimoine. Cette musique, dira t-il, qui représentait, au départ, la quintessence de la civilisation arabe en Andalousie, à l'apogée de son raffinement, est aujourd'hui le fruit d'une longue maturation au cours de laquelle elle a subi des apports et des modifications, souvent d'auteurs inconnus, que ce soit dans son volet musical ou dans celui des paroles et des textes poétiques. Elle est en conséquence, devenue un patrimoine "en quelque sorte collectif" qui a connu une évolution quasi naturelle, échappant souvent aux interventions individuelles, dira en substance le conférencier, pour conclure que toute tentative d'intervention volontariste ne peut que la "dénaturer". "Il est essentiel de léguer ce patrimoine inaltéré comme une référence pour les générations futures comme nos prédécesseurs ont fait l'effort méritoire de le préserver pour nous le transmettre", ajoutera t-il, soulignant que ce patrimoine peut constituer une source d'inspiration pour les musiciens mais ne peut faire l'objet de brassage sans perdre son âme. Pour lui, le genre Haouzi et le genre Mahjouz peuvent "à la rigueur" se prêter à des brassages, mais en aucun cas le Malouf constantinois, la Sanaâ algéroise ou le Gharnati tlemcénien. Si dans la salle, des intervenants ont abondé dans le sens du conférencier, d'autres par contre ont rappelé que l'orchestre national de musique andalouse s'est justement fixé comme priorité de veiller à la préservation de la richesse stylistique des trois écoles algériennes de musique andalouse, comme avait d'ailleurs tenu à le souligner Rachid Guerbas à l'ouverture du festival. Un intervenant a noté, à ce propos, que toutes les "expériences d'innovation" tentées par des musiciens à Constantine même, avaient donné lieu à une levée de boucliers de la part des puristes avant que ces musiciens n'arrivent, en fin de parcours, à s'imposer comme des innovateurs dont les apports sont aujourd'hui naturellement intégrés dans la pratique musicale de la ville. Le cas de Djamel Bensemmar qui a introduit des ornements musicaux avec son violon, celui de Rabah Khettat qui a mis en place avec les encouragements du regretté cheikh Toumi, une méthode d'enseignement du Malouf qui a prouvé son efficacité, celui encore du maître incontesté du Malouf, Mohamed-Tahar Fergani, qui a aussi introduit des modifications, ont été cités par les adeptes de l'orchestre national andalou. Poussant plus loin leur argumentation, ils argueront que même les innovations de Zirieb avaient rencontré, en leur on temps, des réticences et des oppositions de la part des conservateurs. Questionné à ce propos, Mohamed Hamdi, président de l'association El Gharnatia de Tlemcen et directeur artistique du festival Haouzi de cette ville, présent à Constantine comme membre du jury du festival, n'a pas caché non plus que la création de l'Ensemble national andalou "ne rencontre pas toujours l'assentiment du milieu musical de la capitale des Zianides". La question demeure donc entière et Mohamed Eulmi a eu le mérite de jeter un pavé dans la mare dans un domaine où le débat contradictoire, voire les controverses, ne peuvent que mener à la décantation et à la clarification des visions. R.R.