La Chine et six pays d'Asie du Sud-Est ont supprimé depuis le 1er janvier la quasi-totalité des droits de douane sur 7 000 produits et services couvrant 90 % de leurs échanges. Cet accord qui entre en vigueur dans ce qui est devenu, en volume, la troisième zone de libre-échange de la planète, va modifier le paysage commercial et industriel d'une région qui, de la Chine à Singapour, des Philippines à la Birmanie, couvre 13 millions de kilomètres carrés et totalise une population d'environ 2 milliards d'habitants. Date de création L'Association des nations du Sud-Est asiatique (Asean en anglais) a été fondée en 1967 par cinq Etats de la région : l'Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour et la Thaïlande. Elle rassemble quelque 600 millions d'habitants. Objectifs Accélérer la croissance économique, le progrès social et le développement culturel ; promouvoir la paix et la stabilité ; favoriser une collaboration active et une assistance mutuelle entre les pays membres dans les domaines économique, social, culturel. L'accord ne sera appliqué dans la totalité de la zone qu'en 2015 : au sein de l'Association des pays de l'Asie du Sud-Est (Asean), seuls la Thaïlande, l'Indonésie, Brunei, les Philippines, Singapour et la Malaisie sont pour l'instant concernés. Les derniers entrants, les plus pauvres - Birmanie, Laos, Vietnam et Cambodge -, bénéficient d'un "sursis" de cinq ans avant d'être soumis aux termes de cet accord qu'ils ont aussi signé. Négocié depuis 2002, ce projet a déjà permis la suppression, à partir de 2005, de droits de douane sur plusieurs centaines de produits. Pour la Chine, qui va pouvoir augmenter ses exportations de matières premières et inonder l'Asie du Sud-Est de ses produits bon marché, cet accord est une aubaine. Les échanges dans la région devraient doubler en 2010 par rapport au volume de 2005 : 200 milliards de dollars (140 milliards d'euros) contre un peu plus de 100 milliards de dollars. Jusqu'à présent, les marchandises chinoises étaient taxées de 5 % en Asie du Sud-Est. La levée des barrières douanières sur la majorité des biens manufacturés - excepté sur certains produits textiles et électroniques, jugés sensibles - va permettre à Pékin de compenser la chute de ses exportations vers l'Europe et les Etats-Unis depuis le début de la crise mondiale. Les pays de l'Asean vont pouvoir accroître leurs exportations vers la Chine (riz, fruits exotiques, caoutchouc, huile de palme, gaz naturel). Mais cette nouvelle donne économique a aussi de quoi les inquiéter vu le "poids" du grand voisin du Nord. Selon Sothirak Pou, chercheur associé à l'Institut des études d'Asie du Sud-Est de Singapour : "Plus d'un pays de l'Asean ne voit pas cet accord de libre-échange comme un avantage." Certains industriels de la région ont déjà mis en garde leur gouvernement sur ses conséquences. Et notamment le fait que la Chine, dont la devise, le yuan, est sous-évaluée et dont les entreprises bénéficient de subventions, va tirer profit de la levée des droits de douane. Si la Malaisie devrait pouvoir bénéficier de cet accord, tel ne sera pas forcément le cas d'un pays comme le Vietnam, producteur de marchandises à faible valeur ajoutée, qui pourrait se retrouver désavantagé face au "rouleau compresseur" chinois. A Pékin, Song Hong, économiste de l'Académie des sciences sociales, estime cependant que la croissance des exportations de certains produits, notamment agricoles, d'Asie du Sud-Est vers la Chine, pourrait concurrencer les paysans des provinces chinoises frontalières de l'ancienne Indochine, le Guangxi ou le Yunnan. Les Cambodgiens ont, de leur côté, souligné que cet accord va permettre au royaume khmer, dont les exportations agricoles vers les Etats-Unis et l'Europe sont à la baisse, de trouver de nouveaux marchés en Chine. En Indonésie, l'heure est à l'inquiétude. "Si le gouvernement met en place l'accord maintenant, beaucoup d'industries vont mourir", a déclaré récemment Airlangga Hartarto, un député. Les responsables de l'Asean ne nient pas les conséquences pour leur région. Pushpanathan Sundram, secrétaire général adjoint chargé des questions économiques de l'Association, a déclaré dernièrement au New York Times qu'"il faudra parfois payer le prix" de cet accord. Mais, à terme, a-t-il ajouté, la Chine et l'Asean en "seront les mutuels bénéficiaires".