Tarbouche rouge, fines moustaches, lunettes épaisses et pommettes saillantes…..Image imperturbable d'une légende de la musique chaâbi : El Hadj M'hamed El Anka. Originaire d'Azazga, ce village kabyle enfanteur d'artistes, l'homme qui a fait ses apprentissages artistiques dans les années 1920 aux côtés du maître, Cheikh Nador, ne s'est pas contenté de reproduire les chants religieux des aïeules. Non pas qu'il s'est fixé dans ce maghrabi, hérité de la musique sacré arabo-andalouse, mais il partit au-delà de ses arcanes. Monovocal par excellence, ce style ne sortait pas des jardins flamboyants des bourgeois, défenseurs de la chose sacrée. Issu du peuple, El Anka qui est né en 1907 au cœur d'une Casbah aussi géniale que populaire, aura le génie de bousculer un ordre lyrique profondément ancré dans une société conservatrice et pieuse. La mort en 1926 de Cheikh Nador, le maître absolu des orchestres et des troupes de l'époque, débridera l'élève El Anka qui montera au trône de son défunt mentor. Mémoire infaillible, sens aiguisé de l'ouïe, El Anka explorera d'autres espaces musicaux, ceux qui touchent le peuple ouvrier ou manœuvre, portefaix ou exilé volontaire. El Anka démocratisera cette musique qui fut sacrée, et la rendra ainsi accessible aux petites gens. Les rythmes d'El Anka ne seront plus à sens unique, monovocaux, mais deviendront plus soutenus, plus allégés et plus audibles pour un public chercheur de fraîcheur. El Anka est né le 20 mai 1907, rue Tombouctou pas loin du café mythique, Le Malakoff, de la Basse Casbah. Un café populaire, où les odeurs du thé et de la fumée, et de la mer se mêlent aux qacidates qui narrent indéfiniment la misère, la décrépitude, l'amour et les insoutenables solitudes. Un café maure où s'entassent les hommes à la recherche d'une évasion poétique, d'un secours prosaïque, et de mots attendrissants comme du velours. Instrumentaliste, musicien, chanteur, El Hadj M'hamed El Anka, qui a approché très jeune le tar (tombourin) avant de s'initier à la mandoline, faisait partie de ce petit peuple qui bossait à bout de bras infantiles, afin de ne pas mourir de faim. Les bancs de l'école étant un luxe, El Anka (de son vrai nom Ait Ourab Mohamed Idir Halo), fera des petits métiers avant de s'intégrer à l'orchestre de maître Nador, versé spécialement dans l'animation des fêtes familiales. Il chantait alors le m'dih, (louanges qui glorifient la vie du prophète Mohamed et des saints de l'Islam). C'était pendant la deuxième décennie du siècle précédent, en pleine colonisation. La musique étant quelque chose de mouvant, celle que pratiquait El Anka, ne pouvait plus se contenter de l'héritage arabo-andalou dans sa forme “ bourgeoise” de musique savante. Une musique précieuse, assez lointaine de la réalité miséreuse du peuple. A peine âgé de 20 ans, El Anka, l'excellent assimilateur, mettra du sang neuf à cette musique devenue quelque peu archaïque. Et le chaâbi, ce nouveau genre, qui sortira des espaces clos des cafés, et qui racontera la réalité miséreuse du peuple, naîtra. Précurseur de ce genre musical qui a, depuis, évolué et est apprécié dans les arènes du monde, El Anka l'immortel laissera, à la postérité, pas moins de 360 qacidates et 130 disques. Il mourut le 23 novembre 1978.