Alors qu'à Alger certaines structures culturelles s'apprêtent à commémorer la nuit sanglante du 17 Octobre 1961, l'événement se déroule aujourd'hui à Paris avec la projection d'un film documentaire, Une journée portée disparue de Philp Brooks et Alain Hayling. L'établissement Arts et Culture de la wilaya d'Alger prévoit pour cet après-midi expo de photos -1957-1962, projection de Algérienne de Djamel Selani, débat avec l'incontournable Louiza Ighil Ahris et Hocine Saadi, et enfin un concert avec le revenant, Akli Yahiatene, le Kabyle qui a passé sa jeunesse dans le Paris. Outre plusieurs manifestations tout à fait symboliques qui auront lieu aujourd'hui dans la région parisienne, le clou de cette commémoration serait la projection de l'inédit, Une journée portée disparue, une œuvre australienne montée grâce à une aide financière d'une chaîne anglaise, Channel Four. Ce film-documentaire témoigne des horreurs de la répression policière du 17 Octobre 1961 à Paris, dirigée alors par le préfet Maurice Papon contre des manifestants pacifiques algériens. Des dizaines d'Algériens étaient alors séquestrés matraqués à sang, puis jetés à la Seine. Une association française liée à l'enseignement, la FOL 93, est à la base de l'organisatrice d'une exposition à la mémoire de cette sanglante répression. C'est en Seine-Saint-Denis, en région parisienne, que ce film est à l'affiche, en présence d'historiens, dont Linda Amiri, et de témoins du drame tels que le couple français Clara et Henri Benoits, anciens ouvriers de Renault qui avaient soutenu à Paris le FLN, en-dehors des réseaux Jeanson ou Curiel de soutien logistique aux militants algériens. Le documentaire de 52 minutes est un recueil de témoignages croisés de victimes algériennes, témoins, et responsables politiques dont Ali Haroun et Omar Boudaoud de la Fédération de France du FLN. Les témoignages sont soutenus par des photographies dont celles d'Elie Kagan photographe français témoin de la répression. Les témoignages dont ceux d'officiels français, gardiens de la paix, policiers, infirmiers, qui ont assisté à la répression sanglante, ont été mis en scène dans les lieux même où se sont déroulés ces crimes contre l'humanité. Nombre de témoignages, tels particulièrement celui du gardien de la Paix Georges Moulinet, dénoncent la participation directe de milices de harkis au massacre des Algériens qui manifestaient pacifiquement. Parmi les images poignantes, outre celles montrant des Algériens ensanglantés, ou allongés morts sur les quais de la Seine, on retient celle qui montre un pêcheur regardant passer régulièrement devant lui les corps sans âme des militants algériens matraqués à sang avant d'être jetées dans la Seine. Parmi eux la jeune Fatima Bedar dont le corps, qui à 15 ans avait été jetée cette nuit-là dans la Seine, a récemment été rapatrié en Algérie et réinhumé au carré des martyrs de la ville de Tichy (Béjaïa). Sa famille, dont particulièrement ses deux sœurs ont participé à la trame de témoignages de Une journée portée disparue qui a pour seul et unique décor, La Seine, lieu ou échouent par dizaines des corps encore chauds. Les critiques précisent que “l'image nocturne de la Seine, apparemment innocente, anticipe sur les témoignages qui vont suivre. Opaque, elle renvoie à l'idée du mensonge d'Etat, d'occultation des victimes, et revêt après-coup une qualité mortifère ”. “ On peut interpréter symboliquement sa représentation comme celle d'un monstre sombre et silencieux, renfermant dans le secret de son eau trouble un événement coupable qu'elle ne veut pas voir ressurgir ” soulignent les critiques. Ce film monté dans un souci de montrer les horreurs d'un crime tu pendant plus de 40 ans. Réalisé à base de quelques archives et d'images venues de télévisions non françaises, ce film-document dénonce les agissements des Français qui confisquaient et détruisaient le matériel de tout ceux qui voulaient immortaliser ce moment sanguinaire. Quelques photographies notamment celles de Elie Kagan prises clandestinement, à la station-métro Concorde où il aperçoit des dizaines de morts, ont échappé à cette censure. Les lieux d'internement, dont la préfecture de police où furent tués au moins une cinquantaine d'Algériens avant “ d'être déversés dans la Seine ” restèrent interdits aux journalistes. Fin 1961, le livre Ratonnades à Paris, de P. Péju, est saisi lui aussi. Le film de J. Panijel, Octobre à Paris, qui reconstitue la manifestation à partir des photos de E. Kagan et de témoignages d'Algériens, est saisi par la police lors de sa première projection, en octobre 1962. La censure d'Etat s'était poursuivie avec l'empêchement de la création d'une commission d'enquête sur les crimes du 17 Octobre et des jours suivants. Aucune des poursuites judiciaires engagées, aucune des plaintes déposées n'ont non plus abouti. Aucun policier ne sera condamné pour les crimes commis, aucun responsable politique n'aura à en répondre. “ Il est anormal que même 30 ans après le drame, on cherche toujours à cacher la vérité ”, a déploré un des témoins dans ce film primé “ FIPA D'or 93 ”, Grand Prix D' Angers 92 et Prix Spécial du jury (Golden Gate Film Festival, 1993). C'est autour de “ ces silences coupables ” que le débat sera animé en présence des historiens Olivier Le Cour Grandmaison et Jean- Luc Einaudi, respectivement auteurs de La bataille de Paris, 17 octobre 1961 ( Seuil 1991) et Le 17 octobre 1961 : Un crime d'Etat à Paris, (La Dispute). Lors du tournage, les cinéastes s'étaient assuré les conseils de l'historien Jean-Luc Einaudi. Parmi les films ayant traité de ce crime contre l'humanité, on retient aussi Le silence du fleuve de Mehdi Lalloui et Agnès Denis (Mémoire vive production, 1991). De nombreux livres ont aussi dénoncé ce haut fait des crimes coloniaux, dont Les ratonnades d'Octobre: un meurtre collectif de Michel Lévine (Ramsay, 1985) et Ce jour qui n'ébranla pas Paris de Pierre Vidal-Naquet ( La Découverte, 1989).