Des centaines de personnes ont de nouveau manifesté jeudi soir à Al-Hoceïma, où des heurts ont brièvement opposé en journée jeunes et policiers, signe de la tension persistante dans cette ville du nord du Maroc. En fin d'après-midi, des groupes de jeunes se sont rassemblés par surprise dans le quartier Sidi Abed pour exiger "la libération" des leaders emprisonnés de la contestation qui secoue depuis sept mois cette région du Rif. Ils ont été repoussés sans ménagement par les policiers, et plusieurs d'entre eux ont alors lancé des pierres sur les forces de l'ordre. Faisant usage de quelques grenades lacrymogènes, la police a procédé à plusieurs interpellations et chargé pour disperser les protestataires. Les affrontements ont cessé vers 18H30. Une source au sein de l'exécutif local a qualifié l'incident de simple "escarmouche" avec "un groupe d'adolescents et de mineurs". Il s'agit des premières violences depuis dix jours, dans une ville en effervescence, épicentre du "hirak" (la mouvance), mouvement populaire qui revendique depuis des mois le développement du Rif, qu'il juge "marginalisé". Le leader de ce mouvement, Nasser Zefzafi, et ses principaux meneurs ont été arrêtés ces dix derniers jours par la police, après l'interruption par Zefzafi d'un prêche officiel dans une mosquée de la ville. Ils font face aujourd'hui à de graves accusations de "crimes", notamment "atteinte à la sécurité intérieure de l'Etat". Au total, 86 personnes sont poursuivies par la justice, a indiqué jeudi le porte-parole du gouvernement, Mustapha El Khalfi. Les manifestations nocturnes --pour cause de ramadan-- sont quotidiennes depuis lors à Al-Hoceïma, ainsi que dans la localité voisine d'Imzouren. Elles se déroulent habituellement sans incident, alors que les contestataires ne cessent d'affirmer le caractère "pacifique" de leur mouvement. Des femmes et enfants Jeudi soir, après la rupture du jeûne, de nouveau quelques centaines de personnes se sont regroupées dans Sidi Abed, à l'endroit même des affrontements, a-t-on constaté. Le rassemblement s'est déroulé jusqu'à minuit sans aucune violence, alors que les forces de l'ordre avaient pris position à environ 300 mètres en contrebas. Il y avait cette fois de nombreuses femmes et enfants parmi la foule qui scandait ses habituels slogans: "nous sommes tous Zefzafi", "liberté pour les prisonniers", ou "dignité pour le Rif". La situation s'était tendue ces trois dernières nuits à Al-Hoceïma, où les policiers prennent position au coeur des quartiers pour prévenir tout rassemblement, dans ce qu'un média marocain indépendant a décrit comme "une stratégie de l'étouffement" pour "imposer le silence". Des heurts avaient eu lieu les 26 et 27 mai, dans les jours précédant l'arrestation de Zefzafi, ainsi que vendredi dernier à Imzouren. Depuis le début du mouvement fin octobre, déclenché par la mort d'un vendeur de poissons broyé dans une benne à ordure, près de 850 sit-in et manifestations diverses se sont déroulées dans la province, selon le ministère de l'Intérieur. Rassemblant parfois jusqu'à plusieurs dizaines de milliers de personnes, ces manifestations ont donné lieu à très peu d'incidents. A l'exception notable de l'attaque fin mars d'une résidence de la police par des groupes de jeunes, qui a été suivie d'une quinzaine d'interpellations. Les autorités ont justifié les arrestations de ces derniers jours visant le noyau dur du "hirak" par la nécessité de "faire respecter la loi". "L'état marocain est déterminé à garantir le droit de manifester pacifiquement, écrit dans la Constitution", a assuré jeudi au cours d'un briefing à la presse un responsable du ministère de l'Intérieur. "Pour autant ces manifestations doivent faire l'objet de déclarations car elles sont faites sur la voie publique. (...) Il y a un risque d'atteinte à l'ordre public. Aucun Etat ne peut rester sans rien faire face à une telle situation, il serait irresponsable de laisser la rue sans prendre de précaution", a justifié ce responsable. Celui-ci a dit "ne pas comprendre la poursuite du mouvement", alors que "l'Etat a répondu à plus de 90% des revendications". Il a pointé "le refus des manifestants de dialoguer, malgré la main tendue de l'Etat", s'interrogeant "sur leurs réelles motivations" et rappelant les "violences graves" commises en mars dernier lors de l'attaque de la résidence policière qui "aurait pu tourner au drame". Il a cependant refusé de préciser le nombre de policiers et gendarmes --d'évidence très nombreux-- actuellement déployés à Al-Hoceïma, ville de 56.000 habitants.
A Al-Hoceïma, les manifestants veulent rester "pacifiques" Dans la nuit, les gyrophares multicolores des camions blindés de la police marocaine contrastent avec les flashs blanchâtres des téléphones portables brandis en signe de défi par les manifestants d'Al-Hoceïma. A bonne distance des forces anti-émeutes, des grappes de protestataires, principalement des jeunes, sont assis en cercle sur la chaussée. Pour la treizième nuit consécutive après la rupture du jeûne du ramadan, Al-Hoceïma la rebelle, dans le nord du Maroc, était en effervescence jeudi soir. Quelques centaines d'habitants du quartier populaire de Sidi Abed ont bravé les cordons de policiers qui quadrillent les coins de rue, casques sur la tête et protégés derrière leur bouclier. "Liberté pour les prisonniers!", crie la foule, qui se dresse debout, les bras croisés vers le ciel, faisant mine d'avoir les mains menottées. Les manifestants sont rassemblés sur une place qui jouxte les montagnes auxquelles la ville est accrochée. "Nasser Zefzafi est notre leader!", clame une quinquagénaire, en référence au chef du mouvement populaire, interpellé le 29 mai et accusé aujourd'hui "d'atteinte à la sécurité intérieure de l'Etat". "Nous réclamons sa libération et celle de tous les détenus, nous ne reculerons devant rien pour cela", martèle cette femme habillée d'une ample djellaba noire, un drapeau berbère sur les épaules. Elle dit avoir participé aux manifestations à Al-Hoceïma depuis leur début, il y a près de sept mois. Quelques rares voitures s'aventurent près des manifestants, klaxonnant au rythme des slogans, sous les applaudissements et les youyous de femmes amusées. Des enfants accompagnent leurs parents dans la rue et des adolescents filment par les fenêtres le rassemblement. Beaucoup d'immeubles voisins, aux volets complètement baissés, sont apparemment inoccupés, car appartenant à des Marocains de la diaspora, de l'autre côté de la Méditerranée.
'Silmya' "Beaucoup de gens originaires d'ici vivent en Europe et possèdent des maisons à Al-Hoceïma", explique un habitant de ce quartier populaire où l'on attend, comme chaque été, l'arrivée pour les vacances de ces milliers d'émigrés, dont les transferts d'argent font vivre une bonne partie de la ville. En contrebas du rassemblement, au bout de la rue, les policiers --très nombreux-- n'interviennent pas. "C'est parce qu'il y a beaucoup de journalistes ce soir, autrement, ils n'auraient pas hésité à nous tabasser", affirme un manifestant. Ils bloquent cependant l'accès au quartier, et les habitants, du moins les jeunes, sont obligés de contourner les cordons de police par de petites ruelles pour rentrer chez eux. A Al-Hoceïma, la plupart des habitants disent soutenir le mouvement de contestation, qui revendique le développement du Rif. Tous insistent sur le caractère "pacifique" de leur lutte: "silmya" (le mot en arabe) répètent-ils en boucle.
"On veut que le roi intervienne" Ils rejettent les tentatives de médiations des associations et responsables locaux. "On veut que le roi intervienne", soulignent beaucoup d'entre eux. "Les manifestations sont pacifiques et doivent le rester", répète un commerçant, le crâne rasé. "Les gens d'ici sont éduqués et civilisés, ils ne demandent que leurs droits". Jeudi en fin d'après-midi, pour la première fois depuis une dizaine de jours, des heurts ont toutefois éclaté entre jeunes et policiers, signe de la tension qui prévaut par moments dans la ville. Des protestataires ont été repoussés sans ménagement par des policiers, et plusieurs d'entre eux ont alors lancé des pierres sur les forces de l'ordre. "Ceux qui ont caillassé ne sont pas d'ici", jure un militant du "hirak" (la mouvance), le mouvement qui anime la contestation, et dont les principaux meneurs ont été récemment arrêtés. Les manifestants sont nombreux à aborder les journalistes pour dire qu'ils condamnent les actes de violence, qu'ils les attribuent à des "voyous", des "infiltrés" et des "gens qui ne viennent pas d'ici". Peu avant minuit, le rassemblement commence à se disperser, et certains n'hésitent pas à narguer les policiers: "bye-bye et à demain", lancent-ils sous leur nez.