En passe d'être adopté par plusieurs plateformes boursières, le bitcoin va s'installer dans le paysage financier et sa récente flambée n'est qu'un soubresaut propre à toute technologie novatrice, affirment plusieurs spécialistes de cette monnaie virtuelle. Apparu en 2008, le bitcoin valait autour de 1.000 dollars début 2017. Il est monté mercredi jusqu'à 11.434 dollars. Après le Chicago Mercantile Exchange (CME) et le Chicago Board Options Exchange (CBOE), c'est la Bourse électronique Nasdaq qui envisage maintenant d'offrir la possibilité de spéculer sur le bitcoin via des produits dérivés dès 2018, affirme le Wall Street Journal. Une grande société de services financiers, Cantor Fitzgerald, a des ambitions similaires. "Cette catégorie d'investissements ne va pas disparaître", a affirmé au quotidien économique le responsable de la branche spécialisée dans le courtage de Cantor Fitzgerald, Shawn Matthews, en prévoyant l'arrivée prochaine sur le marché d'acteurs financiers de premier plan. Les instruments dérivés sont un moyen d'échanger à grande échelle des produits financiers sophistiqués, qui se basent sur la valeur d'un actif réel (matières premières, devises, etc.)
Monnaie sulfureuse "L'adoption de produits dérivés du bitcoin par les plateformes boursières est un signe majeur de sa reconnaissance comme un produit destiné à rester", abonde David Yermack, professeur de finance à New York University, en soulignant que cela va aussi amener sur le marché beaucoup plus d'investisseurs spéculant à la baisse sur la monnaie. Il s'intéresse depuis plusieurs années au développement de la monnaie virtuelle et de la technologie sur laquelle elle s'appuie, la "blockchain", une chaîne de codes informatiques dans laquelle est inscrite chaque opération et qui devient infalsifiable. Il est difficile selon lui de dégager une explication particulière à la récente envolée du bitcoin, dont les cours sont volatils depuis sa création. Ses partisans ont été ébranlés cet été par le lancement d'un rival, le "bitcoin cash", créé à l'initiative d'une part minoritaire de la communauté de ses utilisateurs. Mais l'abandon d'un projet similaire en novembre les a rassérénés, avance M. Yermack. L'engouement de nombreuses compagnies et institutions pour la technologie de la blockchain accentue aussi selon lui la progression du bitcoin, qui y joue souvent un rôle indirect comme produit sous-jacent ou moyen de paiement par exemple. Le fait que des plateformes boursières réputées vont proposer des produits dérivés du bitcoin apporte aussi de la légitimité à une monnaie à la réputation sulfureuse, souvent associée à la criminalité en ligne et non régulée par des autorités, estime un spécialiste, Lou Kerner. "Le plus gros problème empêchant jusqu'à présent les banques de spéculer sur le bitcoin était l'incertitude réglementaire", un problème que la création de produits dérivés garantis par des institutions financières permet de contourner, remarque-t-il. Pendant longtemps investisseur spécialisé dans les réseaux sociaux, M. Kerner se consacre désormais uniquement aux devises virtuelles. Le bitcoin est, juge-t-il, destiné à devenir la prochaine réserve de valeur, au même titre que l'or. Rien, ni personne ne garantit aujourd'hui la valeur qu'on accorde à ce métal, tout est histoire de confiance, argumente M. Kerner. C'est, assure-t-il, la même chose pour le bitcoin. "Les gens qui aujourd'hui parlent de bulle en parlaient déjà quand le bitcoin a franchi la barre des 100 dollars, puis celle des 1.000 dollars. Ce n'est pas très constructif", rappelle-t-il. Pour Jeff Currie, responsable à la banque Goldman Sachs de la recherche sur les matières premières, le bitcoin est aussi à ranger dans la même catégorie que l'or. Ne serait-ce que parce qu'il faut aller le "miner" avec des serveurs informatiques puissants via un processus long, onéreux et énergivore. Sa principale réticence actuellement relève du "manque de liquidité" du marché sur lequel il repose, "qui crée cette volatilité dont tout le monde s'inquiète", expliquait-il mercredi sur la chaîne Bloomberg Television, en rappelant que la capitalisation du bitcoin représente actuellement environ 170 milliards de dollars quand celle de l'or en vaut 8.300 milliards. "Si vous donnez au bitcoin quelques décennies pour grandir et qu'il devient aussi important que l'or, alors sa volatilité va s'amoindrir", a-t-il souligné.
Une menace pour la stabilité financière Les crypto-devises comme le Bitcoin pourraient poser une menace pour la stabilité financière lorsqu'elles seront davantage utilisées, a estimé Randall Quarles, un des gouverneurs de la Banque centrale américaine (Fed). M. Quarles a récemment pris ses fonctions au sein de la Fed en tant que vice-président chargé de la supervision financière et ses remarques interviennent alors que le Bitcoin vient de battre record sur record pour dépasser les 11.000 dollars mercredi. Il se stabilisait jeudi en-dessous de 10.000 dollars. M. Quarles a rappelé qu'en période de tensions financières, la demande de liquidités de la part des acteurs financiers augmentait fortement et que le comportement des devises numériques dans de telles circonstances était encore une inconnue. "La +devise+, soit l'actif qui sert de base à ces systèmes (monétaires), n'est pas garantie par d'autres actifs sûrs, n'a pas de valeur intrinsèque, n'est pas émise par une institution bancaire régulée et, dans le cas d'espèce, n'est la responsabilité d'aucune institution financière", a souligné M. Quarles dans un discours à Washington. "Si ces devises numériques ne posent pas de menace majeure à leurs niveaux actuels, des problèmes plus généraux de stabilité financière pourraient se poser si leur utilisation se généralise", a-t-il ajouté. Si ces devises ne pouvaient pas être échangées contre du dollar ou une autre monnaie de référence à un taux stable lors d'une période de crise, "cela poserait de gros défis au système", a estimé M. Quarles. Plusieurs places boursières envisagent de créer prochainement des plateformes d'échanges d'instruments financiers à terme (produits dérivés) basés sur le Bitcoin. Selon le Wall Street Journal, la dernière à l'envisager est la Bourse électronique américaine Nasdaq. Mais sa présidente, Adena Friedman, a indiqué jeudi à la chaîne de télévision financière CNBC qu'aucune décision définitive allant dans ce sens n'avait encore été prise. "Nous n'avons encore rien annoncé", a-t-elle rappelé. "Je dirai seulement que nous avons un dialogue actif avec de nombreux clients et des partenaires sur ce qu'il sera possible de faire dans la durée", a-t-elle indiqué. Face à ces fluctuations de cours, la Maison Blanche a indiqué que le conseiller du président pour la Sécurité du territoire (Homeland Security) Tom Bossert surveillait la situation et avait évoqué le sujet lors d'une réunion cette semaine. "Je sais que c'est quelque chose qu'il surveille", a affirmé jeudi Sarah Sanders, la porte-parole de la Maison Blanche.
Contrats à terme autorisés L'autorité de régulation des marchés dérivés aux Etats-Unis a annoncé vendredi son intention d'autoriser les deux opérateurs concurrents, CME Group et CBOE Global Markets, à lancer des contrats à terme sur le bitcoin. Cette annonce de la CFTC (Commodity Futures Trading Commission) permet au CME et au CBOE de devenir les premiers marchés traditionnels à coter des contrats liés à la monnaie virtuelle, dont le succès nourrit les appels à une supervision plus stricte. La cotation de ces contrats à terme sur ces deux marchés, où les cours seront calculés sur la base du marché "cash" du bitcoin et où le réglement se fera en liquide, devrait commencer d'ici la fin de l'année, a précisé un responsable de la CFTC. Le CME, basé à Chicago tout comme le CBOE, a fait savoir vendredi, peu après l'annonce de la CFTC, qu'il lancerait son propre contrat à terme sur la cryptomonnaie le 18 décembre. Le bitcoin a rebondi à 10.500 dollars (8.845 euros) vendredi après l'annonce, après être retombé à 9.500. La plus connue des monnaies virtuelles a dépassé la barre des 11.000 dollars cette semaine pour la première fois de son histoire, après un gain de plus de 1.000 dollars en seulement 12 heures, ce qui alimente les inquiétudes sur la formation d'une bulle. Pour protéger les investisseurs contre l'extrême volatilité de la devise numérique, le CME et le CBOE fixeront des règles de couverture plus strictes que d'habitude, y compris l'exigence de dépôts de garantie initiaux situés entre 35% et 40%. Les opérateurs de marchés ont également accepté de signer des accords d'échange d'information et d'envoyer à la CFTC les données sur le processus de réglement de fin de journée, afin de que le régulateur puisse procéder à sa propre supervision. Le président de la CFTC, Christopher Giancarlo, a toutefois averti les investisseurs que le marché au comptant ("cash") du bitcoin restait largement non-régulé et hors du contrôle de la CFTC. "Nous nous attendons à ce que les marchés à terme, via des accords d'échange d'information, surveillent l'activité de trading sur les plates-formes "cash" concernées quant à l'impact éventuel sur les contrats à terme, y compris d'éventuelles manipulations de marché et perturbations du marché liées aux brusques envolées et effondrements des cours, et aux interruptions de transactions", a-t-il dit dans un communiqué. "Néanmoins, les investisseurs doivent être conscients du niveau élevé de volatilité potentielle et du risque attaché à la négociation de ces contrats", a-t-il ajouté. Créé en 2008, le bitcoin utilise la technologie des chaînes de blocs (blockchain) pour un transfert rapide et anonyme de fonds sans recourir à un système centralisé de paiement. Il est l'actif qui s'est le plus apprécié cette année et sa valorisation s'est accélérée ces derniers mois, l'annonce que le CME et le CBOE avaient l'intention de lancer des contrats à terme ayant attiré une demande nouvelle d'investisseurs institutionnels. Mais ses détracteurs, dont le patron de JPMorgan, Jamie Dimon, y voient une bulle spéculative, déconnectée de l'économie réelle et du fonctionnement des marchés financiers.