L'Union européenne et le Japon ont signé mardi à Tokyo un vaste accord de libre-échange qui se veut un "message fort contre le protectionnisme" de Donald Trump. "Nous célébrons la signature d'un accord commercial extrêmement ambitieux entre deux des plus grandes économies du monde", ont déclaré le Premier ministre japonais Shinzo Abe, le chef de la Commission européenne Jean-Claude Juncker et le président du Conseil européen Donald Tusk dans un communiqué, en saluant un "jour historique". Lors d'une conférence de presse commune, sans jamais mentionner le nom de M. Trump, les trois dirigeants ont longuement insisté sur leur rôle de porte-drapeau du libre-échange au moment où le président américain fait planer la menace d'une guerre commerciale. "La signature de cet accord de partenariat économique montre au monde la volonté politique inébranlable du Japon et de l'Union européenne de se faire les champions du libre-échange et de guider le monde dans cette direction alors que s'est répandu le protectionnisme", a insisté M. Abe. "Nous envoyons un message clair disant que nous faisons front commun contre le protectionnisme", a renchéri M. Tusk, tandis que M. Juncker poursuivait sur la même note: "Nous montrons que nous sommes plus forts et mieux positionnés quand nous travaillons ensemble (...). Il n'y a pas de protection dans le protectionnisme". C'est au contraire dans "l'incertitude politique, la rhétorique agressive, l'imprévisibilité, l'irresponsabilité" que reposent "les risques réels pour nos entreprises, pas dans les accords commerciaux", a conclu Donald Tusk. Le texte, qui marque l'aboutissement de discussions ouvertes en 2013, doit être soumis d'ici la fin de l'année au Parlement européen en vue d'une entrée en vigueur en 2019, si le Parlement japonais le vote lui aussi rapidement. Contrairement à l'accord UE-Canada (CETA), actuellement contesté par l'Italie, il ne doit pas être ratifié par chacun des Parlements nationaux.
Fromages et automobiles Baptisé Jefta (Japan-UE free trade agreement), ce pacte, le plus important jamais négocié par l'UE, porte sur une zone de libre-échange couvrant près d'un tiers du produit intérieur brut (PIB) mondial et plus de 600 millions d'habitants. Côté européen, le secteur agroalimentaire sort grand vainqueur des discussions. Au final, 85% des produits agroalimentaires de l'UE pourront entrer au Japon sans droits de douane, mais parfois à l'issue de périodes de transition. D'autres, comme le bœuf, verront les taxes imposées progressivement réduites. Le riz, un produit hautement symbolique pour les Japonais, est exclu de l'accord. Tokyo s'engage à reconnaître plus de 200 indications géographiques comme le Roquefort, le Tiroler Speck autrichien, le Jambon d'Ardenne belge ou la Polska Wódka (vodka polonaise), qui bénéficieront "du même niveau de protection qu'en Europe". Les négociations ont été particulièrement complexes sur les produits laitiers, secteur sensible pour Tokyo. L'accord éliminera les droits de douanes très élevés sur plusieurs fromages, avec une période de transition pouvant atteindre 15 ans. Les Japonais obtiennent de leur côté un libre accès au marché européen pour leur industrie automobile, mais seulement à l'issue d'une période transitoire de plusieurs années. Cet accord comprendra aussi un chapitre sur le développement durable.
'Indifférence générale' La protection des investissements a constitué le principal point d'achoppement des discussions et n'est pas comprise dans l'accord signé mardi. La plupart des ententes commerciales du monde laissent la possibilité à une entreprise qui s'estime lésée par la politique d'un Etat après y avoir investi de l'attaquer pour obtenir réparation. Ces différends sont généralement tranchés via un système d'arbitrage dont les Européens ne veulent plus entendre parler. C'est l'absence de ce volet qui évite à l'accord de passer par les Parlements nationaux, précisent des sources européennes. Si d'autres traités ont soulevé des critiques, le Jefta a été validé "dans l'indifférence générale", ont dénoncé mardi des ONG françaises. "Comme dans le CETA, les seuls chapitres qui ne sont pas contraignants sont ceux qui portent sur le développement durable", relèvent dans un communiqué la Fondation pour la nature et l'homme (ex-Hulot) et l'Institut Veblen. Elles critiquent aussi l'opacité des négociations et l'absence de ratification par les Parlements nationaux, "ce qui empêche tout débat sur le sujet". Cette entente se fait "aux dépens de la démocratie, des droits sociaux et de la protection de l'environnement et du climat", a jugé pour sa part l'organisation Greenpeace.
Juncker le 25 juillet à Washington Le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker se rendra le 25 juillet à Washington pour rencontrer le président américain Donald Trump, avec l'objectif de désamorcer le conflit commercial entre l'UE et les Etats-Unis, a annoncé mardi l'exécutif européen. "Le président Juncker et le président Trump vont travailler à améliorer le commerce transatlantique et à bâtir un partenariat économique plus fort", précise la Commission dans son communiqué. "Les deux dirigeants vont discuter de la coopération approfondie entre les gouvernements et les institutions de l'Union européenne et des Etats-Unis sur un vaste ensemble de sujets, comme la politique étrangère et de sécurité, la lutte contre le terrorisme, la sécurité énergétique et la croissance économique", ajoute-t-elle. La Maison Blanche a publié un communiqué quasiment identique à celui de la Commission, sauf que contrairement au texte européen, il ne fait pas mention d'une "coopération approfondie" entre les deux régions. La Commission s'est refusée à détailler les intentions de M. Juncker sur le plan commercial lors de cette rencontre, qui aura lieu à la Maison Blanche. "Nous sommes en train de préparer notre stratégie et il ne serait pas sage de ma part d'en discuter ici", a affirmé mardi Margaritis Schinas, un porte-parole de l'institution, lors du point presse quotidien. Selon des sources européennes, une réunion entre Etats membres mercredi servira à peaufiner la position européenne. Bruxelles et Washington sont engagés dans un conflit commercial depuis le 1er juin, quand Washington, invoquant la "sécurité nationale", a imposé des droits de douane punitifs sur l'acier et l'aluminium européens. Les Européens avaient immédiatement répliqué par des taxes sur une série de produits américains emblématiques, comme le beurre de cacahuète ou les Harley-Davidson. Donald Trump a depuis menacé de mettre en place des droits de douane supplémentaires de 20% sur les voitures importées aux Etats-Unis en provenance de l'UE, une mesure qui aurait des conséquences bien plus lourdes que les taxes sur l'acier et l'aluminium. "S'ils ne négocient pas de bonne foi, nous ferons quelque chose en rapport avec les millions de voitures qui entrent dans notre pays et qui sont taxées à un niveau pratiquement nul, un niveau très bas", a encore menacé l'Américain la semaine passée, lors d'un sommet de l'Otan à Bruxelles, à propos de la visite de M. Juncker. Quelques jours plus tard, il avait qualifié l'UE d'"ennemi" des Etats-Unis sur le plan commercial. L'Union européenne impose actuellement 10% de droits de douane aux véhicules importés des Etats-Unis - y compris ceux fabriqués par des constructeurs européens - tandis que les Etats-Unis taxent à 2,5% les importations de voitures et à 25% celles des camionnettes et pick-up.
En découdre coûte que coûte Brandissant la menace de nouveaux droits de douane massifs contre la Chine, l'administration affirme être prête à aller jusqu'au bout dans l'épreuve de force avec ses partenaires commerciaux, faisant fi des représailles et des contingences diplomatiques. Les Etats-Unis ont annoncé mardi leur intention de taxer, à partir de septembre, 200 milliards de dollars d'importations chinoises à hauteur de 10% qui s'ajouteront aux 50 milliards de biens taxés à 25%. La période où l'on pouvait espérer que les menaces du président américain n'étaient que "bluff et paroles en l'air" est terminée, résume Edward Alden, expert en commerce international au Council on Foreign Relations, notant que Donald Trump fait très exactement ce qu'il menace de faire depuis la campagne présidentielle en 2016. "Les nouveaux tarifs douaniers illustrent clairement la volonté de Trump de faire monter les enchères jusqu'à ce que la Chine capitule, ce qui semble hautement improbable (...) la Chine n'étant pas d'humeur aux compromis", commente pour sa part Eswar Prasad, spécialiste de la Chine et professeur de politique commerciale à l'Université de Cornell. En annonçant les nouvelles mesures mardi, le représentant américain au Commerce (USTR) Robert Lighthizer a d'ailleurs eu des mots particulièrement durs pour la Chine, estimant que le comportement du géant asiatique menaçait l'avenir de l'économie américaine. "Plutôt que de répondre à nos préoccupations légitimes, la Chine a commencé à prendre des mesures de rétorsion contre des produits américains. De telles actions sont injustifiables", a-t-il accusé, alors que l'administration Trump demande à la Chine "de mettre fin à ses pratiques déloyales, d'ouvrir ses marchés" afin de réduire le colossal déficit commercial américain avec le géant asiatique. Le ministère chinois du Commerce a immédiatement qualifié les nouvelles menaces américaines de "totalement inacceptables" et le comportement des Etats-Unis d'"irrationnel". Pour autant, la politique commerciale de la Maison Blanche doit être analysée à l'aune de la perspective des élections de mi-mandat qui se dérouleront le 6 novembre, estiment certains économistes. "Actuellement, la préoccupation du président est de rallier sa base et pour rallier sa base, il doit montrer qu'il tient ses promesses de campagne", observe Monica de Bolle, spécialiste au Peterson Institute for International Economics. Elle souligne que les partisans de Trump en 2016 sont précisément ceux qui rendent Pékin responsable de la perte d'emplois aux Etats-Unis. Et cette politique jusqu'au-boutiste du président républicain a bénéficié jusqu'à présent d'une conjoncture favorable. L'économie américaine se porte bien. Les Etats-Unis affichent le plein emploi et malgré quelques soubresauts, Wall Street s'est largement inscrite en croissance depuis l'élection de Donald Trump (+33% pour le Dow Jones, +47% pour le Nasdaq et +28% pour le S&P 500).
Conjoncture favorable Pour l'heure, "il n'y a pas de preuve tangible que ceci (cette politique protectionniste) nuise à l'économie, exception faite de quelques entreprises particulières" déjà affectées par les taxes douanières, souligne Edward Alden. Si bien que Donald Trump reste sourd aux représailles de ses principaux partenaires ou alliés (Canada, Chine, Union européenne et Mexique), qui finiront pourtant par affecter les consommateurs, estiment les experts. Ces derniers s'inquiètent en particulier de la hausse des prix pour les consommateurs du fait du renchérissement des produits importés ou fabriqués aux Etats-Unis. Ils s'attendent en outre à la concrétisation des menaces américaines d'imposer de nouveaux droits de douane cette fois sur le secteur automobile. Si tel était le cas, les ondes de choc sur l'économie mondiale seraient bien plus incontrôlables, ce secteur étant au cœur des échanges du commerce mondial. Le département du Commerce doit rendre son rapport à la Maison Blanche dans quelques semaines à l'issue d'auditions des acteurs concernés. Les importations automobiles allemandes sont en particulier dans le viseur américain. Mercredi, Donald Trump s'en est une nouvelle fois pris à l'Allemagne, première puissance économique de l'UE, dénonçant cette fois son ambiguïté face à la Russie. "Elle paie des milliards de dollars à la Russie pour ses approvisionnements en énergie et nous devons payer pour la protéger contre la Russie. Comment expliquer cela ? Ce n'est pas juste", a asséné le président au premier jour du sommet de l'Otan à Bruxelles. Tout en pressurisant les Européens sur les questions commerciales, le président leur a aussi suggéré de doubler leurs dépenses militaires en les portant à 4% de leur PIB.