«Le rôle du poète est de dire non pas à ce qui a réellement eu lieu mais à ce quoi on peut s'attendre, ce qui peut se produire conformément à la vraisemblance ou à la nécessité. Voilà pourquoi la poésie est plus philosophique, plus noble que l'histoire : la poésie dit plutôt le général, l'histoire le particulier.» Aristote. «Le rôle du poète est de dire non pas à ce qui a réellement eu lieu mais à ce quoi on peut s'attendre, ce qui peut se produire conformément à la vraisemblance ou à la nécessité. Voilà pourquoi la poésie est plus philosophique, plus noble que l'histoire : la poésie dit plutôt le général, l'histoire le particulier.» Aristote. Lorsque Verlaine quitte l'Angleterre, en septembre 1877, il trouve, par le biais d'un ami, un poste de professeur à l'institution Notre-Dame où il fait la connaissance de Lucien Létinois. Cette rencontre entre le professeur et l'élève se transforme en complicité et laisse place à une amitié passionnelle au fil du temps. En 1879, Létinois échoue au brevet parallèlement à Verlaine qui replonge dans une forte dépendance à l'alcool, ce qui, par ailleurs, lui vaudra la perte de son poste. Le poète se décide, donc, à retourner en Angleterre accompagné de son ami qui finit alors par être embauché en tant que surveillant à Stickney, où Verlaine y avait occupé le même poste. Suite à une aventure de Lucien avec une jeune Anglaise, les deux hommes se déchirent, espérant recoller les morceaux de cette cassure sentimentale, ils rentrent précipitamment en France. Verlaine y achète une ferme où ils s'installent. Quelques mois plus tard, à l'automne 1880, Lucien accomplit son service comme artilleur, le poète au cours de la même période occupe le poste de surveillant de collège. Ils rentrent ensuite à Juniville en automne 1881, mais après dix ans d'errance, Verlaine souhaite, quant à lui, renouer avec la vie littéraire parisienne, si bien qu'au début de l'été 1882, il s'installe à Boulogne, dans un hôtel, Lucien y est surveillant jusqu'en octobre avant d'accepter un emploi dans l'industrie à Auteuil. Pendant plusieurs semaines, chaque fin d'après-midi, Verlaine va attendre Lucien à Auteuil, et ils regagnent ensuite Boulogne à pied. C'est très exactement cette période de leur vie qu'évoque le poème, «Ame, te souvient-il» de Paul Verlaine ; Âme, te souvient-il, au fond du paradis, De la gare d'Auteuil et des trains de jadis T'amenant chaque jour, venus de La Chapelle ? Jadis déjà ! Combien pourtant je me rappelle Mes stations au bas du rapide escalier Dans l'attente de toi, sans pouvoir oublier Ta grâce en descendant les marches, mince et leste Comme un ange le long de l'échelle céleste, Ton sourire amical ensemble et filial Ton serrement de main cordial et loyal Ni tes yeux d'innocent, doux mais vifs, clairs et sombres Qui m'allaient droit au cœur et pénétraient mes ombres Après les premiers mots de bonjour et d'accueil Mon vieux bras dans le tien, nous quittions cet Auteuil Et, sous les arbres pleins d'une gente musique Notre entretien était souvent métaphysique O tes forts arguments, ta foi du charbonnier ! Non sans quelque tendance, ô si franche ! à nier, Mais si vite quittée au premier pas du doute ! Et puis nous rentrions, plus que lents, par la route Un peu des écoliers, chez moi, chez nous plutôt Y déjeuner de rien, fumailler vite et tôt, Et dépêcher longtemps une vague besogne. Mon pauvre enfant, ta voix dans le Bois de Boulogne ! «Ame, te souvient-il» est le dix-huitième poème d'un cycle publié en 1888 dans Amour et qui regroupe vingt-cinq textes, tous dédiés à la mémoire de Lucien Létinois. En effet, chacun a lu ou entendu de ces «explications» : tel morceau des Poèmes saturniens est analysé à travers le souvenir de la cousine «Elisa», tel morceau des Romances sans paroles en référence à Rimbaud, ou encore telle pièce de La Bonne chanson comme un épithalame pour Mathilde Mauté. Sans doute, les vagabondages du poète, les échecs interminables et successifs de sa vie sentimentale, sont-ils pour beaucoup dans cette tendance, caractéristique de tout un pan des études verlainiennes, non pas nécessairement à réduire l'homme à l'œuvre, mais à rechercher dans cette œuvre poétique plus que dans une autre, un témoignage de nature autobiographique. Et puis , parler d'Elisa ou de Mathile, d'Arthur ou de Lucien, c'est tout au plus, dire que Verlaine a aimé et souffert, comme tout le monde, et que comme tout le monde, il a construit à partir de telles expériences individuelles une certaine connaissance du «monde», mais ceci n'est qu'une infime partie de son talent d'écrivain poète, car ni Elisa, ni Mathilde, ni Arthur, ni Lucien, eux-mêmes, ne parviendraient à élucider l'authenticité de cet illustre personnage en quoi que ce soit. La mort foudroie chaque jour, c'est l'une des certitudes de la vie, si ce n'est pas l'unique, mais certains êtres, même s'ils sont morts, leurs voix ronronnent toujours dans les couloirs des siècles. Le 30 mars de chaque année, la poésie célèbre l'anniversaire de la disparition de Paul Verlaine, pour qui Debussy a musiqué ses poèmes & pour qui Ferré a chanté les vingt-cinq textes dédiés à Lucien Létinois, dont «Ame, te souvient-il». C'est leur bonté, leur cœur bon et leur vie exercée dans le partage, baignée dans un amour sans condition, qui fabrique leur éternité, du moment que leur unique souci, c'est de vivre la félicité et la passion qui enivrent leurs journées. Ce sont des exilés dans leurs propres moments, des gens qui ne meurent jamais, qui, depuis leur silence plein de leurs tombes, ils arrivent à meubler nos moments, pour que nos âmes n'oublient jamais. Lorsque Verlaine quitte l'Angleterre, en septembre 1877, il trouve, par le biais d'un ami, un poste de professeur à l'institution Notre-Dame où il fait la connaissance de Lucien Létinois. Cette rencontre entre le professeur et l'élève se transforme en complicité et laisse place à une amitié passionnelle au fil du temps. En 1879, Létinois échoue au brevet parallèlement à Verlaine qui replonge dans une forte dépendance à l'alcool, ce qui, par ailleurs, lui vaudra la perte de son poste. Le poète se décide, donc, à retourner en Angleterre accompagné de son ami qui finit alors par être embauché en tant que surveillant à Stickney, où Verlaine y avait occupé le même poste. Suite à une aventure de Lucien avec une jeune Anglaise, les deux hommes se déchirent, espérant recoller les morceaux de cette cassure sentimentale, ils rentrent précipitamment en France. Verlaine y achète une ferme où ils s'installent. Quelques mois plus tard, à l'automne 1880, Lucien accomplit son service comme artilleur, le poète au cours de la même période occupe le poste de surveillant de collège. Ils rentrent ensuite à Juniville en automne 1881, mais après dix ans d'errance, Verlaine souhaite, quant à lui, renouer avec la vie littéraire parisienne, si bien qu'au début de l'été 1882, il s'installe à Boulogne, dans un hôtel, Lucien y est surveillant jusqu'en octobre avant d'accepter un emploi dans l'industrie à Auteuil. Pendant plusieurs semaines, chaque fin d'après-midi, Verlaine va attendre Lucien à Auteuil, et ils regagnent ensuite Boulogne à pied. C'est très exactement cette période de leur vie qu'évoque le poème, «Ame, te souvient-il» de Paul Verlaine ; Âme, te souvient-il, au fond du paradis, De la gare d'Auteuil et des trains de jadis T'amenant chaque jour, venus de La Chapelle ? Jadis déjà ! Combien pourtant je me rappelle Mes stations au bas du rapide escalier Dans l'attente de toi, sans pouvoir oublier Ta grâce en descendant les marches, mince et leste Comme un ange le long de l'échelle céleste, Ton sourire amical ensemble et filial Ton serrement de main cordial et loyal Ni tes yeux d'innocent, doux mais vifs, clairs et sombres Qui m'allaient droit au cœur et pénétraient mes ombres Après les premiers mots de bonjour et d'accueil Mon vieux bras dans le tien, nous quittions cet Auteuil Et, sous les arbres pleins d'une gente musique Notre entretien était souvent métaphysique O tes forts arguments, ta foi du charbonnier ! Non sans quelque tendance, ô si franche ! à nier, Mais si vite quittée au premier pas du doute ! Et puis nous rentrions, plus que lents, par la route Un peu des écoliers, chez moi, chez nous plutôt Y déjeuner de rien, fumailler vite et tôt, Et dépêcher longtemps une vague besogne. Mon pauvre enfant, ta voix dans le Bois de Boulogne ! «Ame, te souvient-il» est le dix-huitième poème d'un cycle publié en 1888 dans Amour et qui regroupe vingt-cinq textes, tous dédiés à la mémoire de Lucien Létinois. En effet, chacun a lu ou entendu de ces «explications» : tel morceau des Poèmes saturniens est analysé à travers le souvenir de la cousine «Elisa», tel morceau des Romances sans paroles en référence à Rimbaud, ou encore telle pièce de La Bonne chanson comme un épithalame pour Mathilde Mauté. Sans doute, les vagabondages du poète, les échecs interminables et successifs de sa vie sentimentale, sont-ils pour beaucoup dans cette tendance, caractéristique de tout un pan des études verlainiennes, non pas nécessairement à réduire l'homme à l'œuvre, mais à rechercher dans cette œuvre poétique plus que dans une autre, un témoignage de nature autobiographique. Et puis , parler d'Elisa ou de Mathile, d'Arthur ou de Lucien, c'est tout au plus, dire que Verlaine a aimé et souffert, comme tout le monde, et que comme tout le monde, il a construit à partir de telles expériences individuelles une certaine connaissance du «monde», mais ceci n'est qu'une infime partie de son talent d'écrivain poète, car ni Elisa, ni Mathilde, ni Arthur, ni Lucien, eux-mêmes, ne parviendraient à élucider l'authenticité de cet illustre personnage en quoi que ce soit. La mort foudroie chaque jour, c'est l'une des certitudes de la vie, si ce n'est pas l'unique, mais certains êtres, même s'ils sont morts, leurs voix ronronnent toujours dans les couloirs des siècles. Le 30 mars de chaque année, la poésie célèbre l'anniversaire de la disparition de Paul Verlaine, pour qui Debussy a musiqué ses poèmes & pour qui Ferré a chanté les vingt-cinq textes dédiés à Lucien Létinois, dont «Ame, te souvient-il». C'est leur bonté, leur cœur bon et leur vie exercée dans le partage, baignée dans un amour sans condition, qui fabrique leur éternité, du moment que leur unique souci, c'est de vivre la félicité et la passion qui enivrent leurs journées. Ce sont des exilés dans leurs propres moments, des gens qui ne meurent jamais, qui, depuis leur silence plein de leurs tombes, ils arrivent à meubler nos moments, pour que nos âmes n'oublient jamais.