-La Russie, alliée indéfectible de Damas, campe sur ses positions. Hier, en imposant son veto, et demain ? Les Russes sont dans une situation lamentable. Ils auraient pu négocier une sortie de crise ou une transition, qui ne serait pas si différente de ce qui s'est passé au Yémen. Leur démarche n'est logique que si l'armée de Bachar Al Assad était puissante et n'avait pas essuyé autant de défaites. Le veto était prévisible. En coulisses, des négociations s'ont engagées, d'abord par téléphone entre Obama et Poutine, puis avec la Turquie, Erdogan a été reçu hier à Moscou. Cette position de soutien inconditionnel à Al Assad ne tiendra pas. -L'appareil sécuritaire syrien a été touché. Est-ce le début de la fin ? L'attentat de mercredi montre deux éléments importants. D'abord, l'attentat est venu de l'intérieur du bâtiment et non de l'extérieur. Cela montre qu'ils ont pu être dans le QG général du service. Ensuite, depuis quelques jours, on remarque un changement entre les rapports de force sur le terrain. Aujourd'hui, l'armée du régime ne s'impose que par les chars, comme une force d'occupation. Elle est détachée de la réalité sociale et du soutien de la population. Alors que les choses évoluent rapidement et l'opposition est plus organisée sur le terrain. Ceci dit, la fin peut être un processus long et compliqué avec beaucoup de dégâts. On peut également envisager une fin plus accélérée, ou l'on verra des gens sauter du bateau plus rapidement, car la peur s'est déjà installée dans leur camp. Dans tous les cas, il n'y a aucune chance que ce régime remporte cette bataille contre son peuple. -L'Armée syrienne libre a revendiqué l'attentat. A-t-elle les moyens logistiques pour de telles actions ? L'ASL est passée par plusieurs phases. Elle était au départ totalement isolée, composée de déserteurs ou bien de jeunes fuyant leur service militaire obligatoire en Syrie. A partir de juillet 2011, ils se sont organisés par quartiers, puis par villages sans aucune communication entre eux. Dans une deuxième phase, ils ont décidé de se regrouper dans les régions, précisément au nord, à Homs, et dans le rif de Damas. Les combats avec l'armée syrienne ont été chaotiques, puisque cette dernière déployait une force de feu plus importante. En mars dernier, l'ASL est entrée dans une troisième phase, soutenue par la population. Les combattants de l'ASL avaient une liberté de mouvement qui leur permettait de frapper les check points du régime. Ils n'étaient pas dans une logique de contrôle, mais de simples attaquants. Cette stratégie a fait perdre aux hommes d'Al Assad beaucoup de régions. L'ASL s'est appuyée sur des moyens de communication et une assistance logistique étrangère à travers la frontière turque et quelques trafics à la frontière libanaise et irakienne. Dans tous les cas, ce qui a été fourni par les acteurs régionaux, notamment du Qatar, de la Turquie et de l'Arabie Saoudite restent incomparable au soutien militaire et de renseignement que la Russie et l'Iran ont fourni au régime. -Allons-nous vers l'éclatement de la société syrienne, voire l'éclatement des communautés ? Le régime syrien a essayé de se présenter progressiste et laïc en travaillant sur des réseaux communautaires, tout en recrutant dans les services de renseignements de la communauté alaouite – la communauté du Président – de hauts fonctionnaires. C'est devenu un tabou, en même temps c'est une déchirure dans la société qui demeure à l'écart, d'autant plus que la tension, en Irak, des chiites et la lutte du pouvoir de l'après-Saddam, il y a eu des conséquences sur la Syrie et le Liban. En même temps, en Syrie, à la différence des pays voisins, le sentiment national l'a emporté sur celui communautaire. La transition peut être douloureuse, mais ce ne sera pas une fatalité de voir un éclatement. La transition pourrait être positive. -Les Etats-Unis ont estimé que le régime syrien perdait le contrôle. Y a-t-il un risque d'ingérence ? Non, pas du tout. Les Etats-Unis ne voulaient pas intervenir, ils sont très hésitants. D'un côté, Barack Obama ne souhaitait pas voir la Syrie sur son agenda politique avant les élections. D'un autre côté, vu que la Syrie a des frontières avec Israël et l'Irak, les Etats-Unis voulaient voir les choses se calmer et ne pas déstabiliser la région. Mais le réalisme américain fait qu'ils sont conscients que le régime d'Al Assad vacille. La question de l'ingérence de l'étranger se pose beaucoup plus du côté d'Al Assad que de l'opposition. Faten Hayed