Personnage haut en couleurs, artiste atypique, Armande Altaï (1) a mené une carrière underground avant d'être révélée au grand public, en 2001, par l'émission télé-crochet La Star Académy. Elle a publié un livre autobiographique, « Cette musique qui me vient de loin » (2), le récit passionnant d'une vie riche en péripéties. Elle est née à Alep, elle a vécu à Bouaké, séjourné à Alger, grandi à Marseille, souffert d'un père français militaire tortionnaire et torturé ; elle s'est forgé un caractère trempé au contact d'une mère toute puissante et protectrice, et une identité musicale aux confluents de plusieurs cultures. Entre deux cours dispensés à son école(3) de chant dans le Marais (Paris) Armande Altaï a accepté de nous raconter son parcours d'artiste universelle. Entretien Présentation du livre « Cette musique qui me vient de loin » Armande Altaï : Je suis une vieille dame qui est née pendant la guerre, à Alep (en Syrie). Malheureusement, ma ville natale est complètement déchirée en ce moment et cela me fend le cœur. Je suis la fille d'un officier français et d'une mère turque. Mon père, comme tous les officiers français, nous a emmenés partout où il allait : j'ai une sœur qui est née à Beyrouth (au Liban), une autre à Damas (en Syrie), mon frère est née à Bouaké, en Côté d'Ivoire. J'ai ramené de la Côté d'Ivoire des rythmes, des souvenirs, des fièvres aussi. On avait des ordonnances (soldats affectés au service de son père), notamment un qui s'appelait Coco. Il avait un grand amour pour nous. Il nous a protégés, même de notre père, qui était un peu spécial. J'ai gardé le souvenir de Coco, toute la nuit assis devant la porte, avec son long corps qui formait un « N », qui disait « Non. Non, on entre pas dans cette chambre, je la protège ». C'était notre gardien. Ce sont des souvenirs intimes. Après nous sommes arrivés à Marseille, qui nous a recueillis. Nous avons vécu tout le reste de notre enfance dans cette ville cosmopolite, grâce à l'apport de l'orient. Notre père est parti en Indochine. Il revenu quelques années après avec des demis frères et sœurs indochinois. Ensuite, il est parti faire la guerre en Algérie, avec sa nouvelle famille. L'Algérie que nous avons connue petits. Nous avons habité quelques jours à Alger (rue Michelet, square Bresson) avant de repartir pour l'Afrique. Mon père n'était pas quelqu'un de sympathique : il était dans le renseignement et la torture, comme tous les officiers français de cette époque. Cela a commencé en 1954, avec ce que l'on appelé les « évènements », et qu'on n'appelait pas encore la « guerre ». Un jour la femme vietnamienne avec laquelle il vivait le quitte, laissant ses deux petites filles en Algérie. Mon père qui était tout le temps en guerre ailleurs, avait demandé à ma sœur ainée de venir l'aider. Elle a eu le courage d'aller en Algérie, à Médéa, pour s'occuper de nos demi-sœurs, qui étaient dans un état déplorable. Un jour elle les avait emmenées au marché pour leur acheter des robes. Et là, un jeune algérien les a attrapées et les a tirées dans une rue. Une bombe a explosé à ce moment là dans le marché. Ce jeune homme les avait sauvées de l'horreur. Il les a ensuite accueillies dans sa famille, malgré la haine que vouait la population à mon père dans cette ville. Les frères de ce jeune algérien ayant été torturés par mon père. Quand ma sœur est revenue à Marseille avec nos petites demi-sœurs, j'étais complètement éblouie par le geste de cette famille, qui savait faire la différence entre un humain et un autre, même si c'était l'enfant d'un officier français. Pour moi, l'Algérie c'est cette famille. Le président François Hollande a reconnu « la sanglante répression » du 17 octobre 1961. Pensez-vous que la France doive reconnaître ses crimes coloniaux en Algérie ? Dans les années soixante, Papon a commis ce crime incroyable (les évènements du 17 octobre 1961, ndrl). Que le président François Hollande ait reconnu ce crime, c'est la moindre des choses. Mais, il n'y a plus que cela à reconnaître. Que ce soit l'Algérie ou l'Afrique en général, l'occident a énormément de responsabilité envers ce continent, qui est le plus riche, le plus beau, le plus varié et que l'on a maintenu dans une espèce d'obscurantisme, d'illettrisme, de pauvreté. Elles sont où toutes les richesses de l'Afrique ? Elles sont entre les mains de petits groupes de gens dans la planète entière, toujours les mêmes, qui ramassent énormément de richesses pendant que les autres survivent plus au moins mal. Dans votre livre, vous parlez aussi de votre lien de parenté par alliance avec une figure historique de la résistance à la France coloniale en Algérie, l'émir Abd El Kader en l'occurrence. Pouvez-vous-nous en dire plus ? Ma mère était la fille d'un Bey turc. Elle a fait ses études dans une Turquie très moderne à l'époque, grâce à Ataturk, qui était un homme merveilleux. Il ne faut pas oublier que les femmes turques avaient eu le droit de vote avant les françaises. Alors un de mes oncles, le frère de ma mère, qui s'occupait de l'éducation des arrières petits enfants de l'émir Abd El Kader à Nice, (la ville où vivait le « clan » de l'émir), était tombé amoureux de Zola, l'une des ses petites filles, qui était très belle. Elle était promise à un autre, mais mon oncle l'a enlevée et épousée. Après l'avoir rejetée, la famille a accepté plus tard cette relation. C'est comme cela que je me retrouve aujourd'hui avec des cousins germains qui sont des descendants de l'émir Abd el Kader. Comment vivez-vous la crise en Syrie, vous qui êtes née à Alep ? Cela me déchire complètement. Je ne comprends pas cette espèce de vanité suprême de ne pas vouloir décoller ses fesses d'un trône et laisser mourir des tas de gens, sans faire quelques réformes pour redonner à la Syrie la modernité qu'elle avait à une époque. Pourquoi tout cela ? Pourquoi on tue des enfants ? Je ne supporte absolument pas cette malveillance, cette violence qui habite les humains. On détruit des choses magnifiques, comme le souk d'Alep, qui est le plus ancien du monde. Cela me dépasse. Quelles ont été vos influences musicales, l'Afrique en fait-elle partie ? Les premières langues que j'ai entendues ce sont le turc sophistiqué et sa musique d'Asie mineure tellement mélancolique et l'arabe littéraire chaud, ronronnant, intime et tendre ; des langues magnifiques avec des mélopées et rythmes qui vous prennent. Puis c'était l'Afrique avec ces transes qu'on entendait toute la nuit parfois à Bouaké, les tamtams, ses fêtes magnifiques,...tout cela est ancré en moi, dans ma chair, dans ma musique, qui est étrange ! Il y a aussi l'opéra, la musique classique, tout cela est mélangé et fait ma fête musicalement. Je ne veux me lobotomiser d'aucune de ces influences et ne pas faire de petites chansons « consensuelles, mignonnes » Parlez-nous un peu de vos élèves africains et maghrébins ? Mes élèves qui viennent récemment d'Afrique gardent encore en eux ce sens de la répétition, cette pulsion tellurique qui est incroyable. Il m'arrive aussi de recevoir dans mes cours des africains qui sont en France depuis tellement de générations qu'ils dansent comme des « biscottes » et qui sont incolores et inodores (sans jeux de mots). J'ai connu des blacks français qui n'avaient aucun rythme, parce qu'ils sont devenus français (rires). Sinon, il y a cette vibration dans la voix des maghrébins qu'on retrouve dans les chansons R'n'B, qui est merveilleuse, brillante, passionnelle, que l'on retrouve aussi dans le flamenco. Cela me trouble beaucoup. Accepteriez-vous, si l'occasion se présentait à vous, de donner des cours de chant en Afrique ou animer une émission de télé-crochet ? Moi, je suis partante d'aller dans un pays maghrébin pour faire une classe de chant et participer à un genre de télé-crochet. Parce que dans le peu que j'ai entendu, il ya des voix tellement magnifiques. Et puis, je m'approcherais des professeurs maghrébins qui vont m'apprendre des choses. Même s'il m'arrive de chanter en turc ou en arabe, je reste quand même une française qui chante en turc et en arabe. Quant à l'Afrique, je ne sais pas si ma santé supporterait la chaleur, mais pourquoi pas. La méditerranée oui, je serai très ravie d'aller m'enrichir et de donner tout ce que je peux donner, de rencontrer ces voix avec ces vibratos tellement mystérieux, ces rythmiques prenantes, de visiter ces beaux pays. Je souhaite qu'on n'abime plus ces pays, qu'on les montre, ce sont des paradis terrestres. Entretien réalisé par Fayçal Anseur (1) http://www.armandealtai.com/ (2) « Cette Musique qui me vient de loin », JC Lattès, 308 P, 16,50 euros (3) http://lesclassesdarmandealtai.com/web/ https://www.youtube.com/watch?v=x_rtuF8UN_E