« La rinx, frinx...lectyre ou eldjounis...» : la voie impérieuse et saccadée domine le brouhaha d'une assistance penaude. Ceux qui ont eu le plaisir de voir le film « le clandestin » de Benamar Bakhti, doivent se souvenir de l'illustre Athman Ariouet dans le rôle d'un charlatan déroulant son discours de « médecin » autoproclamé devant un parterre de badauds ébahis par tant de science infuse. Tout en ayant une pensée pour l'immense artiste, on ne peut qu'admirer son talent et se réjouir de sa façon magistrale de brocarder certains énergumènes quant à leur effronterie à s'improviser guérisseur. Même si le ton d'Ariouet était à l'humour, son message fut on ne peut plus clair : Celui de la triste image d'un pays dont les citoyens sont à ce point dans le déni de la rationalité qu'ils confient, en toute naïveté et bonne foi, leur sort aux mains de charlatans d'un autre âge. Des ensorceleurs fourbes, cupides et manipulateurs qui jouent avec la vie d'autrui en profitant de leur naïveté et leur détresse pour s'en mettre plein les poches. Combien de victimes, fragilisées et dépressives ont succombé à leurs toxiques potions? Si Dieux seul le sait, personne d'autre ne cherche à le savoir, surtout pas les autorités sanitaires. C'est qu'il s'agit là d'un « marché » clandestin mais à ciel ouvert, en plein expansion, qui se construit au grand jour, malgré son caractère illicite et qui tend à se substituer à la médecine autorisée à laquelle il emprunte impunément nombre de ses attributs jusqu'aux plaques signalétiques : « Cheikh Abouflen...spécialiste de toutes les maladies, Médecine prophétique, pratique la Rokia, la Hidjama, le désenvoutement,...sur rendez-vous ». Ceux qui s'astreignent à un cursus de « Bac+12 » pour décrocher un diplôme de médecin spécialiste doivent maudire ce sort qui met leur art entre les mains de tels aventuriers. Que peuvent-ils faire si non rester perplexe devant l'engouement d'une bonne frange de la société à se livrer corps et âmes à l'occultisme de praticiens esbroufeurs. Reste la maigre consolation de savoir qu'ils ne sont pas les seules victimes d'une concurrence déloyale, car hélas ce n'est pas l'unique segment d'activité qui a su prospérer en marge de la raison et de la loi et dont l'attractivité s'exerce sur la société au point que se créent un peu partout des « mondes » parallèles nocifs et déstructurants. Tout phénomène singulier usant de pratiques ésotériques, n'apparait que s'il est précédé de conditions favorables qui lui servent de terreau et dont la conjonction le propulse et lui fait prendre de l'ampleur. Dans nombre de cas, c'est le vide au sein de la société, souvent corolaire d'une absence de perspectives, du besoin matériel ou moral non satisfait, qui constitue le meilleur humus pour sa naissance et son extension. La nature ayant le vide en horreur comme le dit l'adage, la course pour le combler prend alors son essor auprès de tous les opportunistes qui s'empressent d'en capter les dividendes. C'est à celui qui profitera de toutes les béances (ignorance, détressé, misère) pour s'investir dans un champ vacant et délimiter en félin son territoire. Le vide juridique en fait partie, et le champ de ce qui est appelé « médecine parallèle » notamment, offre une opportunité inespérée pour toute une faune, en embuscade dans le tréfonds de la société, pour émerger et s'imposer en profitant du laxisme de l'Etat et de l'ignorance d'un peuple en quête de planche de salut. Si le soubassement de cette ignorance remonte aux ténèbres de l'époque coloniale, sa persistance est le fait d'une école Algérienne dont les spécialistes s'accordent à dire qu'elle n'est pas encore sortie de sa sinistrose. Aussi, si pour conjurer le mal, la pratique de la sorcellerie, des amulettes, grigris et autres fétiches, était compréhensible du temps du colonialisme, parce que c'était le seul recours, il est par contre affligeant que plus de cinquante ans après l'indépendance, des malades continuent encore à payer pour mourir sous la prescription de charlatans ayant registre de commerce et pignon sur rue. Scandale qui ne semble nullement déranger les autorités qui y voient au contraire une opportunité pour se débarrasser d'un souci à moindre frais. Interférer dans la relation entre un patient et son guérisseur, quand on a si peu à offrir en substitution, n'est pas très judicieux. Rien de mieux que de fermer les yeux, laisser la plèbe gérer ses problèmes de santé à sa manière et en corrélation avec son ignorance. Pourquoi tirer un sot de sa somnolence ? Pourquoi s'exposer aux contraintes d'une revendication de soins de qualité quant on peut la sous-traiter auprès de « spécialistes » du« placebo ? Après tout, en médecine comme pour tout le reste, chacun n'a que ce qu'il mérite. L'ignorance est à la base de toutes les régressions, aussi, on ne peut faire croire à quelqu'un que l'on peut le guérir du cancer, de l'insuffisance rénale, du diabète, de la tuberculose etc. avec une simple décoction, une « hidjama », ou une « rokia », s'il ne recèle en lui, déjà, certaines prédispositions à avaler quelques couleuvres. En l'occurrence ce n'est certainement pas de la clochardisation actuelle de la société qu'il faut attendre quelque étincelle d'intelligence à même de la guider vers la lumière. Au contraire tout plaide pour le renforcement de la croyance en la puissance surnaturelle des gourous de la « médecine » parallèle. Leur « recettes » miracles s'emboite parfaitement avec la dévotion fiévreuse et la bigoterie ambiante qui s'est emparé de la population depuis quelques dizaines d'années. Ce n'est pas par hasard que l'on parle de « médecine » prophétique et que l'on associe la liturgie aux vertus « miraculeuses » de telle traitement, de telle infusion ou de telle plante. Souvent l'invocation d'un semblant d'exégèse coranique sert de décorum pour faire gober, à des néophytes souffrants et en perdition, le caractère prodigieux et surnaturel de leur inestimable don de guérisseur. Surfant sur l'accointance passionnelle des mentalités d'avec le fait religieux, certains poussent l'audace jusqu'à interdire à leur « patientèle » de consulter la médecine légalement autorisée. Comme on les comprend ! Tel un fleuve, le peuple serpente pour contourner les obstacles dressés sur son parcours. Lorsqu'un pays n'offre que des solutions au rabais pour la multitude de problèmes qui se posent, notamment aux plus démunis, le recours à des ersatz de substitution s'érige alors en règle de conduite. Dans tous les domaines apparaissent des comportements en marge de la légalité, de la morale, de la transparence, du savoir. Des comportements calamiteux, funestes, qui ne sont finalement que le pendant des turpitudes du système politique en place. Face à ses travers, la société réagit en débordant de ses ornières. La rupture du lien de confiance en ses gouvernants et en la normalité qu'ils sont sensés incarner, la pousse à se chercher une issue salvatrice dans l'informalité et l'invention de ses propres remèdes. Le rôle des institutions devient alors caduc ainsi que tout ce qui sert de soubassement à une société évoluée et digne de ce nom. Le peuple renoue avec ses réflexes primitifs, se crée son propre monde parallèle, au grand bonheur d'éclaireurs autoproclamés et d'opérateurs patentés qui n'ont qu'à tendre les bras pour recruter du crétin. Pour ne prendre qu'un exemple, il suffit d'observer les consultations juridiques auprès d'une pléiade d'émetteurs de « fetwa », sous le haut patronage de la Radio et la Télévision publiques, pour comprendre que le peuple a choisi son interlocuteur. Leur succès est tel qu'il est à se demander à quoi servent les hommes de loi, les codes et recueils de lois, la jurisprudence. Ce n'est là qu'un exemple d'une duplication qui tend à se généraliser à mesure que l'Etat bat en retraite et cède de son espace d'influence et ce n'est pas un hasard si les consultations juridiques et les consultations médicales soient prises en charge par la même succursale et des officiants de même obédience. De ce point de vue la « médecine » parallèle n'est donc qu'une conquête de plus de l'informel, un commerce de plus à ajouter à tous ceux qui se pratiquent ailleurs, dans des sphères clandestines et parallèle et que l'on désigne trivialement par le terme de « trabendo ». Le drame est qu'il touche à un domaine où l'enjeu dépasse le jeu car c'est souvent une question de vie ou de mort. Mais pour tous ceux qui passent leur temps à attendre la mort, pour tous ceux qui passent leur temps à la leur distiller, la vie vaut-elle encore quelque chose ? Kebdi Rabah Le 27 01 2016