Ah ! que doit-on dire sur Alexis de Tocqueville, ce soi-disant théoricien de la démocratie ? Eh bien, beaucoup de choses, car si, pour certains, il était l'exemple de la liberté, de l'humanisme et de la pensée démocratique moderne, pour d'autres et, principalement pour nous, les Algériens, lorsque nous l'étudions et l'analysons profondément, il a été le représentant zélé de la colonisation, en personnage avide et injurieux. D'ailleurs, quand le professeur Ali Ziki m'a offert son livre intitulé «Les écrits de Tocqueville sur l'Algérie de 1837 à 1847», qu'il a traduit remarquablement en langue arabe, j'étais un peu étonné, à l'instant où je le recevais. Je me disais en mon for intérieur : est-ce possible qu'un intellectuel algérien, militant de surcroît comme lui, puisse pousser le bouchon jusqu'à écrire sur une personne aussi controversée que ce Tocqueville ? Il est vrai que ma réaction première n'avait rien de logique et ne faisait point dans le raisonnable. Mais elle pouvait se comprendre dans la mesure où mes premières lectures de quelques documents concernant cet historien, que l'Occident a vêtu de costume de précurseur de la sociologie, de l'homme de l'opus magnum américain, m'ont complètement sidéré, tant par le contenu que par la conviction et l'arrogance dans lesquelles ils ont été rédigés. Cependant, et après avoir commencé la lecture du livre du professeur Ali Ziki, Les écrits de Tocqueville sur l'Algérie de 1837 à 1847, partagés en quatre volumes, Lettre sur l'Algérie 1837, Voyage en Algérie 1841, Travail sur l'Algérie 1841 et Rapport sur l'Algérie 1847, j'ai vite fait amende honorable car j'ai compris ce que voulait nous prouver le professeur Ali Ziki, en présentant un tel travail, de haute facture, comme celui qu'il nous a livré. En effet, dans une traduction aussi fidèle qu'édifiante et parfaite, argumentée d'explications qui la confortent, l'auteur de cette production qui explique et aide davantage à la compréhension de ce pan de l'Histoire de notre pays, du temps de sa colonisation, ne fait pas dans l'éloge ou, à tout le moins, dans l'analyse superficielle, en ce qui concerne les écrits désobligeants, voire outrageants d'Alexis de Tocqueville. «En prenant le risque de le traduire, expliquait-il à ceux qui voulaient en savoir plus sur son travail, je ne voulais être ni son juge, et encore moins son avocat ; je voulais seulement le présenter dans la langue arabe pour que les Algériens, ceux qui le lisent, le connaissent mieux. Je voulais le faire dire dans notre langue ce qu'il a exprimé dans sa langue maternelle.» Cela dit, le professeur Ali Ziki, en intellectuel éveillé, juste et ayant une attitude de respect aux hommes de science et de culture, nous explique que cette œuvre de traduction qu'il vient de nous présenter n'est pas le procès de Tocqueville — en qui il reconnaît le grand esprit européen de la fin de son siècle —, mais un effort honnête où il dit la vérité sur une personnalité exceptionnelle ayant vécu et accompagné de grands événements historiques et des changements politiques et géostratégiques que l'Europe a connus durant les guerres du XIXe siècle. Ainsi, l'auteur, professeur des universités à l'université d'Alger 2, au département de philosophie et à l'Institut de traduction, va droit au but, en prenant en charge ce travail ardu qui est d'une nécessité absolue pour mieux connaître et ressentir les vicissitudes de notre lutte contre le colonialisme français, depuis sa venue en notre pays. Il vient également pour mieux connaître ce que furent nos relations avec les indus occupants qui nous chargeaient d'avanies et nous reprochaient de ne pas avoir été conciliants avec leur politique de la terre brûlée. Et comment n'allait-il pas se déterminer en tant qu'universitaire, ayant en charge des générations à enseigner, à sensibiliser, à encadrer et, enfin, à convaincre de ce que fut notre lutte de Libération nationale pour acquérir nos droits et recouvrer la souveraineté de notre pays, lui qui, très jeune, a rejoint les combattants de l'ALN et s'est mis sous les ordres du colonel Amirouche, dans la fournaise des maquis de l'intérieur ? Oui, le professeur Ali Ziki, parce qu'ancien moudjahid, élevé dans les principes de Novembre, devait s'acquitter de son devoir de militant de la cause nationale d'abord, et d'intellectuel ensuite, en démontrant, avec cette excellente production, l'autre visage d'Alexis de Tocqueville. A-t-il réussi son pari ? Apparemment, tout laisse entendre que son message est passé convenablement, puisque ceux qui n'ont pu lire cet «idéologue» — entre guillemets — qui parlait de la nécessité de coloniser l'ancienne Régence d'Alger, et par extension toute l'Algérie, cette présente traduction de Ali Ziki vient à point nommé expliquer, dans la langue arabe, ce qu'est vraiment ce faux démocrate, ce faux libéral et ce faux humaniste. Ainsi, traduit avec rigueur, écrivait L'Expression, cet ouvrage lève le voile sur l'une des pages les plus sombres de l'Histoire du pays, celles des premières années de la colonisation. L'autre grand intérêt de l'œuvre consiste dans la mise à nu de son auteur et sa destitution du piédestal érigé à sa gloire intellectuelle après son étude, parue en 1835, De la démocratie en Amérique.(1) C'est pour cette raison qu'il fallait que les écrits de Tocqueville sur notre pays soient traduits en langue nationale, en mettant l'accent sur son intérêt pour l'Algérie et la colonisation, afin qu'ils soient connus de tous, et principalement de la nouvelle génération pour qu'elle ne soit pas illusionnée ou éblouie par un autre discours qui pourrait lui paraître conciliant, parce que provenant d'ailleurs. Alors, elles sauront qu'Alexis de Tocqueville n'était pas pour nous — les Algériens — ce qu'il était pour eux — les gens de l'Occident —, à l'esprit colonialiste. Car, ce parlementaire et, par la suite, ministre des Affaires étrangères, était également, et surtout, disons-le franchement, le premier concepteur de cet esprit pour la «gestion coloniale» de Algérie. N'était-ce pas lui qui se trouvait à la tête de la «commission parlementaire» et qui, de par sa conception de la légalité en matière de propriété en Algérie, soutenait que «la colonisation était en jeu et qu'il n'y avait pas de territoire de domination sans terre de colonisation...» ? Parce que, dans sa logique, il savait qu'en chassant les Arabes de leurs terres ils deviendraient des salariés, c'est-à-dire rien que des ouvriers agricoles. «Nos cultivateurs se servent volontiers des bras indigènes. L'Européen a besoin de l'Arabe pour faire valoir ses terres ; l'Arabe a besoin de l'Européen pour obtenir un haut salaire. C'est ainsi que l'intérêt rapproche naturellement dans le même champ, et unit forcément dans la même pensée deux hommes que l'éducation et l'origine plaçaient si loin l'un de l'autre», écrivait-il, abjectement.(2) Nonobstant ces idées claires du colonialiste Tocqueville — il faut se convaincre de cet autre qualificatif qu'il portait —, il soutenait, tout en œuvrant dans le sens que la France se devait de garder l'Algérie pour quatre raisons principales. La première est qu'elle devait s'affirmer, dans le contexte régional ou géopolitique, en tant que puissance face à l'Angleterre, de par l'étendue de ses possessions. La deuxième, en dirigeant militairement l'Algérie, elle pouvait s'assurer une base militaire nécessaire à sa sécurité en Méditerranée. La troisième, sur le plan économique, l'exploitation des terres agricoles devenait un grand apport pour elle. La quatrième enfin, l'Algérie, qui était ciblée et convoitée par d'autres puissances, devait être la propriété exclusive de la France. Voilà comment Tocqueville justifie la prise de possession de l'Algérie par la France en 1841, selon le professeur Ali Ziki. Ainsi, des trois facettes de Tocqueville, «l'Américain», «le Français» et «l'Algérien» — Algérien, non pas par amour de l'Algérie, mais par son esprit colonialiste et absolutiste, comme nous venons de l'expliquer –, le professeur Ali Ziki a travaillé, pour son magnifique ouvrage de recherches et de constats, très bien traduit — on ne le dira jamais assez — la facette qui nous concerne à plus d'un titre. Parce que l'autre facette le consacre en tant que l'un des plus grands historiens et philosophes politiques des temps modernes, celui qui a été le récipiendaire du titre d'humaniste vertueux, en défendant les droits des Indiens d'Amérique et en prenant position contre l'esclavage des Noirs. Il a à son actif également le mérite d'avoir analysé prestement la Révolution française de 1789 et les démocraties occidentales en général. «Un parcours qui lui a fait gagner une brillante postérité et une place au panthéon des esprits brillants, producteurs de lumière dont les feux éclairent jusqu'à nos jours l'humanité», écrivait Mohamed Badaoui, déjà cité. De ce fait, le premier constat par rapport à ce travail bien fait du professeur Ali Ziki est incontestablement le retour à la vérité. Et là, évidemment, bonjour les dégâts ! Surtout quand il nous fait connaître ce sinistre individu, ce «patient bipolaire», ce «mégalomane» inassouvi, aux ambitions velléitaires. Déjà, nous signale-t-il, qu'en 1828, bien avant ce funeste mois de juillet 1830 où la flotte française a débarqué à Sidi Fredj, Tocqueville, qui n'était qu'un jeune magistrat, âgé d'à peine vingt-trois ans, soutenait haut et fort, dans un enthousiasme frénétique, la nécessité d'une expédition militaire en Algérie. Deux années plus tard, dans la même ambiance familiale, Hippolyte, son frère aîné, voulait, lui aussi, participer aux côtés des soudards de l'armée française à l'expédition d'Alger, en vain. Espérait-il recevoir une certaine «baraka», d'un «saint gaulois» dont nous ne lui connaissons aucune origine chez nous ? Et, en 1833, le Tocqueville, toujours, sollicite son cousin l'agronome pour l'aider à travailler les terres qu'il envisageait d'acquérir dans l'opulente Mitidja. L'ambition existait, mais la concrétisation de son projet par l'usurpation de la terre ne lui a pas été possible. Ainsi, le professeur Ali Ziki explique dans son ouvrage que Tocqueville avait une logique implacable depuis ses débuts, c'est-à-dire depuis ses premiers écrits sur l'Algérie où il se montrait «convaincu que la colonisation est une obligation incontestable». Ce choix du philosophe, du démocrate, du parlementaire et, bien sûr, de l'homme politique, démontrait on ne peut mieux qu'il était présent, bien présent, dans la vie française, dans cette France d'alors qui, de par sa sauvage expédition d'Alger en 1830, a dévoilé au monde entier sa physionomie politique et militaire la plus insolente, la plus hideuse. Et dans tout cela, lui le Tocqueville — le bien-né — n'était, en réalité, qu'un exploiteur exalté qui méprisait la démocratie. De ce constat, l'historien français André Jardin, spécialiste du XIXe siècle français, évoqué et repris par le professeur Ali Ziki dans son œuvre, «interprétait le colonialisme «tocquevillien» dans les termes d'une dualité entre son «idéalisme» libéral et son «réalisme national»(3) C'est alors que, sans désemparer, Alexis de Tocqueville allait dans ses rapports se poser des questions sur le devenir de l'Algérie, dans toute son étendue, après la reddition des Ottomans en 1830. Qui allait organiser et diriger la résistance contre les nouveaux occupants, cette résistance qui permettrait au «Phénix» de renaître de ses cendres, en s'opposant à l'armée impériale ? Il n'y avait qu'un seul homme, Abdelkader, celui qui pouvait être plébiscité en tant qu'Emir des croyants pour les conduire au «djihad», contre les colonialistes français(4). Cela ne plaisait pas du tout à ceux qui se prétendaient être déjà les maîtres du pays. Il fallait donc aller vers la solution extrême, faire la guerre..., la seule solution ! Et à Tocqueville de montrer son véritable visage, en allant vite en besogne dans le même esprit. Ainsi de l'Emir, voici ce qu'il dit : «Il ne faut donc pas se fier sur le passé et croire que la puissance d'Abdelkader, après avoir brillé un moment, s'éteindra comme tant d'autres. Ils est au contraire fort à craindre qu'Abdelkader ne soit en train de fonder chez les Arabes qui nous entourent un pouvoir plus centralisé, plus agile, plus fort, plus expérimenté et plus régulier que tous ceux qui se sont succédé depuis des siècles dans cette partie du monde. Il faut donc s'efforcer de ne pas lui laisser achever ce redoutable travail.»(5) Peu après, nous rapporte le professeur Ali Ziki, il dira encore plus, dans un langage plus clair, disons plus cynique, en dénonçant «une attitude trop exclusivement philanthropique», alors qu'il la voulait plus agressive, comprenez plus farouche, vis-à-vis de nos aïeux : «J'ai souvent entendu en France des hommes que je respecte, mais que je n'approuve pas, trouver mauvais qu'on brûlât les moissons, qu'on vidât les silos et enfin qu'on s'emparât des hommes sans armes, des femmes et des enfants. Ce sont là, suivant moi, des nécessités fâcheuses, mais auxquelles tout peuple qui voudra faire la guerre aux Arabes sera obligé de se soumettre.»(6) Par ailleurs, cet auteur de la Démocratie en Amérique s'exprimait clairement, sans état d'âme : «Le second moyen en importance, après l'interdiction du commerce, est le ravage du pays.» Ah ! quel esprit contradictoire et quelle hypocrisie chez ce théoricien qui faisait découvrir au monde occidental son véritable panorama colonial. Et là, le professeur Ali Ziki, dans son étude approfondie pour traduire fidèlement les quatre écrits de Tocqueville sur la colonisation française en Algérie, n'a pas manqué de se déclarer, en un jugement on ne peut plus clair et digne du militant patriote qui a combattu pour son pays. En effet, écrit-il dans son ouvrage, il a été sinistre et cynique théoricien ce Tocqueville, qui «en accompagnant, en encadrant et en conseillant les étapes des opérations militaires de la conquête, a été l'architecte en chef de la conquête des terres, ainsi que de l'assujettissement des esprits des autres ; maniant maladroitement l'universalisme encombrant de la philosophie des Lumières et les sacro-saints principes libérateurs de la Révolution française». Et de continuer dans son analyse du personnage «ambigu et ambivalent, voire hypocrite», qui s'était néanmoins fendu d'un «jugement de valeur sur la mission civilisatrice de la France», en reconnaissant que son pays «avait rendu la société indigène beaucoup plus malheureuse qu'elle ne l'était avant de la connaître». Ce jugement est justifié du début jusqu'à la fin de cette riche et perspicace traduction et «c'est tout à l'honneur du professeur Ali Ziki, dans la mesure où il vient d'accomplir un important travail de vulgarisation scientifique..., dans l'intérêt général bien compris». (7) Et comment n'est-il pas juste, quand Alexis de Tocqueville rédige ses quatre textes, à son retour en France, et dans lesquels il défend et acquitte la colonisation française, selon Todorov, à travers ses analyses, au nom du principe humanitaire de l'expansion de cette dernière..., la colonisation ? Le traducteur de ces textes a présenté à ses lecteurs un grand travail, en effet, quand il leur apprend qu'en 1846, Tocqueville, l'apologiste des crimes contre le peuple algérien dans le contexte de la colonisation, faisait la démonstration d'une forme d'apartheid, seul régime envisageable pour le bonheur des Blancs, c'est-à-dire des Européens. Ainsi, cette présente déclaration à travers laquelle on découvre un Tocqueville apôtre de la «domination totale» en Algérie, a la clarté de l'homme qui militait pour le ravage de notre pays : «La fusion de ces deux populations, des Arabes et des Français, est une chimère qu'on ne rêve que quand on n'a pas été sur les lieux. Il doit donc y avoir deux législations très distinctes en Afrique parce qu'il s'y trouve deux sociétés très séparées. Rien n'empêche absolument, quand il s'agit des Européens, de les traiter comme s'ils étaient seuls, les règles qu'on fait pour eux ne devant jamais s'appliquer qu'à eux.»(8) Oui, encore une fois, le traducteur de ces textes a vu juste. Il a été chercher dans les coins et les recoins, de ses quatre écrits, certains faits qui devaient être connus par ses lecteurs, notamment ceux «quand Tocqueville légitimait les boucheries», à sa façon, en écrivant consciemment, toute honte bue, dans son 2e volume qu'il a intitulé : «Travail sur l'Algérie» : «Je crois que le droit de la guerre nous autorise à ravager le pays et que nous devons le faire soit en détruisant les moissons à l'époque de la récolte, soit dans tous les temps en faisant de ces incursions rapides qu'on nomme razzias et qui ont pour objet de s'emparer des hommes ou des troupeaux.»(9) Et ainsi, Tocqueville ne s'arrête pas à ce stade, il évolue dans ses réflexions car, après son voyage en Algérie, en 1841, son point de vue se transforme drôlement. Il devient plus exalté, plus périlleux et plus sinistre. Il propose carrément le remplacement de population... Etait-ce peut-être par l'extermination du peuple, dans le cadre de l'amélioration de la race humaine... ? N'était-ce pas Hitler avant l'Histoire ? Une question posée au cours d'une conférence par l'auteur-traducteur lui-même, le professeur Ali Ziki. Et il avait raison de s'interroger de la sorte car, sans risque de se tromper, c'était assurément cela que proposait Tocqueville en écrivant, après avoir pris exemple sur les Romains : «Il y a deux manières de conquérir un pays : la première est d'en mettre les habitants sous sa dépendance et de les gouverner, directement ou indirectement. C'est le système des Anglais dans l'Inde. Le second est de remplacer les anciens habitants par la race conquérante. C'est ainsi que les Européens [du continent] ont presque toujours agi.» Alors, pour Tocqueville, il n'y avait rien de mieux que de s'inspirer de ce passé romain pour la conduite de la politique en Algérie. «Attirer dans ce pays de nombreux colons, tel est l'un de ses objectifs majeurs, et pour y parvenir il faut exproprier, expulser les habitants, déplacer des villages entiers afin d'octroyer aux Français les terres les plus riches.»(10) Devait-il s'arrêter là, cette idole occidentale de la démocratie, où allait-il exhiber ses penchants dans un discours trivial, dans d'autres horizons ? Il s'en est allé, effectivement, taquiner gratuitement ce qui ne devait pas être exposé au ressentiment d'individus comme lui. Monsieur de Tocqueville s'est attaqué à l'Islam, sans aucune autre forme de procès. Car, en étudiant le Coran, son premier constat, de prime abord, est affecté d'une sentence irrationnelle, insensée. Il conclut, au terme de ses lectures, que la religion de Mahomet est «la principale cause de la décadence du monde musulman». Plus tard, il adresse au diplomate, écrivain français Joseph Arthur, comte de Gobineau, qui doit sa notoriété posthume à son Essai sur l'inégalité des races humaines, en tant qu'un des pères de la pensée racialiste, les observations suivantes : «J'ai beaucoup étudié le Coran à cause surtout de notre position vis-à-vis des populations musulmanes en Algérie et dans tout l'Orient. Je vous avoue que je suis sorti de cette étude avec la conviction qu'il y avait dans le monde, à tout prendre, peu de religions aussi funestes aux hommes que celle de Mahomed.»(11) Ce discours inconvenant, pour le moins que l'on puisse dire, a ouvert la voie à d'autres émules qui sont venus après, comme Ernest Renan et consorts. Ce dernier, Renan, écrivain, philosophe et historien français, ne s'embarrassait d'aucun scrupule pour aller dans le même sens, avec un peu plus de haine et de mépris à l'encontre de l'islam : «Les races qui ont adopté l'islam étaient plus ou moins douées, l'islam les réduit à l'imbécillité, les ferme absolument à la science, tout en suscitant chez ses adeptes un ‘‘fol orgueil''.» Ainsi, le professeur Ali Ziki a tenu à présenter, de par son travail bien agencé, le fameux Tocqueville dans sa véritable nature, celui qui a été pour les siens le juste et célèbre penseur démocrate, de même que la figure importante de la colonisation moderne à laquelle il a consacré beaucoup de temps et d'énergie, pendant dix ans, entre 1837 et 1847. Il l'a présenté dans toute sa nature, effectivement, au moment où l'opinion européenne le considère comme un penseur politique, humaniste civique, c'est-à-dire républicain et, à la fois, sociologue et philosophe. Et de ce constat..., occidental, notre traducteur des textes de Tocqueville, s'insurge à coups d'arguments solides, contre des positions de différents acteurs — penseurs, libéraux ou révolutionnaires — qui manifestaient, en rejoignant Tocqueville, un enthousiasme particulier aux conquêtes coloniales et principalement à la colonisation de l'Algérie. À cet effet, le professeur Ali Ziki évoque dans son ouvrage certains personnages illustres, célèbres, dont Victor Hugo, «le défenseur du droit et des humbles», celui qui parlait ainsi de la conquête de l'Algérie et qui reprochait, bien plus tard, à Napoléon d'avoir libéré l'Emir Abdelkader de sa prison d'Amboise. Enfin, il disait de la colonisation: «Je crois que notre nouvelle conquête est chose heureuse et grande. C'est la civilisation qui marche sur la barbarie. C'est un peuple éclairé qui va trouver un peuple dans la nuit. Nous sommes les Grecs du monde, c'est à nous d'illuminer le monde. Notre mission s'accomplit, je ne chante qu'Hosanna. Vous pensez autrement que moi, c'est tout simple. Vous parlez en soldat, en homme d'action. Moi je parle en philosophe et en penseur.» (12) Et le député Alphonse de Lamartine, dans son discours du 10 juin 1846, à l'Assemblée nationale française, alors qu'il était bien éloigné d'un quelconque intérêt pécuniaire ou stratégique, qui concluait : «Je demande que nous ne laissions planer aucune incertitude sur la conservation d'Alger comme colonie militaire […] car j'aime encore mieux que nous perdions de l'argent que de l'honneur et de l'avenir.» Il évoque également un dernier personnage, un grand, parmi un bon nombre dans le lot de ceux qui se montraient eux aussi favorables à la conquête génocidaire de l'Algérie, Friedrich Engels, qui écrivait en janvier 1848 : «C'est très heureux que ce chef arabe [Abd-el-Kader] ait été capturé. La lutte des bédouins était sans espoir et bien que la manière brutale avec laquelle les soldats comme Bugeaud ont mené la guerre soit très blâmable, la conquête de l'Algérie est un fait important et heureux pour le progrès de la civilisation [...]. Et la conquête de l'Algérie a déjà obligé les beys de Tunis et Tripoli et même l'empereur du Maroc à prendre la route de la civilisation [...] Et après tout, le bourgeois moderne avec sa civilisation, son industrie, son ordre, ses ‘‘lumières'' relatives, est préférable au seigneur féodal ou au voleur maraudeur, avec la société barbare à laquelle ils appartiennent.» Tous ceux-là ont souligné l'importance du «processus civilisationnel» colonial… Ah ! ce merveilleux processus qui a commandé au colonel Saint-Arnaud, après l'«enfumade» des Ouled Riah, de procéder à l'emmurement d'autres membres de la tribu des Sbéahs. Et il le dit cyniquement, sans peur et sans reproche : «Alors je fais hermétiquement boucher toutes les issues et je fais un vaste cimetière. La terre couvrira à jamais les cadavres de ces fanatiques. Personne n'est descendu dans les cavernes ; personne... que moi ne sait qu'il y a là-dessous cinq cents brigands qui n'égorgeront plus les Français.»(13) Après tous ces exploits, il devient maréchal de France. Quelle promotion, après de tels génocides ! Ces monstrueuses déclarations, évoquées par le professeur Ali Ziki au cours de la présentation de sa traduction des textes de Tocqueville, nous incitent à rappeler cette fameuse phrase du général de Gaulle qui n'est pas loin des précédentes déclarations, tant elle véhicule la haine que suscite l'Algérien chez les colonialistes : «Si tous les Arabes et les Berbères d'Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de venir s'installer en métropole ? Mon village ne s'appellerait plus Colombey-les-Deux-Eglises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées !» Enfin, les injures, disait le romancier et journaliste français Alphonse Karr, sont bien humiliantes pour celui qui les dit, quand elles ne réussissent pas à humilier celui qui les reçoit. Et notre peuple est fort, conscient de sa place chez ces malotrus de la politique coloniale, et fier d'avoir mené une révolution qui a redoré son blason et lui a permis de recouvrer sa souveraineté nationale, au prix fort, après de grands et inlassables sacrifices. En conclusion, on peut dire que le travail de recherche, éminemment réfléchi, du professeur Ali Ziki a débouché sur un excellent résultat qui sanctionne une telle œuvre..., un résultat qui, assurément, nous réconcilie avec l'effort sérieux, comme celui qu'il a accompli et qui nous comble de ses fructueux effets dont bénéficieront, sans aucun doute, les chercheurs et surtout les jeunes assoiffés de culture qui, d'ores et déjà, peuvent trouver de bonnes répliques aux concepts d'Alexis de Tocqueville dans ce travail scientifique consacré à cette période de notre grande Histoire. Alors, que les historiens, sur la voie du professeur Ali Ziki, aillent au plus profond de la recherche historique, en consultant convenablement les archives afin de dévoiler des événements jusque-là occultés et dire des vérités cinglantes sur l'occupation de notre pays..., la dire en toute franchise, en toute clarté, avec le courage qui caractérise l'intellectuel. K. B. Notes : 1- Mohamed Badaoui, in Le double visage d'Alexis de Tocqueville, L'Expression du 9-7-2017 2- Alexis de Tocqueville, in Rapport sur l'Algérie 1847, p. 205 3- Jean Jacques Chevalier et André Jardin, in Alexis de Tocqueville Œuvres complètes, Tome 3 «Ecrits et discours politiques». 4- Extrait de la préface de Daho Djerbal. 5- Tocqueville, Travail sur l'Algérie, Paris, Garnier-Flammarion, 2003, p. 108. 6- Ibid., p. 112 7- Kamel Bouslama, in «À travers le prisme de la colonisation», El Moudjahid, le 25-03-2017 8- Tocqueville, Œuvres complètes, op.cit., Tome 3, p. 275. 9- Alexis de Tocqueville, Travail sur l'Algérie, Œuvres complètes Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1991, p. 704 et 705 10- Idem. op.cit, p. 694. 11- Seloua Luste Boulbina, philosophe franco-algérienne in Tocqueville et les colonies : Amérique, Antilles, Algérie 12- Adèle Hugo, in Victor Hugo, Œuvres complètes (sous la direction de Jean Massin), Club français du livre, Paris, 1967-1970, tome VI. 13- Charles-André Julien, in Histoire de l'Algérie contemporaine. La conquête et les débuts de la colonisation (1827-1871) p. 321