Par Naoufel Brahimi El Mili Appelée le continent noir, l'Afrique détient le record mondial des plus longues et meurtrières guerres civiles. Rares sont ses pays qui n'ont pas connu de coups d'Etat, souvent à répétition. Malgré l'indépendance de toutes ses nations, les ingérences étrangères n'ont jamais cessé. L'Occident n'est pas toujours coupable. Mouammar El-Kadhafi, capable du pire comme du meilleur, avait mis tout son poids, surtout son argent, pour que la Libye soit le phare de l'Afrique. Le 9 septembre 1999, lors d'une session extraordinaire de l'Organisation de l'unité africaine (OUA), le «Guide» fait adopter la déclaration de Syrte (Libye). Tous les pays membres valident le principe de la transformation de l'OUA en Union africaine. A peine dix ans après son existence, l'UA s'enrichit d'un nouveau membre avec de nouveaux problèmes. La République du Sud-Soudan est née dans la douleur. Indépendant depuis 1956, le Soudan n'est plus le premier pays d'Afrique en superficie, il est désormais divisé en deux entités. Ce pays est traversé, tout au long de son histoire, par des coups d'Etat, des guerres civiles, ethniques et religieuses. Jusqu'en 1972, ces conflits ont provoqué la mort de 500 000 Soudanais. C'est énorme dans un pays peuplé d'un million d'habitants, lors de son indépendance (estimation peu rigoureuse). Après une dizaine d'années de répit relatif, les hostilités reprennent de plus belle. En 1983, sous la férule d'un général, Jaafar Mohammed Numeiry, au pouvoir depuis 1969, c'est un homme aux alliances multiples et successives. Après avoir été nassériste, il se rapproche d'Israël pour faire de son pays la plaque tournante du rapatriement des Falashas vers l'Etat hébreux, il s'agit de l'opération Moise, enclenchée en 1984 par l'armée israélienne. Le Soudan devient le deuxième pays africain, après l'Egypte, à bénéficier de l'aide militaire de l'administration de Ronald Reagan. En même temps, Numeiry fait alliance avec les islamistes pour adopter la charia comme loi fondamentale du pays. Commencent les amputations «à tour de bras». Le général putschiste suspend, en outre, l'autonomie du Soudan méridional. Le sud, à majorité chrétienne, se rebelle. Le dernier coup d'Etat, en juin 1989, est mené par un colonel, Omar El-Bachir. Auparavant, il était chargé des opérations militaires contre l'Armée populaire de libération du Soudan, dans le sud du pays. La région du Darfour n'est pas épargnée non plus. La Cour pénale internationale (CPI) lance un premier mandat d'arrêt international contre le président soudanais en 2009. Plus d'un million de morts plus tard, Omar El-Bachir, sous pression internationale, accepte le référendum qui donne au Sud-Soudan l'accès à l'indépendance, mais il impose le retour à une unification du Darfour. Seulement, le Sud-Soudan renferme les trois quarts des réserves pétrolières, mais enclavé, il dépend du pipeline qui aboutit au Port-Soudan, sur la mer Rouge. Le Soudan est isolé mais il tente de se remettre sur la scène internationale, en participant, en 2015, même modestement, à la peu glorieuse coalition militaire menée par l'Arabie Saoudite contre le Yémen. Avec quatre avions de combat seulement, le Soudan espère d'énormes retombées financières nécessaires à son économie engluée. Omar El-Bachir rompt ses relations avec l'Iran dans la foulée. En vain, l'aviation soudanaise regagne définitivement ses bases. Baisse des recettes pétrolières, mauvaise gouvernance, embargo américain (le Soudan est mis sur la liste américaine des Etats soutenant le terrorisme) et corruption conduisent le Soudan vers un drastique plan d'ajustement structurel. L'inflation atteint officiellement 70%. L'une des conséquences est le doublement du prix du pain. Le peuple soudanais connaît son «printemps» en avril 2019 avec le renversement d'Omar El-Bachir. Suite à ce soulèvement populaire, le pays est dirigé depuis le mois d'août dernier par le Conseil souverain soudanais qui renferme onze membres, cinq militaires et six civils. A sa tête, le général Abdel Fattah El-Burhan, qui avait fait ses premières «humanités» au Darfour. Officiellement, ce Conseil n'a pas de pouvoir réel sur l'Exécutif. Sur le papier, l'homme fort du régime est Abdallah Hamdok, Premier ministre et financier de formation. Pourtant, c'est par voie de presse que ce dernier apprend la rencontre entre le général, président du Conseil souverain et le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou. Alors que le Premier ministre avait réservé son premier déplacement à l'étranger pour la France. Reçu par Emmanuel Macron, Abdallah Hamdok quitte Paris avec une promesse d'aide financière de 60 millions d'euros. L'essentiel se passe ailleurs et n'est pas de son ressort. C'est le premier des militaires, le général Abdel Fattah El-Burhan, qui est invité à Washington. La normalisation des relations avec Israël est une condition du sauvetage économique du Soudan, les manœuvres secrètes de rapprochement entre Khartoum et Tel-Aviv sont anciennes par le biais des militaires. L'autre est la levée des sanctions américaines. Donald Trump y est favorable. Pour lui, un rapprochement soudano-israélien représente un point d'ancrage de son plan pour le Proche-Orient. Un autre membre de la Ligue arabe et de l'Union africaine, surtout un ancien allié du Hamas palestinien, est une très belle prise. Derechef, dans les milieux chrétiens évangéliques américains, le Soudan est considéré comme un point d'appui non négligeable dans la région, pour endiguer l'islamisme. Pour Trump, le Soudan est quasiment un enjeu de politique intérieure. En plus, le général Abdel Fattah El-Burhan promet de livrer Omar El-Bachir à la CPI. La corbeille soudanaise est belle, trop belle. N. B. E.-M.