Qui aurait pu le penser ? L'Algérie plongée dans une longue léthargie, après tant de malheurs endurés jusqu'à voir son peuple s'entretuer pour renvoyer une horrible image au monde faite de massacres, d'attentats, et d'actes les plus ignobles. Puis, cette Algérie, comme chloroformée par près d'une vingtaine d'années de pouvoir d'un homme qui s'est révélé revanchard sur le temps et les hommes qui lui ont barré la route de la consécration à la fin des années soixante-dix. Cette même Algérie qui se soulève d'une manière comme le monde n'en a jamais vue pour crier son mal-être, sa révolte que n'a fait qu'exacerber cette trouvaille unique en son genre ; ce cadre, ce portrait exhibé comme l'ultime insulte de cet inénarrable pouvoir à l'endroit d'un peuple qui, il y a une année exactement, a pris son courage à deux mains pour se réapproprier son pays et ses institutions. Chronologie. Il s'en est passé des choses en ce début d'année 2019. Si la convocation du corps électoral, annoncée le 18 janvier 2019, pour la présidentielle d'avril de la même année a été accueillie comme un non-événement, il n'en a pas été de même pour ce qui allait constituer un des éléments déclencheurs de la colère : le show de la Coupole, le 10 février, lorsque ceux qui faisaient le pouvoir en Algérie annonçaient la candidature de Bouteflika pour un 5e mandat, l'homme que le commun des Algériens ne pouvait imaginer diriger le pays dans un état de santé aussi déplorable qui l'avait d'ailleurs contraint à abandonner de fait ses prérogatives bien avant l'expiration de son 4e mandat. Un spectacle qui mit à nouvelle rude épreuve la fierté qu'il leur restait aux Algériens, usés et ne croyant plus en des lendemains en adéquation avec les espoirs nourris depuis des années mais auxquels ne succédait que désenchantement, jusqu'à ce que parvienne de la ville de la cote béjaouie, Kherrata, une semaine après le show de la Coupole, la nouvelle faisant état d'une manifestation populaire contre le 5e mandat promis à Bouteflika. De la place Audin, Kherrata, Khenchela et partout, monte le vent de la colère En fait, les manifestations de rue contre la suite du règne de Bouteflika avaient commencé bien plus tôt, en janvier, avec les rassemblements réprimés au centre d'Alger, à la place Audin notamment, lorsque quelques dizaines de citoyens regroupés au sein du mouvement Mouwatana étaient chassés manu militari des places de la capitale. Mais, le ton de la colère s'est mis à vraiment monter à partir du 16 février de Kherrata pour, ensuite, connaître ce qui donnera lieu au Hirak le vendredi d'après, grâce au bon vieux bouche-à-oreille et cette nouvelle arme que sont les réseaux sociaux. Des centaines de personnes de tous âges sont sorties dans les rues de la ville de Kherrata pour ce qui sera donc la première grande manifestation de protestation contre le 5ème mandat après des tentatives avortées dans quelques villes du pays dont Alger. Le lendemain, le 17 février 2019, quelques dizaines de membres de la communauté algérienne en France se sont donné rendez-vous à la place de la République à Paris alors qu'à Alger, Khenchela, Bordj-Bou-Arréridj et d'autres villes du pays, la fièvre du rejet du 5ème mandat gagne des pans entiers de la population, et les stades de football n'étaient pas en reste. Le relais sera pris alors par les usagers des réseaux sociaux, Facebook plus particulièrement, pour lancer des appels à des marches populaires devant avoir lieu à travers toutes les villes du pays, le 22 février après la prière du vendredi, pour exiger que Bouteflika ne se présente pas pour un nouveau mandat. Beaucoup se disent sceptiques sur cette action en raison du jour et du moment choisis pour la manifestation. La main pas innocente des islamistes, supposent beaucoup de voix sur les mêmes réseaux sociaux et à travers la presse. Les autorités du pays, par la voix du ministre de l'Intérieur du moment, Nouredine Bedoui, deux jours avant le 22 février à partir de Djelfa, montaient elles aussi sur leurs grands chevaux et avertissaient contre les manifestations de rue, mais cela n'y faisait rien et comme convenu, quand vinrent le jour et l'heure dites, des milliers d'Algériens se retrouvaient dans les artères de nombreuses villes, entonnant des slogans qui deviendront vite culte. Et surtout, contrairement à ce qui était soupçonné et même craint durant toute la semaine d'avant, les activistes islamistes, auteurs soupçonnés de l'appel, étaient noyés au milieu des Algériens de tous bords. Partout, c'est le même tableau qui régnait ; des foules mixtes, bigarrées, entonnant des slogans nouveaux et empruntant d'autres d'une certaine époque sous le regard de policiers, certes rameutés en grand nombre, mais le bâton rangé, sauf en certains endroits dits sensibles de la capitale, à l'instar des quartiers riverains de la présidence de la République où ont été tirées des grenades lacrymogènes. En mars, la révolution a fleuri La révolution pouvait commencer. Deux jours après l'acte fondateur du mouvement populaire, là également sans que l'on sache vraiment comment cela avait pu se produire, les étudiants de nombreuses universités du pays se sont donné le mot pour investir les rues des grandes villes. Ils sont des milliers un peu partout à rejeter le 5e mandat de Bouteflika et le système qu'il incarne. Des avocats de plusieurs barreaux du pays se rassemblent ou marchent chacun dans sa wilaya pour grossir les rangs des citoyens anti-5e mandat, alors que les acquis à la cause de Bouteflika et son clan ont, comme par enchantement, disparu de la scène qu'ils occupaient jusqu'à ce fameux show de la Coupole, trois semaines plus tôt. Ce sont d'incroyables déversements de flots humains sur les villes du pays qui marqueront désormais tous les vendredis à partir du 1er mars 2019. Des marées humaines de l'avis même de la presse internationale pourtant très pointilleuse sur l'ordre de grandeur des manifestations. La capitale voit ainsi une foule que les anciens disent n'avoir pas vue dans d'aussi incroyables proportions depuis l'indépendance. Des images qui font le tour du monde, étayées par des commentaires soulignant le caractère pacifique des manifestants et leur opposition résolue à Bouteflika et son régime. En ce début mars, les habituels hauts lieux de la contestation en Algérie, les universités, sont en ébullition alors que tout le monde a les yeux rivés sur le Conseil constitutionnel pour avoir le fin de l'histoire : Bouteflika sera-t-il ou non candidat à sa propre succession ? La réponse au dépôt de sa candidature par son directeur de campagne, Abdelghani Zaâlane, qui avait remplacé au pied levé Sellal, viendra encore une fois de la rue avec des manifestations nocturnes jusqu'à des heures avancées dans de nombreuses villes du pays, notamment des étudiants remettant l'habit des protestataires contre le 5e mandat et pour l'avènement de la IIème République avec des rassemblements et des marches à travers tout le pays pratiquement. La révolution du sourire, la plus silmiya que le monde ait eu à connaître, était définitivement en marche et les puissances de ce monde ne pouvaient pas ne pas avoir un avis, à l'instar des Etats-Unis qui annonçaient «soutenir le peuple algérien et son droit à manifester pacifiquement» et l'Union européenne qui a appelé au «respect de la liberté d'expression et de réunion». Des jours tumultueux comme personne ne pouvait penser les Algériens capables d'en réserver à leurs gouvernants. Conjoncture qui contraindra Bouteflika à rentrer de Suisse, le 10 mars, où il s'était rendu pendant deux semaines pour ses habituels contrôles médicaux, et dans la foulée recevoir pas plus tard que le lendemain la démission de son Premier ministre Ahmed Ouyahia, cet autre personnage dont le Mouvement populaire voulait la peau et de son gouvernement. Le tout agrémenté d'une proposition à travers laquelle il décide d'annoncer le report de la présidentielle à laquelle il ne participera pas et la tenue d'une conférence nationale «inclusive». Décision, autant que la nomination de Nouredine Bedoui à la tête du gouvernement, qui sera accueillie par une grande confusion avant que les Algériens retrouvent leurs esprits pour exiger «Yetnahaw gaâ (qu'ils partent tous)». Une tournure des événements qui semblait presque intégralement échapper à Bouteflika et son clan et au sortir d'une nouvelle journée de manifestations grandioses des étudiants de tout le pays, le 26 mars, pour la première fois est évoquée l'activation de l'article 102 de la Constitution, donc la démission du président de la République. Remontés comme jamais, les Algériens répondent à ces développements par de nouvelles marches toujours aussi pacifiques et d'un genre qui épate le monde entier, le vendredi 29 mars, qui rassembleront plusieurs millions de personnes à travers l'ensemble pratiquement des villes du pays. Et comme pour clore ce mois de mars d'une tourmente extrême, les Algériens apprennent l'arrestation de cet autre personnage qu'ils adorent haïr, Ali Haddad, le patron des patrons et membre de la caste qui décide de la pluie et du beau temps depuis des années en Algérie. Puis, vint avril et la démission contrainte de Bouteflika … Le Hirak, désormais dénomination du mouvement populaire, et pas plus tard qu'au tout début du mois d'avril, obtient ce qu'il voulait lorsqu'il s'était rebellé : la démission de Bouteflika. Le bras de fer qui l'a opposé à l'ANP et à son chef d'état-major n'a pas fait long feu. Plus, le patron de l'armée a balisé le chemin en ouvrant le feu sur ce qu'il nommait la «Issaba». La nouvelle donne commandera à l'Assemblée nationale, après quelques tergiversations, à suivre les recommandations de la première loi du pays pour introniser Abdelkader Bensalah en qualité de chef de l'Etat intérimaire, et à celui-ci d'annoncer dans la foulée, selon les termes de la Constitution, la tenue d'une élection présidentielle le 4 juillet. Ce qui n'était pas pour satisfaire la rue qui s'en ira encore battre le pavé de façon déterminée tous les vendredis et en milieu de semaine pour exiger le départ du nouveau locataire d'El-Mouradia et du système. De nouvelles manifestations qui seront marquées, au fur et à mesure, par d'innombrables arrestations, notamment pour port de l'emblème amazigh pour le commun des manifestants et pour d'autres raisons telle «atteinte au moral de l'armée» pour les auteurs parmi les têtes connues du mouvement populaire. Des dizaines de hirakistes seront ainsi arrêtés et passés devant les tribunaux. Une cassure est, dès lors, apparue entre les «fidèles» au Hirak et les acquis au discours intransigeant de l'armée que personnifiait Gaïd Salah. Un mois d'avril qui verra d'autres têtes tomber, dont celle de Tayeb Belaïz, le président du Conseil constitutionnel, ainsi que des patrons de premier plan, à l'instar des Kouninef qui, comme d'autres, feront les frais de l'ouverture des grands dossiers de corruption. Les mois qui suivront seront tout autant fertiles en arrestations de manifestants d'une part, et de pontes du régime, de l'autre. Au fil des semaines, il devenait évident que le mouvement populaire allait avoir gain de cause pour la seconde fois, après avoir arraché la démission de Bouteflika. En effet, il devenait clair que l'élection présidentielle projetée ne pouvait avoir lieu. Alors, c'est ce qu'il advint et en conséquence, Bensalah était de fait prolongé en tant que premier magistrat du pays par intérim. La suite sera faite d'un infini quiproquo entre le pouvoir qu'incarnait le chef d'état-major de l'armée, d'un côté, et le Hirak, de l'autre. Un quiproquo qui n'a pas empêché les «garants de la Constitution» d'aller jusqu'au bout de la solution qu'ils ont voulue : l'élection d'un nouveau président de la République. Celui-ci sera connu le 12 décembre sans que cela permette que l'atmosphère au-dessus du ciel d'Algérie s'adoucisse complètement. Le nouveau Président, Abdelmadjid Tebboune, s'en ira alors tenter de recoller les morceaux dans un pays qui, au fil des mois, des semaines, des jours, retient son souffle, le Hirak regagnant de sa vigueur après un été et un automne marqués par l'intronisation auxquels le pouvoir s'est accommodé tant bien que mal. Puis, vint le décès du chef d'état-major de l'armée, une dizaine de jours après l'investiture de Tebboune qui, immédiatement, promettait qu'il allait tendre sa main au Hirak. Depuis, la rue a regagné en vigueur et l'exigence du départ du système a toujours cours. Azedine Maktour