Par Naoufel Brahimi El Mili «Le FLN au musée», pas une semaine ne passe sans entendre cette phrase prononcée par de nombreux Algériens. Aussi bien le Hirak que de nombreuses personnalités politiques souhaitent tourner définitivement la page du glorieux parti de la Révolution algérienne. Pas moins que sa dissolution est demandée voire exigée comme préalable à une profonde recomposition du paysage politique. L'idée peut être séduisante si on ne précise pas de quel FLN on parle. Dès l'indépendance, le principe d'un parti unique est contesté par certains de ses fondateurs. Et non des moindres. A l'issue de la crise de l'été 1962, Mohamed Boudiaf avait créé son parti : le Parti de la révolution socialiste, PRS. Il est très vite suivi par une autre grande figure du 1er Novembre, Hocine Aït Ahmed qui fonde le Front des forces socialistes. Hormis le rejet du principe du parti unique, ces deux hommes historiques ne se reconnaissaient plus dans leur FLN originel, peu de temps après la signature des accords d'Evian. Houari Boumediène, avec une rigoureuse feuille de route socialiste et des objectifs bien précis, refusait catégoriquement le multipartisme. Les liquidations et neutralisations des opposants, pourtant ses anciens compagnons d'armes, confirment le verrouillage absolu du champ politique algérien. Durant ces années-là, le FLN n'était que le parti du pouvoir. A la mort de l'homme du 19 Juin, devant l'immense hommage populaire rendu au chef de l'Etat défunt, Mohamed Boudiaf met fin à l'activité de son parti. Formellement, le PRS n'est pas dissous car il fallait une assemblée générale que Boudiaf ne voulait pas convoquer. Ainsi, un vrai parti disparaît du paysage politique algérien. Chadli Bendjedid, candidat unique du FLN, est désigné à la tête de l'Etat. De fait, il fait remplacer le Conseil de la révolution par le bureau politique du FLN, instance suprême, nous avait-on dit. Dans la foulée, le fameux article 120 est adopté par le congrès du FLN. Il est stipulé : «Le parti du Front de libération nationale joue un rôle d'impulsion, d'orientation et de contrôle vis-à-vis des organisations de masse, sans se substituer à elles ou affaiblir leurs capacités d'initiative. Ne peut assumer des responsabilités au sein des organisations de masse que celui qui est militant structuré au sein du parti. Le comité central arrêtera les étapes d'application de ce dernier principe.» Par une lecture extensive de cet article, même tout haut responsable doit être adhérent du parti. Une chape de plomb s'abat sur le pays. Plus d'espace pour une société civile. La parole publique n'est accordée qu'aux encartés. En façade, le parti unique est au pouvoir. Une nouvelle charte nationale plus tard, le siège du FLN émigre au Palais du gouvernement. Cette bâtisse impressionnante se veut être le vaisseau amiral de l'Algérie. Le parti est aux commandes du pays. La réalité est plus nuancée. Les hauts responsables militaires dominent encore et toujours la politique de pays mais puisqu'ils sont membres du FLN, l'illusion du parti au pouvoir est bien entretenue. Octobre 1988, quelques centaines de morts plus tard, Chadli se résigne au multipartisme. Sont créés plusieurs dizaines de partis uniques, hormis quelques exceptions et non des moindres : le Front islamique du salut (FIS). Dans la confusion et sous la menace intégriste, sous la direction de M. Abdelhamid Mehri, le FLN s'érige en véritable parti d'opposition prônant une solution politique comme sortie de crise mais elle est rejetée par les militaires et sans appel. M. Mehri est victime d'un coup «d'Etat scientifique», il est débarqué. Le FLN est mort car il revient irréversiblement dans le giron du pouvoir. Mais ce n'est pas suffisant. Un avatar de l'ex-parti unique est fondé : le Rassemblement national démocratique, RND. Une grande partie des adhérents du FLN est transvasée dans le nouveau parti de la pensée unique. Comme des frères siamois, le FLN et le RND soutiennent, avec d'autres, la désignation de Bouteflika à la tête du pays en 1999. Sont autorisés, au fil des années, de nouveaux partis alibis, TAJ, MPA, etc. Suite à la révolution du 22 février, certains des chefs successifs du FLN et d'autres partis sont «harrachisés». Cela fait tache surtout pour le parti du 1er Novembre. Abdelmadjid Tebboune, candidat sans étiquette, accède à la présidence du pays. L'occasion, pensent certains, de reléguer le FLN au musée et de dissoudre son frère siamois. Ce n'est pas aussi simple. Ces deux partis détiennent la majorité absolue à l'Assemblée nationale, institution fortement contestée mais elle est encore utile pour quelques mois. En effet, il est prévu que l'APN débatte du projet de la nouvelle Constitution. Il est à penser que le pouvoir qui vient d'éviter l'effondrement de l'Etat, hiérarchise ses cibles. Il ne veut pas ouvrir trop de fronts à la fois. En toute évidence, le FLN et le RND s'accrochent à leurs privilèges. Par la voix de son secrétaire général par intérim, Azzedine Mihoubi, parle de refonte profonde du RND lors de son prochain congrès. Personne n'y croit mais l'enjeu est la prochaine campagne des législatives, une fois l'APN dissoute. Imaginons un Hirak qui reste sans leaders et représentants, un RCD qui refuse la participation à ces élections et un FFS qui fait de même. Si tel est le cas, le résultat est prévisible, la nouvelle Assemblée sera submergée par les deux partis siamois et agrémentée par le MSP, ou bien l'inverse. Cela ne change pas grand-chose. La politique de la chaise vide donnera une nouvelle vie (de trop ?) aux partis décriés. En l'absence d'opposition représentative dans ce scrutin-là, le FLN sera comme le sphinx, il renaîtra de ses cendres. Peut-être le FIS aussi mais sous une autre forme. N'oublions pas que les islamistes sont à l'affût. La photo d'un Ali Benhadj, chez lui, entouré par des figures du Hirak doit interpeller car elle n'est pas anodine. Prendre un café entre «potes» a des objectifs bien qu'imprécis, ils restent alarmants. Même si le taux de participation à ces prochaines élections reste faible, une nouvelle Assemblée nationale sera installée pour cinq longues années. Elle se partagera le pouvoir avec la présidence. Le Hirak, en se tenant éventuellement, à l'écart de ce scrutin, se prive de la fabrique du député nouveau, socle d'une démocratie potentielle. Ses millions de bulletins de vote seront fatals pour le FLN et confères. L'opposition restera dans la rue avec sa carte d'électeur délaissée au fond d'un tiroir, diriez-vous. La police aussi. Le bras de fer se prolongera et dont l'issue est incertaine mais la principale victime est d'ores et déjà connue : l'économie. Sans oublier la nécessaire construction démocratique. La carte d'électeur du Hirak, si utilisée, fera disparaître du paysage politique, les partis intimement liés aux «vingt honteuses». N. B. E. M.