Malgré le faste et la solennité avec lesquels furent accompagnées les funérailles des premiers résistants à l'occupation de l'Algérie par la France, rien n'indique cependant que la question mémorielle soit en bonne voie pour être réglée à court terme. Certes, de l'avis même du chef de l'Etat, le fait d'extraire les restes des héros de l'ossuaire français et de les inhumer en terre natale signifie, tout au moins, que ce geste politique est déjà une « demi-excuse ». Sans trop insister sur l'insuffisance de ce mea-culpa, le Président de la République a, par contre, préféré rappeler que le rapport positif que locataire de l'Elysée s'efforce d'entretenir avec l'Algérie est réel ; et qu'il en apprécie chez lui sa « sincérité » quant à la possibilité de régler la question mémorielle afin d'ouvrir une nouvelle page entre les deux pays. Le style diplomatique étant de mise des deux côtés, ni Tebboune, ni Macron ne peuvent donc présumer comment le passif colonial doit être liquidé sans que surgissent les doutes et les frustrations, notamment du côté de la victime. En d'autres termes, comment, 58 années après l'effondrement de son empire, la France doit-elle commencer par réécrire seule sa propre histoire en jetant un regard « lavé » de toute subjectivité, avant de promettre une quelconque repentance aux peuples victimes des asservissements qu'elle avait exercés ? Car, si pour l'instant, rien n'indique que l'opinion française est majoritairement préparée à reconnaitre que la vieille philosophie coloniale ne fut qu'une longue succession d'assassinats de masse et de rabaissement des peuples ; l'on ne voit pas alors comment les changements de pouvoir pourraient suffire pour retoquer officiellement les présupposés de l'histoire laissée en héritage ? Autant admettre que la France est psychologiquement enchainée à son mythe impérial et surtout à son arrogance civilisationnelle qui l'a toujours convaincue qu'elle était la seule accoucheuse des critères qui fondent un Etat de droit. Pourtant, d'autres nations et non des moindres étaient parvenues à se soumettre au fameux examen de leur passé puis en avaient tiré les leçons les plus dures sans que cela ait pu affecter leur grandeur actuelle. Au contraire, la célèbre « Marianne » préfère encore la posture de donneuse de leçons lorsqu'elle s'adresse à la communauté d'ex-colonisés. Ce fut le cas du fameux discours de Dakar en 2007 quand l'ex-président Sarkozy eut recours aux oraisons paternalistes et tutélaires au détriment du respect dû aux valeurs spécifiques de l'Afrique. C'est, semble-t-il, à partir des reliquats d'une décolonisation inachevée que bute à ce jour la mémoire historique. En effet, pour faire bonne figure auprès de leur opinion, les dirigeants des deux bords continuèrent à exhiber les jokers des douloureux affrontements faisant d'eux des challengers rusés qui contribuèrent à annuler toute possibilité de se mettre à table. Une diversion cyclique et presque concertée que ces « ennemis complémentaires » en firent un égal traitement destiné à leur fonds de commerce politique. C'est pourquoi l'utopique « pacte d'amitié algéro-français » sera littéralement torpillé en 2003 après le lamentable bide de « l'année de l'Algérie en France » qui, à elle seule, illustra l'immense fossé séparant le totem gaulois de l'Elysée et les réseaux islamistes que Bouteflika lui-même dopa stupidement au moment où lui-même faisait la promotion d'Enrico Macias dont il espérait en faire le « médiateur-chantant ». Un immense gâchis à cause de la mégalomanie galopante du résident d'El-Mouradia qui se croyait en mesure de jouer sur deux registres. L'un en offrant l'amnistie aux terroristes après son appel à ceux « de la Montagne » et dans le même temps (juin 2000) se rendre à Paris et se faire inviter au palais Bourbon pour prendre à témoin les parlementaires français en déclarant qu'au nom des Algériens, il n'y aura plus désormais de « querelles mémorielles » ! C'était donc sur cette question cardinale qu'à ce jour toute approche cafouille toutes les fois où il fallait prendre langue avec la France. Le refus de cette dernière de prendre de la hauteur avec le passé a fini par oblitérer toutes les voies possibles vers la plus sincère des ententes en dépit du temps écoulé depuis 1962. En l'an 2000, l'on pensait, qu'après les cyniques aveux du général Aussaresses qui guillotina sans procès Larbi Ben M'Hidi, la France officielle allait enfin se délester de son lourd fardeau de dénégations en reconnaissant sa responsabilité et, dans le même temps, recourir aux mea-culpa pour accéder à l'estime des survivants de ce martyre ayant persisté plus d'un siècle. Etonnamment, il n'en fut rien malgré les concessions de ce côté-ci. L'on céda d'abord sur la formule de la « repentance » puis l'on estima que même le recours aux « excuses » pourrait affecter l'amour-propre de cette nation. Bref, l'on évacua la moindre proposition allant dans ce sens. En vain, l'Algérie officielle cessa d'avoir de l'ambition pour sa patrie. Un renoncement d'abord politique qui tourna en une humiliante indifférence chaque fois que les crimes de la colonisation étaient évoqués avec Paris. Depuis au moins 10 années, les dirigeants aussi bien que les organismes internationaux n'ont osé imaginé qu'il était possible de sensibiliser la galaxie des ex-colonisés pour constituer un lobby afin que la colonisation sous toutes ses formes devienne une source de procédure pour instruire des procès. Une copie du Nuremberg pour peuples humiliés. Tout au plus l'holocauste algérien, fut-il utilisé comme une riposte politicienne toutes les fois où la France s'autorisait à donner son avis sur les événements domestiques. Cela était d'autant plus désolant que, par une sorte d'amnésie ou d'incompétence, l'on ne sut à aucun moment préserver et restaurer les lieux de l'horreur coloniale qui ne sont rien d'autres que nos panthéons de la mémoire. Nos Treblinka, Auschwitz et Birkenau ont en effet leur pareil en Algérie. Ils ont pour noms Villa Sesini, le centre d'Ameziane ou encore les camps de Bossuet et El-Djorf. La totalité de ces lieux-dits de l'« effacement » humain témoigne de la torture, de la corvée de bois, des crimes sans procès et des liquidations collectives. Or, pas une de ces « géhennes » de souvenir n'a survécu à l'amnésie collective. Une disparition des traces du grand malheur national qui parvint à jeter le doute sur la réalité d'antan. C'est pourquoi l'Algérie en était encore à ratiociner sur sa page noire il y a quelques jours à peine, quand les 24 « âmes » sans sépultures atterrirent sur la terre natale pour « clamer urbi et orbi » que la France était une nation criminelle. Un témoignage cardinal qui exige désormais réparation sans contrepartie politique de la part de leur descendance. B. H.