Lu dans Paris Match : «En quelques minutes, Rada Akbar, photographe, doit abandonner sa vie de famille.» «Je faisais pourtant confiance à nos alliés occidentaux» ! Comme elle, ils sont nombreux en Afghanistan à avoir cru aux promesses occidentales avant d'être abandonnés en rase campagne. En Algérie, nous avons connu une situation diamétralement opposée à celle de l'Afghanistan. En 1992, l'Occident déplorait l'arrêt du processus électoral avant d'accueillir les islamistes fuyant la répression parmi lesquels Anouar Haddam, Dhina, Boudjemaâ Bounoua, Rabah Kebir, et autre Kamreddine Kherbane, qui ont trouvé refuge qui aux états-Unis qui à Londres, Bonn (Allemagne), Genève, Paris dans un premier temps, Bruxelles et même Stockholm... En ces années 90 où l'Algérie cristallisait les espoirs de la mouvance islamiste mondiale, il ne faisait aucun doute dans l'esprit des capitales occidentales et de la plupart de leurs médias que c'étaient les militaires qui tuaient. Ces médias leur ouvraient leurs pages et leurs plateaux télé. Victimisés, les islamistes algériens étaient même autorisés à éditer et diffuser leurs propres organes comme Etebcira (en arabe), The Enlightenment (en anglais et en arabe), El Djebha (en arabe), Le Critère (en français), El Ansar (arabe et anglais)... À Londres, plaque tournante de l'islamisme transnational, les cassettes vidéo relatant les exploits des «moudjahidine» algériens se vendaient librement. Interrogé par le Nouvel Obs s'il ne regrettait pas d'avoir soutenu les islamistes afghans durant les années 80 pour contenir la «menace communiste», Zbigniew Brzeziński, ex-conseiller de la Sécurité nationale du Président Carter puis de Barack Obama, avait répondu : «Qu'est-ce qui est le plus important au regard de l'histoire du monde ? Les talibans ou la chute de l'empire soviétique ? Quelques excités islamistes ou la libération de l'Europe centrale et la fin de la Guerre froide ?»(1) Aussi, rien de surprenant en ce temps-là, dans un contexte de violence inouïe et d'isolement de l'Algérie à l'international, à ce que sur fond d'appels à l'ingérence étrangère pour faire cesser les massacres attribués naturellement à l'armée, Alger ait vu se succéder en 1998 trois missions d'enquête – la fameuse «troïka» au nom de l'Union européenne, la mission d'enquête du Parlement européen et la mission de l'ONU conduite par Mario Suarez... En effet, à l'époque, les ambassades avaient délocalisé leurs services consulaires à Tunis, aucune compagnie aérienne ne desservait l'Algérie, l'aéroport de Paris était interdit aux avions d'Air Algérie, les centres culturels et d'enseignement avaient fermé et leurs personnels étaient rapatriés... Isolée à l'international, y compris au sein du monde arabe dont certains états membres soutenaient l'ex-FIS, l'Algérie ne comptait que sur elle-même et sur une partie des forces démocrates et de la société civile – RCD, MDS, PST, les syndicalistes, les femmes, des intellectuels et des artistes, le mouvement des patriotes et la presse, notamment Le Matin, El Watan, Le Soir, Liberté, El Khabar... — pour faire face aux groupes islamistes armés qui étaient aux portes d'Alger. Washington, qui pressait les militaires de partager le pouvoir avec les islamistes, ne prévoyait-elle pas la chute du pouvoir au plus tard à fin 1994 voire début 1995 ? Le fait est que sans ces forces et acteurs de la société civile et politique, aujourd'hui dans le collimateur des autorités, le pouvoir de l'époque au sein duquel se déroulait une sourde lutte de clans ne s'en serait jamais sorti. Quant à nos islamistes dit modérés qui, en ces années 90, dénonçaient «la violence d'où qu'elle vienne», histoire de ménager le GIA et l'AIS et leurs parrains au cas où ces derniers accéderaient au pouvoir, il n'est pas étonnant de les voir aujourd'hui applaudir bruyamment la «victoire des talibans» ! Plus encore, sur divers sujets, crise tunisienne, rupture des relations diplomatiques avec Rabat, la question de tamazight langue nationale et officielle, ils ne sont pas sur la même ligne que le pouvoir politique. Je vous laisse imaginer ce qu'auraient encouru les courants démocrates et progressistes s'ils avaient critiqué la rupture avec le Maroc. Une rupture qu'il va falloir gérer au niveau africain et arabe car la partie est loin d'être gagnée. Un dernier mot sur cette histoire de l'enseignement facultatif de tamazigh : bien que le ministère de l'éducation ait revu sa copie, le moins que l'on puisse dire après ce qui s'est passé en Kabylie, c'est que quelque part, il y a des gens qui jouent consciemment ou non avec le feu, alors que l'incendie est loin d'être éteint. Et pourtant, c'est à ces mêmes courants islamistes opposés à tamazight, qui ne pèsent plus politiquement comme l'ont montré le référendum du 1er novembre 2020 et les élections législatives du 12 juin dernier, qu'a été confiée la commission sur l'éducation de l'APN ! À jeudi. H. Z. (1) Le Nouvel Obs du 14-21 janvier 1998.