Entretien réalisé par Azedine Maktour Le temps presse, les signaux sont au rouge. Au rouge vif pour certains grands agrégats économiques, même si, pour le commun des Algériens, le pouvoir d'achat et l'inflation sont en train de s'imposer comme les sujets majeurs, malheureusement sans réaliser que tout est lié, de la consommation à l'investissement en passant par le pouvoir d'achat. Si la dégradation de la situation a commencé vers la fin 2014, avec la crise des prix des hydrocarbures qui a laminé plus de la moitié des revenus sur lesquels repose l'économie du pays, la crise sanitaire est venue en 2020 enfoncer le clou avec comme effets, entre autres, une poussée inflationniste induite par plusieurs facteurs qui est venue saper le moral des Algériens qui, désormais, attendent des solutions de la part des gouvernants. Des solutions empilées dans le programme de travail dévoilé la semaine dernière par le chef du gouvernement. De la situation qui prévaut et de quelques-unes des solutions préconisées, l'expert financier Souhil Meddah a volontiers accepté d'apporter son éclairage dans l'entretien qui suit. Le Soir d'Algérie : L'actualité, c'est la réforme annoncée du système bancaire et financier. Que préconise l'expert que vous êtes pour entamer cet immense chantier ? Souhil Meddah : Avant tout, les réformes bancaires ne se limitent pas aux questions relatives aux facilitations quotidiennes des prestations et services, car celles-ci sont considérablement réévaluées avec les temps et affichent quand même des améliorations notables par rapport aux doléances et études menées depuis plusieurs années. Le fondement d'une problématique d'amélioration et d'adaptation du système financier vis-à-vis d'un écosystème donné, qui de facto sera destiné à servir une succession de modèles prévus, peut être tracé sur trois axes possibles. Le premier axe, qui concerne le système bancaire dans un milieu macroéconomique en phase de dynamisation. Il s'agit à ce titre de combiner entre l'appel des agrégats de la politique monétaire pour le compte du secteur marchand et de la répartition de ses instruments et valeurs sur l'ensemble des espaces d'investissement, d'exploitation, de service et de consommation. Cet axe est essentiel pour soutenir, organiser et réguler les activités économiques dans leurs aspects de mobilisation des ressources en crédit, de les recycler en investissement, en exploitation, en distribution et en redistribution des richesses. Le deuxième axe s'exprime dans le rôle du système bancaire comme un acteur majeur de compensation des valeurs pour le compte des agents économiques, qui expriment des demandes temporaires de financement. Il s'agit plus particulièrement de combler des déficits momentanément réguliers, pour des raisons d'insuffisance sur trésorerie pour les opérateurs économiques ou de flux des revenus pour les ménages et autres consommateurs. L'intervention du système bancaire dans cette compensation des déficits financiers permet de garantir une fluidité ordinaire entre agents économiques en évitant un ralentissement graduel ou brusque du rythme de l'activité économique. Le troisième axe se décline dans le fait que le système financier doit activement contribuer dans un aspect capitalistique diversifié, doté de plusieurs formes de capitalisation. L'accumulation des formules peut compter sur une dotation directe de l'épargne qui provient des revenus ou des autres aspects financiers expliqués plus haut. D'autre part, le système financier peut entreprendre des actions en engageant d'autres formes de capitalisation, comme le capital risque pour les investissements nouveaux en création ou en exploitation, le capital retournement pour soutenir les entités qui sont en difficulté financière et qui présentent des situations structurellement surendettées, le capital développement, pour les projets d'investissement qui ont besoin d'un soutien à l'exploitation ou à l'extension. Et enfin, du capital-transmission pour les entités ou opérateurs qui cherchent à reprendre d'autres projets d'investissement pour assurer leur redressement et leur pérennité. Dans la situation où nous sommes, marquée par la dégradation du pouvoir d'achat, quels instruments détiennent les pouvoirs publics pour, déjà, commencer à juguler les méfaits de cette inflation sur les agents économiques ? La hausse du niveau de l'inflation se mesure à partir de l'indice de variation des prix. Théoriquement, il est nourri à partir de l'effet des hausses de revenus suivi par les hausses des prix. Ce phénomène est aussi adossé aux effets ressentis lorsqu'il y a un mouvement brusque dans le niveau du flottement monétaire, sachant que durant le premier semestre 2021, la valeur du dinar a baissé par rapport aux autres monnaies étrangères. Ajoutez à cela, les effets du ralentissement des activités en 2020 à cause des confinements stricts de l'époque, se sont tardivement accumulés et de façon indirecte sur l'état des offres et des demandes enregistrées sur l'espace marchand de détail. L'ajustement des indices ne concerne pas uniquement l'aspect monétaire, même si de facto l'état du dinar est en partie responsable de cette variation, mais il implique aussi le fonctionnement du marché du détail, qui de façon décalée est en train de réagir aux effets de la hausse du SNMG, d'une part, et de l'ajustement du dinar, d'autre part. Ce qui nécessite une meilleure régulation du marché du détail, sachant qu'il ne détient aucun argument valable pour provoquer des hausses aussi disproportionnées par rapport aux causes annoncées. Comparée à ce qu'elle était au début de l'année, un peu plus de 681 milliards de dinars, la liquidité bancaire a presque doublé en atteignant les 1 296 milliards de dinars, selon l'état publié au 15 de ce mois. Comment expliquez-vous cette évolution ? La fin d'une phase aussi exceptionnelle peut provoquer des effets exceptionnels, soit en variations incontrôlées ou des vibrations aléatoires. Cette hausse du niveau de liquidité s'est manifestée entre le début de l'année qui affichait une situation précédente en pleine stagnation (exercice 2020) et le début du deuxième semestre 2021, sachant, entre autres, qu' hormis les quelques mesures partielles de confinement, cette période n'a fait face à aucune autre forme de restriction majeure. De ce fait, le niveau moyen de la liquidité ne sera constaté qu'à partir de la fin de 2021 ou début 2022. Comme le révèlent les derniers chiffres, le refinancement des entreprises publiques «ingurgite» des montants faramineux. Comment remédier à cette stratégie consistant quasiment à maintenir en vie artificiellement des entités, entreprises et banques, qui impactent aussi lourdement les finances publiques ? La résolution de cette problématique implique à la fois la politique budgétaire qui doit se retirer graduellement de l'esprit de soutien aux entreprises en difficulté et la politique monétaire, qui doit ajuster ses instruments et de façon générale pour faire face aux besoins de financement avec des coûts soutenables pour toutes les parties et une compétitivité réelle pour le compte de la sphère macroéconomique. Il est utile de sortir du dogme du soutien direct en stoppant les dotations aux entreprises publiques en les intégrant dans une phase économique compétitive basée sur un coût financier réduit et abordable. À ce titre, le taux rémunérateur doit être revu à la baisse, pour permettre aux entreprises en difficulté de faire face à leurs engagements financiers. Le recours aux autres modes de capitalisation, en capital retournement par exemple, peut donner un nouveau souffle aux entreprises en difficulté avec la possibilité de convertir leurs dettes en crédits à long terme. A. M.