Par Naoufel Brahimi El Mili Dans le calendrier républicain post-Révolution française, la période du 22 septembre au 21 octobre s'appelle «vendémiaire», en référence à la saison des vendanges. Nous y sommes. Le raisin récolté est prêt pour la maturation. Se préparent aussi de grandes opérations de marketing. Chaque année, la nouvelle cuvée du beaujolais est mise sur le marché le troisième jeudi de novembre, dans un cadre festif. La campagne présidentielle française de 2022 commence à s'inscrire dans un contexte sombre où s'expriment, déjà, les sentiments les moins louables. Jeudi 30 septembre 2021, au palais de l'Elysée, le maître des lieux pose une singulière question en présence d'un journaliste du Monde et de jeunes concernés par l'enjeu mémoriel : «Est-ce qu'il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ?» Poser la question de cette façon, c'est y répondre. Un Président ne devrait pas dire ça, pour reprendre le titre d'un livre qui avait stoppé la carrière présidentielle de François Hollande à cause de ses bavardages avec deux journalistes du Monde, grand quotidien du soir, au demeurant respectable et qui sert parfois de caisse de résonance aux humeurs du locataire de l'Elysée du moment. De son côté, mais plus direct, le polémiste et presque candidat Eric Zemmour ne cesse de dire, depuis des années, que l'Algérie est une création française. Et voilà que le candidat à sa propre succession fait la course derrière un plus que probable candidat. Or, un champion fait la course en tête dans son couloir, sans piétiner sur celui des autres concurrents. Faut-il rappeler que le candidat Macron, en février 2017, devant des caméras algériennes, avait déclaré que la colonisation est un crime contre l'Humanité ? Que s'est-il passé depuis ? Beaucoup de choses. Essentiellement en France, République où les sondages sont rois pour la classe politique. Un originaire d'Algérie est crédité de 15% d'intentions au vote. Eric Zemmour place sa marmotte, le négationnisme, dans le débat politique. Le président de la république lui emboîte le pas. Du jamais vu ! Un chef d'Etat négationniste et qui fait siennes certaines des thèses de l'extrême droite. L'extrême gauche n'est pas oubliée non plus, puisqu'il évoque un système militaro-politique, une expression en vogue chez les trotskistes durant la décennie noire et qui renvoie dos à dos le pouvoir et les islamistes. Stupeur ? Non, il nous avait avertis : «Je ne suis ni de gauche ni de droite.» Il fallait bien décrypter. Aussi, durant les mêmes échanges, le repas fini, autour d'un café, Emmanuel Macron précise que les cercles dirigeants seront touchés par la suppression des visas. Terme vague. De quels cercles dirigeants parle-t-il ? Ceux qui avaient invité le candidat Macron à déjeuner à l'hôtel El-Aurassi en février 2017 ? Une bonne partie de ses voisins de table, ce jour-là, est actuellement jugée et emprisonnée. Depuis, le défendeur du Monde nouveau semble ignorer qu'une Algérie nouvelle avait émergé. Les cercles dirigeants des affaires ne sont plus les mêmes et ils n'ont jamais figuré parmi les fréquentations d'Emmanuel Macron. Quant aux ministres, hauts responsables politiques et diplomates évidemment, ils détiennent un passeport diplomatique exonéré de visa depuis l'accord signé, à Alger, le 15 juillet 2007 et publié dans le Journal officiel de la République française le 25 août 2008 (décret numéro 2008-844). Autant d'imprécisions, voire d'oublis, mais qui éclairent une stratégie politicienne. L'agenda présidentiel électoral repose aussi sur la recherche de l'électorat perdu. Les séquences ne doivent rien au hasard. Au nom de la question mémorielle, le Président français demande pardon aux harkis dont les représentants sont reçus à l'Elysée. Eric Zemmour applaudit. Le sujet est essentiellement franco-français. Il faut souligner que sans la colonisation et une féroce guerre contre les Algériens, il n'y aurait pas eu de supplétifs indigènes de l'armée française. Peu de jours plus tard, le porte-parole du gouvernement annonce la réduction du nombre de visas de moitié. Pendant presque deux années, à cause de la pandémie, aucun visa n'a été délivré aux ressortissants maghrébins. Alors, calculons : zéro divisé par deux. Plus sérieusement, avant l'apparition du coronavirus, le nombre de visas octroyés aux Algériens ne dépassait pas les 70 000. En ce qui concerne la cause officielle de la colère des autorités françaises, c'est le refus de rapatriement des expulsés algériens par les autorités d'Alger qui doivent délivrer des laissez-passer par le biais du dispositif consulaire. La fermeture de l'espace aérien de notre pays est la principale raison de ce retard d'admission des expulsés sur notre territoire. L'an dernier, le ministre de l'Intérieur français s'est rendu à Alger porteur d'une liste prioritaire d'expulsés, elle a été prise en considération mais le deuxième confinement a stoppé net la procédure. Jusqu'au 1er octobre, le nombre de vols reliant la France à l'Algérie ne dépassait pas la demi-douzaine. La France avait mis les pays du Maghreb en zone rouge. Il en a résulté un moratoire. Soudain, les autorités françaises font l'annonce de la réduction des visas. Il est clair qu'il s'agit d'un faux prétexte. Alors pourquoi cette escalade voulue par l'Elysée ? La réponse se situe dans un des propos du Président Macron qui semble outré par la colonisation ottomane, antérieure à la française. Son animosité à l'égard du Président turc est connue mais l'interprétation de cette saillie mérite d'être contextualisée dans un environnement géopolitique régional. L'ennemi est Recep Tayyip Erdogan. Son allié tunisien, le parti islamiste majoritaire Ennahdha, est neutralisé par le gel des activités du Parlement tunisien jusqu'à nouvel ordre par une décision du Président tunisien. Est-ce vraiment un hasard ? S'agit-il de la seule décision du locataire du palais de Carthage ? Se pose aussi la question de savoir si la France ne souhaite pas une rupture diplomatique avec l'Algérie. Le but serait d'isoler Alger suite à la rupture avec Rabat, la forte connivence entre Paris est le Makhzen est trop connue pour être détaillée. Ensuite vient la situation au Mali. Le Premier ministre malien, du haut de la tribune de l'ONU, déclare que la France avait abandonné son pays en plein vol, en plus il envisage de se tourner vers Moscou, lui chef du gouvernement russophone. Très vite, il se fait «allumer», comme parlent les jeunes, par Emmanuel Macron. Trop c'est trop, déjà que la Russie est présente en Centrafrique, ancien pré-carré français. La France perd pied en Afrique en général et au Sahel en particulier, région qui constitue la profondeur géopolitique de l'Algérie. La mort du Président tchadien Idriss Déby est un revers pour la France dont le Président est accouru à N'Djamena pour adouber le fils du défunt, Mahamet Idriss Déby, autoproclamé successeur de son père. Dans l'opération Barkhane, les forces tchadiennes sont appréciées car elles ne font pas de prisonniers. Aujourd'hui, Mahamet Idriss Déby est contesté par des éléments de son état-major, mais, peu importe, il dispose du soutien de Paris. Ne vient-il pas de désigner «démocratiquement» un Parlement ? Dans ce contexte régional tumultueux et une présidentielle française atypique, une interrogation se pose : «Jusqu'où peut aller l'escalade de la crise entre Paris et Alger ?» Dans la capitale algérienne, des représailles commerciales sont sur la table. L'Algérie dispose d'un grand nombre de fournisseurs alors que les marchés français sont plus limités. Le revers subi par Paris sur le contrat des sous-marins pour l'Australie est masqué par un nouveau contrat de moindre envergure avec la marine grecque, trois sous-marins. La France a combien de Grèce sous la main ? Il faut aussi s'attendre à une riposte française sinon le président sortant sera exposé à de très vives attaques de l'opposition. Le péché originel de cette crise est le mélange entre la politique et l'Histoire. Quand Macron s'attaque à la rente mémorielle du pouvoir algérien, il vise surtout la légitimité révolutionnaire, socle des tenants de l'Algérie depuis plus de 50 ans. Du coup, il rejette d'un revers de main l'émergence d'une Algérie nouvelle apparue suite au Hirak béni. Et le Président Macron, dans sa prise de parole de jeudi dernier, parle évidemment du Hirak qui a «fatigué le système». A-t-il oublié qu'il avait soutenu un quatrième mandat bis, quand feu Bouteflika avait reporté les élections ? En effet, sachant bien que le report des élections était une décision anticonstitutionnelle, le Président français s'était limité à souhaiter que la durée de la période de transition soit «raisonnable». Le terme est vague, aucune date n'est mentionnée, juste une petite pression amicale, si ce n'est un vrai coup de main. Le départ de Bouteflika augure un nouveau monde où Emmanuel Macron perd pied. Comme en Afrique. Les 8 et 9 octobre 2021 s'ouvre le sommet Afrique-France. Seulement, cette fois-ci, aucun chef d'Etat n'est convié. Seuls la société civile et des représentants de la diaspora installés en France seront présents. À titre d'exemple, Montreuil est la deuxième ville malienne après Bamako. Un vivier électoral à drainer ? Attendons les résultats du second tour de la présidentielle. Oui, le Macron nouveau est arrivé et il veut faire trinquer les Algériens en malmenant leur propre histoire, non seulement pour renouveler son mandat présidentiel, mais pour tenter d'affaiblir une grande puissance régionale. Il peut réussir son premier pari, selon les sondages du moment, alors que le second est plus périlleux. N. B. E. M.