RESSAC. Il est des semaines où les questions de l'identité, des identités, vitales ou meurtrières, accessoires ou essentielles, bien ou mal tues, bien ou mal posées, te sautent à la figure comme un diable hors de sa boîte. Ce fut le cas ces derniers temps. Ou comment des tensions politiques et/ou diplomatiques prennent le fard de cette vieille dame à la fois multiple et unique qui se nomme identité. MARCHE. S'agit-il d'identité dans cette manifestation qui a réuni à Paris des dizaines de milliers d'Algériens en faveur de la Kabylie ? Certains iront sans doute manu militari au verdict de la rupture en accusant les marcheurs de glorifier « le séparatisme », peut-être même « le terrorisme ». Ils y verront évidemment « la main de l'étranger ». Ayant eu lieu en France, elle n'en est que plus suspecte. On y exhibe le drapeau berbère honni. Il y a même le drapeau du MAK. Pourtant, c'est plus complexe que cela. Et si la diaspora ne faisait que rallumer le flambeau du Hirak éteint en Algérie ? Même si on est incommodé par le fait que les indépendantistes aient comme d'habitude essayé d'imposer leur hégémonie, notamment visuelle ou plutôt communicationnelle en occupant l'espace et le temps sonore, cette marche à laquelle ont appelé une soixantaine d'associations algériennes, a été un moment de solidarité pacifique et lucide avec la Kabylie éprouvée et avec les prisonniers d'opinion. C'est un cri du cœur de la Kabylie algérienne que l'on veut, d'un côté comme de l'autre, isoler et meurtrir. JUGURTHA. C'est quoi l'identité de ce prince rebelle ? Elle n'est certainement pas arabo-musulmane. Parfois, on s'en souvient. Ramtane Lamamra, notre ministre des AE, a visité le Tullianum, la prison romaine où le prince numide Jugurtha - l'un des noms qui atteste de l'existence depuis deux bons millénaires d'un Etat sur le territoire de l'Algérie actuelle - a été emprisonné et a succombé aux sévices de ses geôliers romains. Jugurtha est ce personnage dont Jean Amrouche a fait le symbole de la pérennité de la résistance berbère. Qu'un officiel algérien du rang de ministre des AE ressuscite ce symbole, n'est pas un hasard. Si E. Macron n'avait pas attenté à la vérité historique de la Nation algérienne, nul doute que le ministre n'aurait pas jugé utile de revendiquer Jugurtha. Jadis un match de foot contre l'Egypte qui nous reprochait d'être des sauvages poussa l'élite algérienne à se lever comme un seul homme - ou presque - pour affirmer notre amazighité originelle. On aurait presque la nostalgie de ces tirades élégiaques qui convoquaient nos ancêtres numides pour montrer aux Egyptiens que nous avons de qui tenir. Aujourd'hui, c'est Macron qui sert d'aiguillon. Sans sa provocation, cette visite sur les traces de Jugurtha, qui sonne comme une revendication de nos racines, n'aurait probablement pas eu lieu. Ça s'appelle l'identité... réactive ! STORA. Benjamin Stora, auquel Macron avait commandé le fameux rapport sur la mémoire, répondait sur une chaîne télé au maire d'extrême droite de Béziers, natif d'Oran, Robert Ménard, qui déclarait : « Macron a raison, il n'y a pas de conscience algérienne avant 1830. » En s'adressant à Ménard, Benjamin Stora répond en fait au Président français en rappelant que, si en 1827 le Dey d'Alger avait souffleté Deval, c'est en sa qualité de consul de France. « Tous les écoliers de France ont appris l'histoire du coup d'éventail qui a provoqué trois ans plus tard, en 1830, l'arrivée des bateaux à Alger. » Il ajoute : « Il y avait donc des consuls de France à Alger. Des consuls se sont succédé pendant des années. Donc, il y avait un Etat, des attributs de souveraineté d'un Etat.» Est-on encore sur une question d'identité ? Non. On est dans une optique révisionniste qui correspond bien à l'extrême droite française et sur laquelle braconne Macron pour des raisons de courte vue électoraliste. LEGITIMITE. Discussion avec un ami français anticolonialiste et surtout anti-Macron à propos des dernières déclarations sur l'Algérie du Président français. A mes remarques sur la portée de la parole présidentielle concernant l'inexistence de la nation algérienne, il me répond qu'il ne se sent pas concerné. Mais alors pourquoi moi suis-je gêné par l'anachronisme commis par notre Président dans une communication officielle, lequel a consisté à attribuer à George Washington (1732-1799) le geste d'offrir deux pistolets à l'Emir Abdelkader (1808-1883), cadeau qui était en fait celui d'Abraham Lincoln ? Sans doute, en premier lieu, à cause d'un amour-propre national blessé du fait que l'imprécision dans la bouche d'un représentant de la Nation rejaillit sur nous tous. En second lieu, je ressens une forme de colère devant, je présume, la pléthore de conseillers et de spin doctors qui bourdonnent dans son sillage et qui laisse un chef d'Etat commettre une telle bévue. FICTION. Quelle est l'identité d'Eric Zemmour ? Raciste est-ce une identité ? Ce ne sont certainement pas les bonnes questions pour introduire une intuition. Quand l'écrivain Sabri Louatah a imaginé dans son roman Les Sauvages devenu une série télévisée, qu'un Président français d'origine algérienne était élu à l'Elysée, il n'aurait bien sûr pas parié un dinar dévalué que cela pourrait être quelqu'un du nom de ... Zemmour. A. M.