Deuxième ouvrage de la série Mon Algérie à moi consacrée à l'histoire de notre pays, signé Yahia Boubekeur. Après La voie de Biskra, cet auteur nous propose Mon Algérie à moi. Le café Malakoff paru aux éditions TPA (Tout pour l'Algérie). Yahia Boubekeur entame un périple historique. Point de départ, le café Malakoff, à la Basse-Casbah (Alger). Pour ceux qui ne le savent pas, ce célèbre estaminet porte le nom d'Aimable Pélissier, duc de Malakoff, militaire français devenu maréchal de France. Ce sinistre personnage a participé aux enfumades de Ouled Riyah qui a décimé toute la population de cette tribu, entre le 18 et le 20 juin 1845. Infatigable voyageur, Yahia Boubekeur se rend sur les lieux de cette tragédie dans les monts du Dahra. Il embarque les lecteurs avec lui sur la route de Nekmaria. Il demande son chemin à un villageois qui lui dit : «C'est juste après cette colline.» Yahia Boubekeur découvre la fameuse grotte «...muette, avec sa pâle entrée fermée... Menaçante, cette blessure du temps risque d'emporter la façade, à tout moment. Je n'irai pas au bout de mon pèlerinage dans ce haut lieu de résistance». Yahia Boubekeur regarde dans le rétroviseur de l'Histoire. Le 18 juin 1845, la grotte est cernée par les soldats français. Ils obéissent au doigt et à l'œil aux ordres d'Aimable Pélissier. Il leur ordonne de couper du bois, de ramasser de la paille dans les champs environnants, de les disposer devant les deux entrées de la grotte et d'y mettre le feu. Il reproduit la technique machiavélique de Bugeaud qui disait : «Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéhas ! Enfumez-les à outrance comme des renards.» Les habitants de la tribu de Ouled Riyah, qui s'étaient réfugiés dans cette grotte pensant y trouver la sécurité, périrent dans d'atroces souffrances. Hommes, femmes, enfants et animaux succombèrent à ces enfumades par suffocation. L'auteur souligne la rareté de la documentation relative à ce massacre. Ses investigations lui ont toutefois permis de retrouver quelques écrits, comme le témoignage d'un officier espagnol, rapporté dans les colonnes d'un journal madrilène, L'Heraldo. «Vers une heure, on commença à jeter à l'ouverture de l'orient les fagots qui, cette fois, prirent feu devant les deux ouvertures.» Un autre soldat qui a participé à allumer le brasier rapporte dans une lettre : «...Le feu fut alimenté toute la nuit... à la faveur de la lune, un corps de troupes françaises occupé à entretenir un feu infernal ! Entendre le sourd gémissement des hommes, des femmes et des animaux ; le craquement des rochers calcinés...» Scènes apocalyptiques, agonie, puis mort atroce dans l'indifférence glaciale de Pélissier. «Les animaux eux-mêmes, parqués à l'entrée, étaient pris de panique aux premières languettes de feu qui léchaient leur peau. Ils s'étaient rués vers la sortie qui était bouchée. Ni les cris des enfants étranglés dans l'innocence, ni les larmes des adultes versés sans aucun sanglot, ni le bêlement des agneaux, ni les mugissements des bœufs, ni les braiements des bêtes, plongées dans la détresse, n'avaient eu raison de la folie meurtrière du futur duc de Malakoff.» Pourquoi les habitants de la tribu des Ouled Riyah, alliée du Cheikh Boumaza, s'étaient-ils réfugiés dans cette grotte qui allait devenir leur tombe ? Les villageois avaient coutume de se cacher dans des grottes pour échapper à la collecte d'impôts organisée par les Turcs. «Les cavaliers turcs qui venaient collecter les impôts, trouvant un village désert, repartaient après un ou deux jours. Ils ne suivaient jamais les habitants à l'intérieur des grottes», écrit l'auteur. Pélissier qui avait attaqué les tribus des Beni Zeroual et des Ouled Kelouf fait route vers la tribu de Ouled Riyah entouré de ses bataillons d'infanterie et de mules chargées de combustibles. «Il était venu spécialement pour faire soumettre les montagnards des Ouled Riyah. Il avait installé son camp à Ouled El-Amria.» Mais les villageois ne comptent pas se soumettre. Alors, ils quittent leur village et se dirigent en processions, flanqués de leurs moutons, chevaux, bœufs, vers la grotte. Ils pensent que Pélissier et ses soldats rebrousseront chemin en trouvant le village vide. Mais c'est compter sans la cruauté du futur duc de Malakoff qui ordonne d'enfumer la grotte, exterminant les habitants de la tribu des Ouled Riyah les18 et 19 juin 1845. Yahia Boubekeur compare ces enfumades aux chambres à gaz des nazis. «Véritable holocauste que la France avait dissimulé dans sa langue. Même le Larousse ne fait pas cas de ce qui s'est passé dans le Dahra. » L'auteur décrit les scènes de dépouillement sur les cadavres de la tribu des Ouled Riyah, à Nekmaria. «Dans leur frénésie, les soldats, affamés de richesse, arrachaient les boucles d'oreilles avec les lambeaux de chair qui s'y accrochaient, soutiraient les bracelets d'argent qui brillaient autour des jambes mutilées... Il ne restait que les yatagans et les fusils qui avaient échappé aux flammes, qu'ils ramassaient sur les corps des morts qu'ils piétinaient.» Le carnage continue. Après la tragédie de Nekmaria, commise par Pélissier, huit cents personnes de la tribu de Sbéha allaient être emmurées dans une autre grotte du Dahra. «... Un mois après, du 8 au 12 août 1845, Saint-Arnaud piège à son tour la tribu des Sbéhas, quelques kilomètres plus loin, pour l'exterminer sans laisser de traces.» Des hommes, des femmes et des enfants ont été enterrés dans cette grotte transformée en fosse commune. Les enfumades du Dahra témoignent de l'atrocité des méthodes utilisées par l'armée coloniale contre les civils. Un crime contre l'humanité qui n'a pas encore livré tous ses secrets. Soraya Naili Mon Algérie à moi. Le café de Malakoff de Yahia Boubekeur. éditions TPA. 140 p. 2021.