Par Hassane Zerrouky Il fut un temps où l'exfiltration d'agents soviétiques vers l'Occident capitaliste, appelé alors «Monde libre», faisait la une des médias occidentaux. Lesquels racontaient par le menu détail comment les James Bond occidentaux avaient réussi à convaincre les espions soviétiques, est-allemands ou bulgares, à trahir leurs pays respectifs et choisir la liberté. Ainsi en allait-il de Farewell, nom de code attribué au lieutenant-colonel du KGB, Vladimir Vetrov, grâce à qui la CIA et ses alliés européens ont réussi à décapiter au début des années 80 les réseaux du KGB opérant en Amérique du Nord et dans l'Europe de l'Ouest. Plus de 30 ans après, voilà qu'un analyste de la CIA, Edward Snowden, 29 ans, claque entre les doigts de la CIA, en divulguant des informations explosives sur un système de surveillance dénommé Prism. Il s'agit d'une surveillance électronique des services Internet, mails, réseaux sociaux, photos et vidéos, historiques de navigation, conversations vocales par la NSA (National Security Agency). Au cœur de ce système, l'existence d'un robot informatique, Boundless Informant, qui trie les données et qui est capable d'organiser la surveillance pays par pays. Ainsi, la NSA a également accès aux données stockées, triées et archivées par Google, Facebook, Microsoft, Yahoo, Skype... «Nous piratons tous les backbones (dorsales Internet) du réseau – comme les gros routeurs – cela nous donne accès à des centaines de milliers d'ordinateurs sans avoir à en pirater un seul», explique Edward Snowden au journal South China Morning Post. Individus, dirigeants et partis politiques, syndicats, acteurs de la société civile, Etats et leurs services de renseignement, rien n'échappe à l'œil de Washington ! Toute la planète est espionnée ! «Je ne veux pas vivre dans un monde où il n'y a aucun respect de la vie privée et donc aucun espace pour l'exploration intellectuelle et la créativité», explique Edward Snowden, pour qui les pratiques de la NSA sont «une menace existentielle pour la démocratie», et qui encourt une peine de 30 ans de prison. Pour les Etats-Unis, le coup est rude. C'est un revers pour le renseignement américain qui a vu l'un de ses espions filer à l'anglaise, d'abord à Hong Kong, puis à Moscou, d'où il compte se rendre en Equateur, via La Havane et Caracas. Que ce soit en Chine ou en Russie, les services de renseignement de ces deux pays ne se sont pas fait prier pour briefer l'ex-analyste de la CIA. «Les services de renseignement et de contre-espionnage ont beaucoup de questions à poser à une personne aussi informée», se délectait une source sécuritaire russe citée par l'agence Interfax. Quant à savoir si les Russes sont disposés à le livrer aux Américains comme le souhaitent ces derniers, rien ne permet de le penser. «Edward Snowden n'a pour le moment rien commis de délictueux sur le territoire de la Russie, les forces de l'ordre n'ont reçu aucune consigne visant à l'interpeller, c'est pourquoi il n'y a pas de raison de l'arrêter», expliquait une source policière citée par RIA Novosty. Qui plus est, a affirmé Vladimir Poutine, la Russie n'a aucun grief à lui reprocher ! Pour l'heure, l'Equateur, qui a déjà accordé l'asile politique au fondateur du site Wikileaks Julian Assange (réfugié à l'ambassade équatorienne à Londres), serait sur le point d'en faire de même avec Snowden. En visite au Vietnam, le ministre équatorien des Affaires étrangères, Ricardo Patino, a déclaré que «l'homme, qui tente de faire la lumière et la transparence sur des faits qui affectent tout le monde, se voit aujourd'hui poursuivi par ceux qui devraient donner des explications aux gouvernements et aux citoyens. Il faudrait se demander : qui a trahi qui (...) Est-ce qu'on ne serait pas loyal envers ses compatriotes et envers le reste de l'humanité pour avoir révélé des risques et des dangers qui nous menacent tous ?» Quant à l'intéressé, qui se trouve à l'heure où s'écrivent ces lignes dans la zone de transit de l'aéroport de Moscou, il a estimé «improbable» qu'il ait «droit à un procès juste ou à un traitement humain» aux Etats-Unis. Evoquant le cas du soldat américain Bradley Manning, accusé d'avoir livré au site WikiLeaks des centaines de milliers de messages diplomatiques confidentiels, Edward Snowden a déclaré que ce dernier, aujourd'hui en détention aux Etats-Unis, «a subi des traitements inhumains pendant sa détention préventive».