Par Hassane Zerrouky Ce dimanche, les Tunisiens sauront qui de Moncef Marzouki, président de transition, ou de Beji Caïd Essebci sera le premier président élu au suffrage universel de l'histoire du pays. A l'issue du premier tour, Caïd Essebci (83 ans), arrivé en tête, a devancé son rival Marzouki (69 ans), de six points seulement. Autant dire que le locataire du palais de Carthage (la présidence tunisienne) garde toutes ses chances pour l'emporter. Et pour ce faire, tout en se rappelant quelque peu tardivement au souvenir des forces démocrates en les appelant à voter pour lui, Moncef Marzouki joue sur au moins trois registres pour battre son adversaire. Celui d'un retour au pouvoir des anciens du régime, arguant que Caïd Essebci serait le candidat de l'ordre ancien, de ses dérives autoritaires et des violations des droits de l'Homme, martelant partout que «l'ancien régime livre sa dernière bataille». Il faut dire que dans l'entourage de Caïd Essebci, il n'y a pas que du beau monde. Y figurent en effet des ex-caciques du RCD de Ben Ali. En second lieu, Marzouki joue sur l'âge de son rival. Parmi les arguments avancés, cette trouvaille que son staff électoral s'est empressé de diffuser sur le Web : une vidéo montrant Marzouki disputant une partie de football, histoire d'indiquer qu'en raison de son âge Beji Caïd Essebci en est incapable et qu'il est par conséquent incapable physiquement de gouverner. Troisième argument, il ne cesse de mettre en garde contre la fraude électorale : si Caïd Essebci gagne, ce sera par la fraude, soutient-il. Et quid d'Ennahdha ? Comme lors du premier tour, le parti de Ghanouchi a annoncé qu'il ne donnerait pas de consigne de vote. Reste que personne à Tunis ne croit à cette fable. Dans les milieux progressistes, il ne fait aucun doute que la base islamiste se mobilisera pour faire gagner Marzouki. Le 26 novembre, trois jours après le premier tour de la présidentielle, Mohamed Ben Salem, un des dirigeants d'Ennahdha et ancien ministre, n'a-t-il pas admis que 70% des votants pour Marzouki étaient des «nahdhaouis». Déjà, comme lors du premier tour, les Ligues de protection de la révolution (LPR), ces milices islamistes proches d'Ennahdha, assurent l'encadrement des meetings de Marzouki. Les salafistes du Hizb Tahrir soutiennent Marzouki depuis que ce dernier s'est affiché, lors d'un meeting tenu le 9 novembre dernier à Sousse, aux côtés de Bachir Ben Hassen, imam salafiste connu, expulsé de France en février dernier. Et comme si cela ne suffisait pas, les islamistes jouent également sur le registre de la peur. Imed Dghij, membre des Hommes de la révolution de Kram (banlieue de Tunis), un groupuscule islamiste, a menacé les Tunisiens d'un «bain de sang» si Beji Caïd Essebci était élu. «Si Beji Caïd Essebci est vainqueur (...) entre nous il y aura des armes» répondait en écho, Nadia Fares, journaliste d'Al-Moutawassat-tv proche d'Ennahdha. Et ce, sans compter Al Jazeera qui a mobilisé tous ses moyens en faveur de Moncef Marzouki sur le thème du retour de la «contre-révolution» qui, soutient la chaîne qatarie en paraphrasant le poète syrien Nizar Kabani, ferait disparaître «la verdure, la rose et les livres» de Tunisie. Ben voyons ! Beji Caïd Essebci, dans un rôle de père rassurant de la nation, ne manque pas de rappeler que son rival Marzouki a été désigné chef de l'Etat (et non élu) en 2011 par une Assemblée nationale constituante dominée alors par Ennahdha et ses alliés. Son staff joue également sur la peur du retour des islamistes au pouvoir en cas de victoire de Marzouki. D'aucuns n'hésitent pas à imputer la série d'assassinats de responsables et militants progressistes, les violences envers les femmes et les milieux artistiques, voire le terrorisme, à l'indulgence coupable d'Ennahdha et du président Marzouki envers les salafistes, quand le parti de Ghanouchi dirigeait la Tunisie. Même le Front populaire, dont le candidat Hama Hammami est arrivé en troisième position, appelle à barrer la route à Marzouki qualifié de «candidat d'Ennahdha» et des Frères musulmans. Une chose est sûre, dimanche, le score risque d'être serré. Et, quel que soit le vainqueur de cette élection, de lourds dossiers (dette, économie en berne, chômage, pauvreté), rarement évoqués durant ce dernier tour de campagne, l'attendent sur le bureau.