Le paresseux a pris du galon. Il s'est métamorphosé. Ce n'est plus cet ouvrier qui traînait la patte dans un chantier, ni ce flemmard, père de famille, qui se levait tard pour chercher du boulot, et encore moins cette mère qui oubliait de donner la tétine à son petit ou de lui changer ses couches. Aujourd'hui, le paresseux sait que l'Etat prend en charge toutes ses attentes. Il lui suffit de crier, de gueuler et de barrer la route pour voir se réaliser ses vœux. Ainsi, l'aide qui devait aller aux nécessiteux profite plus aux paresseux et aux égotistes. Il faudrait bien évaluer le coût induit par les actes de ceux-là, et décider enfin de mettre un terme à leurs méfaits. - Ça ressemble étrangement à l'histoire de la vache des orphelins qu'on a vendue au souk, me dit Daouïa en résumant la portée des méfaits de ces individus. Mais par-dessus tout, ce qui inquiète le plus Daouïa, ce sont les milliers de diplômés qui sortent chaque année de l'université. Elle m'explique les raisons en prenant l'exemple de Moh et Houari, deux jeunes voisins de palier de notre immeuble. Malgré toute leur bonne volonté, ils peinent depuis quatre ans à trouver de l'embauche sur le marché de l'emploi, un marché saturé depuis fort longtemps bien qu'on s'entête à créer des postes. L'administration, les mêmes entreprises publiques et les quelques privés ne peuvent contenter toutes les demandes des chômeurs, diplômés et exclus du système scolaire. Contraints, nos deux jeunes gens attendent patiemment l'éventuelle réponse d'un employeur. Pour passer le temps, il suffit qu'ils aient de quoi acheter des clopes et se payer un café pour tuer le reste de la journée, à tchatcher, l'oreille collée au cellulaire et les yeux rivés sur l'ordi. Et demain ? Il y aura toujours le papa, la maman ou la frangine pour leur refiler des sous. jusqu'au jour où ils se retrouveront seuls face à leur destin. Ailleurs, quand le taux du chômage prend l'ascenseur, le sans-emploi se contente d'un premier boulot, n'importe lequel, pourvu qu'il ait un salaire. Ce n'est pas le cas de Moh et Houari qui préfèrent des emplois sur mesure. Ils ne veulent pas entendre d'un gagne-pain comme celui de manœuvre ou de serveur dans un salon de thé. Messieurs ne se voient qu'en costume et attaché-case à la main. Finalement, l'aide des parents les habitue à la paresse et ne favorise nullement leur prise de conscience de la réalité de la vie. Daouïa se demande à juste raison si les jeunes de cette catégorie ont assimilé la morale du laboureur et ses enfants ou de la cigale et la fourmi. Savent-ils au moins que du ciel ne tombe ni or ni argent ?