Des spécialistes qui ont pris part avec d'autres partenaires associatifs du monde médical et institutionnel au séminaire sur la santé mentale à Tizi-Ouzou, organisé par l'Association des amis des malades mentaux, APAMM Yasmine et l'APW de Tizi-Ouzou, ont plaidé pour un projet alternatif de prise en charge de ce problème de santé publique dans la wilaya de Tizi-Ouzou, jugeant le modèle curatif en cours «d'inefficace et d'obsolète», selon les mots du psychiatre M. Boudarène. D'abord un état des lieux et présentation de la prévalence des pathologies mentales et des moyens de leur prise en charge par un cadre de la Direction de la santé de la wilaya de Tizi-Ouzou. «Le but du programme national de santé mentale est de prévenir et de combattre les troubles mentaux, neurologiques et psychosociaux, et de contribuer ainsi à l'amélioration de la qualité de vie de l'ensemble de la population», commencera par dire l'auteur de la communication, un cadre de la Direction de la santé de la wilaya de Tizi-Ouzou pour qui «la prise en charge de la santé mentale ne concerne pas exclusivement le secteur de la santé mais doit impliquer au contraire les autres secteurs, notamment la protection sociale, la solidarité nationale, l'éducation nationale, la jeunesse et les sports, la justice, le mouvement associatif, etc.» Et de rappeler que «les activités de santé mentale sont assurées essentiellement par l'EHS d'Oued-Aïssi et le CHU de Tizi-Ouzou. Des établissements qui revêtent un caractère régional et qui couvrent un bassin de population répartie sur quatre wilayas, à savoir Tizi-Ouzou, Bouira, Boumerdès et Béjaïa. De fait, l'EHS Fernane-Hannafi d'une capacité de 350 lits accuse un taux d'occupation de 100%. Le service de pédopsychiatrie, récemment créé et qui fonctionne en hôpital de jour, a une capacité d'accueil de 20 lits. A ces structures s'ajoutent 8 Centres intermédiaires de santé mentale (CISM) dans les EPSP créés en 2001 et 2002 par deux instructions ministérielles relatives au renforcement et à la décentralisation des soins en santé mentale qui ont permis leurs mise en place. Un Centre intermédiaire de santé en addictologie (CISA) a été créé au niveau de la polyclinique Benyahi relevant de l'EPSP de Draâ-Ben-Khedda. Un autre est en voie d'achèvement au sein de l'EHS Oued-Aïssi. «La prévention est la pierre angulaire de la politique de santé ; elle doit être redéfinie pour une véritable intégration impliquant toutes les instances concernées : les pouvoirs politiques, les collectivités locales (APW, APC), les professionnels de la santé et la société civile. Il faut trouver des axes de réflexion et d'action pour la prévention des comportements d'exclusion, par le développement de message de tolérance, par la démystification de la santé mentale, évitant l'amalgame entre la santé mentale et la dangerosité. Dans ce cadre, il y a lieu d'initier et de développer une culture de tolérance, qui est une démarche préliminaire d'intégration des malades mentaux», dira en conclusion de sa communication le Dr Oustouati de la Direction de la santé de la wilaya. Sans nier son importance, c'est le fonctionnement de ce dispositif et de cette architecture institutionnelle et du modèle curatif et de prise en charge des malades qui sont remis en cause par Dr Boudarène et Dr Amirèche et d'autres représentants du monde médical présents dans la salle et qui n'ont pas manqué d'alimenter les débats. Le Dr Boudarène signale d'emblée que c'est l'accompagnement post-curatif et le suivi des malades hors des murs de l'institution qui est le grand défaut de ce dispositif. «La prise en charge des malades est insuffisante ; elle se limite à la cure et au traitement dans l'urgence et on ignore l'autre problème qui est la réinsertion sociale, malgré les potentialités réelles mais non exploitées, faute de compétences». «Comment optimiser les soins en santé mentale dans la wilaya de Tizi-Ouzou» est l'intitulé de la présentation du Dr Boudarène qui insiste sur l'importance de doter l'ensemble des EHS de lits de psychiatrie pour «prendre en charge les urgences et libérer le malade de sa souffrance». Il milite pour un projet d'établissement, un modèle alternatif du traitement de la maladie mentale à l'intérieur et à l'extérieur de l'institution, insistant sur l'importance d'impliquer le malade dans le processus de soins, l'impact thérapeutique du partage. Une méthode, selon lui, qui aboutira à la valorisation du malade atteint de troubles mentaux ou comportementaux par sa responsabilisation et son apprentissage dans la perspective de sa réinsertion dans la vie sociale. Il faut mettre en place des conditions à même de créer une surface de vie en milieu hospitalier, d'ateliers thérapeutiques et d'unités de réinsertion, d'un hôpital de jour pour organiser la post-cure et conseiller les familles des malades pour leur permettre de les accompagner en situation de post-cure. Le traitement institutionnel ne doit pas se limiter à l'administration de molécules et à la prise en charge médicamenteuse. Le programme curatif ne doit pas se limiter à l'acte exclusivement médical, il doit s'étendre à des activités d'ergothérapie (traitement par le travail), conseillera le psychiatre qui, détaillant et explicitant ses préconisations, parlera «de thérapeutiques occupationnelles, d'activités culturelles (cinéma, théâtre et musique) avec l'implication des malades dans l'organisation et l'animation de ces activités culturelles, ludiques, sportives, de plein air (sorties, excursions et visites de lieux touristiques et culturels), la lecture, la peinture et autres activités (activités agricoles, espace de mise en forme et d'esthétique), a-t-il précisé. Ces actions à valeur thérapeutique ont pour finalité de «donner un visage humain à l'institution hospitalière en la rendant vivante, créant ainsi une dynamique et en lui attribuant un rôle social et qui permettra aussi de réduire la durée d'hospitalisation», signalera le Dr Boudarène dont le projet thérapeutique qu'il souhaite mettre en place est qualifié «de belle utopie» par de nombreux praticiens qui interviendront dans le débat. Un rêve «réalisable», estiment-ils. «Une belle utopie mais réalisable, pour un médecin généraliste travaillant dans une structure hospitalière de proximité, pour peu qu'il y ait une volonté politique. Le Dr Amirèche, psychiatre et secrétaire général de l'APAMM et qui partage les préconisations du Dr Boudarène, insiste sur la mutation qui doit toucher les mentalités reposant sur une démarche collaborative entre les acteurs. «Des enjeux de pouvoir et de jouissance narcissique, auxquels il faut mettre fin, ont dévoyé le fonctionnement des institutions de soins», dira le psychiatre et secrétaire général de l'APAMM.