Par Ammar Belhimer M. Abdelhamid Mehri, l'ancien secr�taire g�n�ral du FLN, est en col�re contre une situation qu'il trouve marqu�e par �le reflux consid�rable des libert�s d'expression et de l'action partisane, le blocage des canaux de communication et de dialogue et l'�largissement du foss� entre les dirigeants et les dirig�s�. Son appr�ciation concorde avec celle d'un militant syndicaliste, M. Besbas, le coordinateur du Comit� national des libert�s syndicales (CNLS), dont la r�union de jeudi � Alger a �t� largement couverte par la presse ind�pendante. M. Besbas pense tout haut que les 75 syndicats enregistr�s ne sont pas autoris�s � dire, faute de canaux m�diatiques : �La conception patriarcale de la gouvernance emp�che le pouvoir de s'adapter au concept de partenariat universellement admis�. Ce partenariat ayant naturellement pour corollaire indispensable le pluralisme syndical, c'est l'h�g�monisme de l'UGTA qui est mis en cause ici. Un h�g�monisme d'autant plus marqu� que le chef de l'Etat a ouvertement exprim� sa pr�f�rence dans son discours du 23 f�vrier dernier. L'UGTA se trouve ainsi, malgr� elle, au centre d'une controverse qui �chappe aux r�gles th�oriques de l'arbitrage des luttes et du terrain pour �tre circonscrite aux seuls appareils. L'indignation des syndicats dits �autonomes� s'apparente � une r�action de �vierge effarouch�e � qui ignore cet enseignement de la th�orie des jeux, d�j� classique, que la pluralit� des �quilibres est la r�gle et l'unicit� l'exception, d'une part, et que le probl�me pos� au d�cideur est de s�lectionner parmi eux ceux qui lui sont les plus favorables. Dans ce jeu, aux int�r�ts multiples, repr�sentativit� et l�gitimit� ne sont que des cat�gories subjectives, voire affectives. Il en est de m�me de l'autonomie syndicale. Le march� politique syndical tend � se polariser entre deux options strat�giques : une logique r�formiste, qui vise � faire du syndicat un partenaire privil�gi� du patronat ou du gouvernement — celui qui signe les accords, qui n�gocie "utile", en quelque sorte, et participe effectivement aux d�cisions dans le cadre de la tripartite — et une strat�gie de surench�re contestataire, qui r�colte le soutien des m�contents. Si le poids du premier se r�duit comme une peau de chagrin, le second n'arrive tout de m�me pas encore � s'imposer comme partenaire incontournable dans sa phase actuelle de maturation � l'�preuve de ses bras de fer �pisodiques avec l'employeur public. Ce qui joue surtout dans la premi�re option, qui est celle de l'UGTA, c'est la rente de situation de ses cadres : leurs carnets d'adresses, leurs amiti�s, leur connaissance pr�cieuse d'une bureaucratie inamovible, y compris en phase de r�formes et de transitions. Reproduction des comportements et permanence des r�seaux lui profitent largement. L'UGTA serait objectivement mal inspir�e de refuser cette aubaine dans une conjoncture marqu�e par l'�miettement et le d�clin du syndicalisme traditionnel. Le taux de syndicalisation ne cesse de d�cro�tre � vue d'œil. Une tendance que n'arrive � infl�chir ni la notori�t� de la vieille Centrale syndicale, ni les incitations indirectes � l'adh�sion : monopole d'embauche des syndicats (closed-shop) dans certaines entreprises, participation � la gestion de la s�curit� sociale, des œuvres sociales, et d'autres droits acquis. La tendance � la d�syndicalisation r�sulte d'une restructuration du monde du travail � la faveur de la r�volution scientifique et technique. Les couches sociales traditionnellement acquises aux syndicats sont en voie de disparition. Le syndicalisme �autonome� l'a bien saisi pour se reformer autour des cols blancs, notamment de la Fonction publique (services, enseignement, culture et administration) dans un processus forc�ment lent et difficile puisqu'il met en cause � la fois les structures et la culture du mouvement syndical. Seuls les d�tachements de salari�s de la Fonction publique lui permettent de pr�tendre � des permanences syndicales. Le salariat contemporain est beaucoup plus form� qu'autrefois, il a une autre culture, d'autres r�flexes et d'autres formes de sociabilit�. Il n'y a plus une avant-garde qui sait et qui doit entra�ner les masses. Un nouveau syndicalisme, alliant luttes et propositions, revendications et strat�gie �conomique, se profile. Toutefois, il ne s'agit pas d'un syndicalisme d'experts. L'�quation id�ale qu'il s'efforce de trouver consiste � prendre en compte les revendications dans une bataille port�e aussi bien par la connaissance que par l'exigence. Les enseignants, particuli�rement ceux du secondaire, semblent �tre les pr�curseurs sur ce terrain, mais ils ne sont pas les seuls. Comme d'autres fonctionnaires, ils jouent aujourd'hui le r�le des ouvriers de m�tiers d'hier. Ils forment l'avant-garde autour de laquelle se forme le nouveau syndicalisme col blanc. Cette premi�re fracture recoupe une autre : la coupure croissante entre les syndicalismes du public — que se partagent, sans trop d'animosit� d'ailleurs, l'UGTA et les syndicats dits �autonomes� — et le syndicalisme balbutiant du priv� traduit plut�t le foss� qui se creuse entre ce que vivent les salari�s du priv�, avec une pr�carit� g�n�ralis�e, et ce que connaissent les employ�s du secteur public, riv�s sur l'�volution du SNMG et les fluctuations du point indiciaire. Autre nouvelle caract�ristique majeure : la proportion des salari�s employ�s dans les petites et moyennes entreprises, particuli�rement du secteur priv�, cro�t de mani�re inversement proportionnelle � la disparition des grosses concentrations ouvri�res et ne permet pas de faire face � cet �miettement. Dans ces conditions, le pluralisme syndical est vu, � tort ou � raison, comme un facteur suppl�mentaire d'affaiblissement. On regrettera naturellement le d�calage entre la nouvelle configuration du monde du travail et les r�gles �cul�es qui r�gissent sa repr�sentation syndicale. Le mod�le syndical alg�rien h�rit� de l'imm�diat apr�s-guerre de Lib�ration nationale dont l'UGTA tient sa premi�re l�gitimit� n'est plus adapt� � la situation actuelle. Il lui accorde une "pr�somption de repr�sentativit�" (c'est-�-dire une capacit� � valider un accord), sans se pr�occuper du nombre de ses adh�rents ou de leurs r�sultats aux �lections professionnelles. L'UGTA demeure cependant un �l�ment indispensable � la r�gulation sociale qui doit n�cessairement succ�der � l'alternance de flamb�es sociales et de p�riodes d'atonie prolong�e. L'affaiblissement du syndicalisme officiel, dirigeant de fait et non dominant, est compens� sur le terrain par un partenariat avec le pouvoir politique dans la gestion de l'Etat-providence. Le pari est d'autant plus risqu� que la l�gitimit� des syndicalistes dans les organismes paritaires ne repose souvent pas sur l'�lection et que l'essentiel du pouvoir appartient toujours � l'Etat. De plus, l'implication des principaux dirigeants syndicaux dans la gestion des organismes sociaux �loigne leur organisation des fonctions de base du syndicalisme : l'am�lioration des conditions de travail et de r�mun�ration des salari�s dans les entreprises. Construite autour du rejet de la lutte des classes et de la gr�ve comme arme de lutte, d'une part, et de l'exercice de la cogestion, d'autre part, l'UGTA n�gocie son avenir autour de cette �rente de situation �, de cette �pr�somption de repr�sentativit� et de la proximit� qu'elle lui permet avec les sph�res de d�cision du pouvoir dans le cadre de l'exercice d'un �syndicalisme buvard" qui aspire les revendications de la base et le m�contentement populaire. Devant l'effondrement des id�ologies de gauche et des contre-pouvoirs syndicaux, face au recul des r�gulations publiques et l'affirmation d'un individualisme amoral, l'unit� syndicale s'av�re incontournable. Elle reste � construire selon des formules qui laissent place pour les syndicats minoritaires, qui rassemblent en g�n�ral leur client�le sur des revendications maximalistes et cat�gorielles. Elle reste le seul moyen de juguler le d�sarmement du monde ouvrier et, dans son sillage, la crise de repr�sentativit� qui frappe partout le syndicalisme.