"L'aurore se levait, la mer battait la plage ; Ainsi parla Sapho debout sur le rivage, Et pr�s d'elle, � genoux, les filles de Lesbos, se penchaient sur l'ab�me et contemplaient les flots." Alphonse De Lamartine Avez-vous assist� au concert de Sapho � Alger ? Si oui, ne poursuivez pas la lecture de cet article. Si, par contre, vous l'avez rat�, on peut vous affirmer que vous avez manqu� l� une occasion en or. Une occasion qui ne reviendra peut-�tre jamais. Qui sait, avec les temps qui courent… ? Invit�e, par le Centre culturel fran�ais d'Alger pour se produire � la salle Ibn- Khaldoun durant la soir�e d'avant-hier, Sapho a mis son public en extase. Difficile en fait d'�chapper � ses sautes d'humeur, � ses cris de fureur et � ses rires ensorcelants. La soir�e commence par un mouachah. L'orchestre, qui a pr�c�d� sa maestria, a entam� un morceau ayant un cachet oriental, bien tri�. Et ce n'est que quelques minutes plus tard que Sapho entre sur sc�ne. Et, faites bien attention, elle a une fa�on particuli�re, propre � elle, de le faire. Elle s'introduit doucereusement du fond de la sc�ne. V�tue d'une robe noire enfl�e, �paules nues, cheveux en boucles, teint �blouissant par sa blancheur. Sapho a l'air d'un ange noir au cœur blanc. Elle se lance tout de suite � entonnant une chanson intitul�e L'appel du gitan. Cette chanson donne l'impression de la boh�mienne appelant son gitan. Quelques instants plus tard, l'orchestre suspendit ses jeux. La voix de Sapho engloutie dans le silence. Mais pas pour longtemps, elle d�clare et � haute voix : "Bonsoir Alger". "J'accuse. J'accuse." On aurait dit que l'on assistait � un Zola d'un autre genre. Mais non ! Sapho poursuit : "J'accuse les gens. Mais gr�ce � ton d�sir, je suis plus jeune." Ceci est une chanson, ou plut�t le texte d'une chanson. Sapho accuse tout le monde et personne. Cette artiste est une sorte de sensitive. Elle se laisse voir de loin, mais d�s qu'on s'approche d'elle et qu'on essaie de la toucher, elle se r�tracte. Pourtant, elle est t�m�raire. Elle a chant� Oum Kalthoum l� o� aucun musulman n'oserait le faire : J�rusalem. Elle s'est produite sur la sc�ne de th��tre sur laquelle aucun Isra�lien n'aura la t�m�rit� m�me d'y penser : Ghaza. Sapho l'a fait. Car, et tout simplement, elle sait que l'art n'a pas de fronti�res. "La seule terre que je connaisse est une poign�e de paroles", disait le po�te palestinien Mahmoud Derwiche dans l'un de ses po�mes que la chanteuse a lus � l'occasion. On a d�j� dit, quelques lignes plus haut, que Sapho est un ange. N�anmoins, il ne faut surtout pas voir en elle cet ange tranquille, coi et placide qui prend sa place et observe le monde. Non. Sapho est d'une autre esp�ce d'anges. Elle est de cette esp�ce d'ange turbulent. A la voir chanter sur sc�ne l'aventure de Sh�h�razade (celle des Mille et Une Nuits bien s�r), elle vous coupe le souffle. Le micro entre les mains, elle le tient presque avec toutes ses forces, elle se courbe, fl�chit � en croire qu'elle atteindra le sol, et elle le fait. Et une fois par terre, elle se love autour d'elle-m�me. Sapho est un autre nom pour la "n�vrose douce". Elle flirte avec la folie. Elle se d�m�ne sur sc�ne comme une poss�d�e. Et c'est l� l'une des particularit�s de cette chanteuse qui, n�e au Maroc, est devenue au fil des temps une chanteuse du monde. Chantant le rock, le R'n'b et … l'andalou. Enfin, lorsque le spectacle a presque tir� � sa fin, elle fait appel � deux g�ants du chant andalou en Alg�rie : Zakia Kara Terqui et Nourredine Saoudi. Quelques chansons plus tard, le concert se termine. Il �tait minuit tapantes.