Paris le 10 juillet 2004. Au bout du fil, une voix presque inaudible, � la limite de l�extinction, tente difficilement d'articuler quelques bribes de mots pour r�pondre � mon appel. Cette voix d'habitude si claire, joviale, chaleureuse que j'ai entendue tant de fois, c�est celle d�Ali Zamoum, Da Ali. La veille, Amar Terrak m'avait fait part de l'�tat de sant� peu brillant d�AIi. Il me parut comme � son habitude, paisible, calme laissant � peine para�tre une tristesse si lourde � contenir en ces moments, celle d'un p�re au chevet de sa fille malade. Dans cette attitude et cette retenue, la dignit�, plus que le courage, permet d'affronter bien des �preuves sur terre. Depuis une quinzaine de jours, une avalanche de mauvaises nouvelles me parviennent d'amis d'Alger dont toute la vie ne fut que combat et espoir. Ali Zamoum m'apprend donc ce matin qu'il vient en urgence pour soins sp�cialis�s � Paris. Ces derniers temps les prises en charge m�dicales sont accord�es avec parcimonie aux Alg�riens. Aussi chaque arriv�e d'un ami malade fait craindre le pire. L'arriv�e d�Ali est d'aucun inopin�e que depuis de ann�es il refuse de �qu�mander un visa et risquer de subir l'insupportable humiliation des services consulaires fran�ais en Alg�rie. Il n'y a jamais de bons ou de mauvais moments pour les �sales maladies�, mais celle-l� qui prive de sa voix un homme qui a tant � t�moigner et dire sur son �poque, je la per�ois comme une mal�diction de plus pour l'Alg�rie qui comm�more cette ann�e le 50e anniversaire de la R�volution de 1er Novembre 54. Qui, mieux qu�Ali Zamoum, r�sistant de la premi�re heure qui prit le maquis de Kabylie (Zone puis Wilaya III) la veille du 1er novembre 1954, condamn� � mort � 17 ans, partageant la cellule de prison de Ahmed Zabana (Zahana), premier guillotin� d'Alg�rie en 1956, pourrait mieux symboliser la r�sistance et le combat de cette g�n�ration mutil�e mais toujours debout ! Ali Zamoum, un homme p�tri d'humanisme et d�bordant de g�n�rosit�. Ni les d�ceptions post-ind�pendance, ni l'oubli et les trahisons de certains compagnons de lutte d'hier, ni les sir�nes du pouvoir et ses tentations malsaines, n'ont alt�r� l'homme dont l'ami de toujours Kateb Yacine disait : �Certains militants ont r�sist� � la torture mais n'ont pu r�sister aux attraits de la luxure et de l'argent facile.� A tous les d�mons destructeurs que connut l'Alg�rie, iI opposa une farouche r�sistance jetant un regard critique et lucide sur tous les �v�nements qui ont marqu� le pays depuis l'Ind�pendance. Dans son livre autobiographique Tamurt Imazighen, document incontournable sur l'avant et l'apr�s-Novembre 54, Ali Zamoum nous fait d�couvrir avec l'humilit� qui le caract�rise, le parcours d'un homme qui a su donner du sens � sa vie et de l'espoir aux humbles dont il a �pous� la cause d�s l'adolescence. Je l'ai rencontr� par hasard � Alger au printemps 2003, alors que je le croyais � Boghni. Au volant de l'ambulance de Tagmats, l'association de solidarit� qu'il a mont�e avec des amis et dont il est pr�sident, il accompagnait seul un malade du fin fond de la Kabylie vers l'h�pital Mustapha. Les dangers r�els marquant cette r�gion de Boghni ne pouvaient infl�chir cette nouvelle mission humanitaire dont il s'est investi en 1996 toujours au service des pauvres et des d�munis. Dans Tagmats, il jeta sa derni�re �nergie. Bravant les difficult�s administratives, financi�res et autres blocages car, me disait-il, jamais cette r�gion n'avait connu depuis l'ind�pendance autant de mis�re et de maladies qui poussent au d�sespoir et aux cons�quences que l'on vit aujourd'hui. Mais chez cet homme il n�y a pas de place � la r�signation, c'est encore ce sursaut de dignit� de se prendre en charge, une autre mani�re de r�sister pour dire aux �damn�s d'hier� que l� o� le m�pris et l'injustice croient l'emporter, il faut dresser des maquis de solidarit� et d'entraide mutuelle. C'est l'esprit qui a guid� Ali Zamoum toute sa vie, que ce soit lors des conflits de wilaya apr�s 1962, lors des �v�nements dramatiques du Printemps berb�re en 1980 ou encore ceux qui ont marqu� la Kabylie en 2001. Malgr� ses 73 ans l'homme para�t infatigable, in�puisable. Il encha�ne conf�rence sur d�bat. Que ce soit le mouvement national, les questions culturelles, identitaires, linguistiques, les questions �conomiques et sociales, rien qui concerne l'Alg�rie n'�chappe � son analyse pertinente pour d�boucher sur une action � mener car l'homme est toujours en mouvement ! Souvent je me suis pos� la question de savoir d'o� Ali Zamoum tirait cette �nergie, puis me vient � l'esprit cette premi�re phrase de l'hymne national. �De nos montagnes s'�l�ve la voix des hommes libres� qui me renvoie � Tamurt Imazighen. Nordine Inoughi, pr�sident de Tagmats Solidarit� Europe