Ainterpr�ter comme il se doit ses propos, la ministre n�aurait finalement agi de la sorte que pour �viter � Benchicou une seconde incarc�ration. Au nom de la libert� d�expression, qu�elle encense d�ailleurs chaleureusement, elle se serait juste acquitt�e d�une t�che de salubrit� publique menac�e par un br�lot malveillant. Jamais, avaitelle dit en substance, il a �t� question d�attenter au droit � la critique encore moins � la fable politique, m�me quand celle-ci emprunte aux agissements de la vie publique quelques faits et des traits, � peine retouch�s de personnages en chair et en os. Se gardant bien de parler de censure, elle ne manqua pas, cependant, de rappeler qu�il n�y a pas de place dans les librairies pour les livres qui malm�nent les hommes publics ! Voil� un plaidoyer b�ti sur une contre-v�rit�. Un pur sophisme. Car l�erreur centrale qui charpente son raisonnement est qu�elle s��tait appropri�e, gr�ce � l�autorit� de ses fonctions, le droit d��talonner le degr� de nuisance d�un ouvrage. Autant lui rappeler, par cons�quent, que sa d�marche ou son �initiative� (comme elle le voudra) est bien plus qu�une substitution dans les pr�rogatives. Elle est une usurpation des missions d�volues aux tribunaux qui se seraient fait un r�el plaisir d�instruire toutes les plaintes en diffamation qui se peuvent imaginer. Encore fallait-il pour cela que la chose imprim�e arrive � ses destinataires. Nous avons nomm� : les lecteurs. C�est, dor�navant, de cela qu�il s�agira. Comment �viter � une publication de devenir un samizdat qui existerait dans les faits mais n�aura pas de notori�t� l�gale ? Autrement dit, comment sauver de la peste des autodaf�s des manuscrits dont on emp�cherait l�impression et la diffusion ? Face � ce dilemme interpellant les �diteurs, peut-on r�ver d�une riposte qui aille au-del� du �K� Benchicou tout en le prenant pour pr�texte embl�matique afin que cesse cette immixtion des pouvoirs politiques dans un domaine qui rel�verait, au pire, de l�espace judiciaire ? Le droit d��crire et de publier est concomitant � toutes les autres libert�s garanties par la Constitution. Il ne peut en aucune mani�re �tre assujetti � l�appr�ciation des eccl�siastes qui gouvernent, fussent-ils de haute moralit�. L�imprimatur qui conditionne la r�alisation d�un projet est du strict domaine des proc�dures administratives. Celles qui garantissent la propri�t� intellectuelle sans pr�judice des jugements de valeur. Ces derniers �tant par d�finition acquis aux seuls lecteurs. Comme on le suppose, ni M. Toumi ni les �diteurs n�ignorent ce principe intangible. Ils ne peuvent aujourd�hui r�cuser les accusations de l�auteur ou bien faire comme si le livre de celui-ci n�est pas un test-mod�le pour se sonder r�ciproquement les reins. En effet, si les �diteurs continuent � faire passer par pertes et profits le harc�lement subi par ce journaliste�crivain, alors ils auront accord� un blanc-seing pour la r�-institution d�une sorte d��thique de l�Etat derri�re laquelle agira in�vitablement le fant�me des imprimeries. Mais si par contre, ils se solidarisaient contre cette pratique inf�me, ils auront alors conquis leur v�ritable autonomie et auront fait reculer le chantage par la subvention ou � l�acc�s aux march�s captifs r�mun�rateurs. A plus d�un titre (sans jeu de mots d�plac�), il y a mati�re � s�inqui�ter du retour de la brutalit� du contr�le sur l��crit et des forfaitures qui en d�coulent. M�me lorsque celles-ci s�accomplissent sous le sceau de la �bonne intention� (ah ! cette g�n�rosit� d��me � l��gard de l�auteur � �je lui ai �vit� la prison� � ), elles n�en demeurent pas moins comme des outrances insupportables. Il est vrai que ce journaliste- �crivain est, depuis bient�t 10 ann�es, dans l��il du cyclone du r�gime. Plume aiguis�e d�un homme de conviction, il est l�objet d�une surveillance �troite de ses �crits qui va au-del� de ce qui ne serait pas permis sous autres latitudes. Abc�s de fixation en haut lieu depuis son fameux pamphlet de l�hiver 2004, sa production intellectuelle est, depuis, d�crypt�e � la moindre virgule. Avant la parution de ses livres, ne s��tait-il pas fait conna�tre par la vigueur et la justesse de ses �ditoriaux qui, chaque fois, sonnaient comme un tocsin au sein de l�establishment ? L�indiscutable notori�t� qu�il a acquise dans l�opinion ne lui a-t-elle pas valu tous les mauvais traitements qui lui sont � ce jour inflig�s ? Apr�s l�embastillement et l�interdiction faite � son �diteur d�exposer au Sila un de ses livres en 2007, l�on ne trouvera pas mieux, cette fois, que d�envoyer en mission command�e la ministre de �l�intelligence� pour �lire� et confisquer son dernier opus. Proc�d�s d�une autre �poque qui sont les pr�mices d�une offensive d�une autre ampleur. A ce stade des enjeux primordiaux, il faudra, en effet, s�attendre � ce que la censure n��pargne � l�avenir aucun des vecteurs de la communication. L�appareil d�Etat, d�tenteur comme on le sait de l�incontr�lable �l�gitimit� de la violence �, n�aura aucune peine � frapper o� il le faut et comme il le souhaite, si, par lassitude, les �diteurs �oublient� de r�agir face au signal fort qui vient de faire d�un livre un exutoire de r�f�rence. Dans un passage de �l�immortalit� �, un roman de Kundera, celui-ci insiste avec pertinence sur ce droit d�volu au journaliste et par prolongement � l��crivain. �Ceux-l�, �crit-il, n�ont pas seulement raison de poser toutes les questions, mais le droit �galement d�exiger des r�ponses.� C�est dans cette aptitude intellectuelle que s�est, en permanence, inscrit le journaliste Benchicou. Et c�est ce qui lui est cycliquement reproch�. En n�h�sitant pas, au p�ril de sa libert�, � lever le voile sur les turpitudes des dirigeants, il se voit chaque fois interdit de parution ou bien tra�n� devant les tribunaux. Or, ce combat qu�il m�ne en solitaire ne doit pas rester le sien. Le livre comme les journaux ont aujourd�hui un besoin pressant de r�sister � l��rosion politique. Les louvoiements du pass� r�cent n�ont-ils pas fait trop de ravages ? C�est parce que l�on ne soup�onne jamais assez que les tractations d�arri�re- garde sont par nature des retrait�s mortels, que l�on verra, plus souvent que de coutume, des censeurs en jupon d�barquer dans les imprimeries.